Oxygène en réa, point trop n’en faut

Les cliniciens réagissent habituellement rapidement à une chute de la saturation en oxygène (SaO2) en mettant en place une oxygénothérapie. Cette attitude est appropriée encas d’hypoxie mais il peut aussi exister des situations dans lesquelles l’oxygène (O2) est administré en excès, sans discernement, durant une longue période. Récemment, la médecine est passée du concept « plus est meilleur » à celui « moins est préférable » pour nombre de situations pathologiques et d’attitudes thérapeutiques, par exemple les ajustements du seuil d’hémoglobine avant transfusion ou du taux de dioxyde de carbone. Ces dernières années, l’attention a été attirée sur les dangers potentiels d’une oxygénothérapie excessive.

La toxicité potentielle de l’O2 a été décrite pour la première fois dans les années 40, avec la survenue d’une hyperplasie rétinienne chez les prématurés, cause de cécité infantile. Par la suite ont été démontrés, grâce aux données autopsiques, les effets délétères de l’O2 sur le poumon, chez des malades qui avaient été exposés durant au moins 3 jours, à une ventilation mécanique, avec des concentrations en O2 (FiO2) supérieures à 0,60. Mais leur retentissement a été amoindri par la mise en évidence de lésions liées en propre à la ventilation qui sont devenues le sujet de préoccupation premier des cliniciens, occultant le rôle de l’O2.

Des effets toxiques locaux et systémiques

Les effets « toxiques » d’une oxygénothérapie excessive peuvent être distingués en locaux et systémiques. Les premiers consistent en la survenue d’atélectasies par absorption, liées au déplacement de l’azote alvéolaire par de l’O2 à forte concentration. De plus, l’hyperoxie entraîne la formation en excès d’espèces réactives de l’O2 (ROS) ou radicaux libres qui interviennent dans le stress oxydatif, altèrent la clearance muco-ciliaire, irritent les voies aériennes et perturbent la flore microbienne locale. Les effets systémiques de l’hyperoxémie surviennent pour une pression partielle en O2 (PaO2) supérieure à 100 mm Hg, avec alors saturation quasi complète de l’HbO2 et augmentation de l’O2 dissous. La production de ROS augmente, dépassant les capacités des anti oxydants. Les conséquences en sont un stress oxydatif, des lésions, puis la mort cellulaire. De plus, les anions superoxydes ROS tendent à inactiver le monoxyde d’azote au-delà d’une PaO2 de 150 mm Hg, cause de vasoconstriction des lits coronaire, rétinien et cérébral.

Plusieurs rapports ont alerté sur les dangers de l’hyperoxie (PaO2 élevée au niveau pulmonaire) ou de l’hyperoxémie (PaO2 trop haute dans le sang périphérique). Dans l’étude multicentrique d’une cohorte de 1 156 adules ayant présenté un arrêt cardiaque suivi d’encéphalopathie post anoxique, hypoxique et ischémique, les patients maintenus en hyperoxie (PaO2 > 300 mm Hg) ont eu une mortalité intra hospitalière plus importante (63 %) que ceux restés en normoxie (45 %) ou en hypoxie relative (43 %). Le mécanisme physio pathologique pourrait être une atteinte cérébrale secondaire liée à la formation locale de ROS et à une majoration du stress oxydatif. Il faut cependant noter que l’association hyperoxémie- mortalité est loin d’avoir été constamment retrouvée dans diverses études observationnelles ultérieures.

L’essai AVOID a, quant à lui, inclus 441 patients souffrant d’infarctus du myocarde avec surélévation du segment ST. Ils ont été randomisés pour recevoir une oxygénothérapie à 8 L/mn ou respirer en air ambiant. A 6 mois, le groupe sous O2 avait une masse de tissu myocardique nécrosé de 20,3 (IQR : 9,6- 296) gr vs 13,1 (IQR : 5,2- 23,6) gr dans le groupe témoin et a présenté également un nombre plus important de récidive d’infarctus (5,5 vs 0,9 % ; p = 0,06).

Chez la femme enceinte, au 3e trimestre, une hyperoxie notable tend, de la même façon, à diminuer l’index cardiaque et chez le nouveau-né (cf. supra) elle est cause d’une hyperplasie de la rétine. Cinq essais cliniques (n = 4 965) ont comparé, chez de très jeunes prématurés d’âge gestationnel moyen de 26 semaines, les effets d’une relative hypoxémie (SaO2 entre 85 et 89 %) à ceux d’une normoxémie (SaO2 entre 91 et 95 %). Il n’a été constaté aucune différence dans la mortalité ou le degré d’incapacité majeure au 24e mois mais le groupe normoxique a présenté plus de rétinopathie et, à l’inverse, moins de décès par entérite nécrosante.

Des situations contradictoires

Dans 2 situations particulières, en per opératoire et en cas de souffrance neurologique post traumatique ou post accident vasculaire cérébral, les effets de l’hyperoxie demeurent imprécis. En 2016, la World Health Organization (WHO) a émis une recommandation visant à recourir, durant une anesthésie générale, à une FiO2 de 0,80, dans le but de réduire le nombre d’infections au niveau du site chirurgical. Or, une méta-analyse ultérieure, regroupant 17 essais cliniques randomisés n’a pas retrouvé de différence de résultats avec une FiO2 de 0,80 et une comprise entre 0,30 et 0,35. Les proportions d’infections du site opératoire ont été respectivement de 11,4 et 13,1 %, soit un rate ratio RR à 0,89 (intervalle de confiance à 95 % IC : 0,73- 1,07). De même les risques d’une hyperoxie sur un cerveau post traumatique ou post accident vasculaire cérébral restent mal définis. Nombre d’experts restent donc réservés et alertent sur les dangers potentiels de modifier trop rapidement les protocoles d’oxygénothérapie en l’absence de données disponibles fiables.

A contrario, une oxygénothérapie large a plusieurs avantages bien démontrés. Elle possède des propriétés bactéricides par augmentation de la production de ROS. Si l’essai HYPER S2S (hyperoxie et sérum salé hypertonique chez des patients en choc septique), ayant inclus une cohorte de 442 patients exposés à une FiO2 de 100 % pendant 24 heures a dû être interrompu prématurément du fait d’un excès de mortalité, un autre essai, avec un collectif de 251 patients en état septique grave a comparé les effets d’une oxygénothérapie visant à maintenir une SaO2 entre 91 et 95 % à une administration plus large, la SaO2 pouvant atteindre les 100 %. On a noté, une hausse, non significative, de la mortalité de 7 % dans le groupe avec SaO2 la plus faible, suggérant qu’une délivrance large d’O2 en cas de sepsis pourrait être bénéfique. De même, l’essai Oxygen -ICU a recruté 480 patients de soins intensifs, avec une probabilité de séjour en USI de 72 heures minimum. Une approche modeste, visant une PaO2 entre 70 et 100mm Hg et une SaO2 entre 94 et 98 % a été associée à une mortalité moindre comparativement à une oxygénothérapie plus large, avec PaO2 pouvant aller jusqu’ à 150 mmHg et une SaO2 entre 97 et 100 %. Mais, dans l’ essai plus récent ICU-ROX, avec 1 000 participants ventilés artificiellement, il n’a été observé aucune différence selon les modalités de l’apport en O2, ni dans le sevrage au 28e jour, ni dans la mortalité au 90ejour, avec toutefois une hétérogénéité, le sous-groupe d’encéphalopathie hypoxémique/ischémique ayant paru évoluer plus favorablement sous oxygénothérapie conventionnelle.

Il semble donc que les cliniciens doivent adopter une stratégie en matière d’oxygénothérapie qui lutte contre l’hypoxémie mais en visant une SaO2 maximale aux alentours de 96 %. En dehors de cas particuliers, lutte contre les infections du champ opératoire notamment, une délivrance excessive avec hyperoxie et hyperoxémie ne paraît pas nécessaire et pourrait même avoir des effets délétères dans certaines situations pathologiques.

A ce jour, plusieurs questions restent en débat : pour quelle concentration et lors de quelle durée l’oxygénothérapie peut être devenir nocive ? Quels paramètres doivent être pris en compte : FiO2, SaO2 ou PaO2 ? Quelles sont les interactions avec les troubles de l’équilibre acide-base, l’état de choc et les lésions pulmonaires induites par la ventilation ? Quelles en sont les conséquences à plus long terme ? Il est probable que les réponses à ces interrogations variont notablement selon les pathologies et selon des stimuli  exogènes autres. A ce jour, plus de 70 essais cliniques sont en cours, dont le but est de préciser au mieux les modalités de l’oxygénothérapie en milieu de soins intensifs.

Dr Pierre Margent

Référence
Munshi L et coll. : Evolving Issues in Oxygen Therapy in Acute Care Medecine. JAMA, 2020 ; publication avancée en ligne le 24 janvier. doi: 10.1001/jama.2019.22029.

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