Pénurie de soignants : vers un été meurtrier ?

Paris, le lundi 30 mai 2022 – Médecins et élus ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur un risque grave de pénurie de soignants cet été.

La pandémie de Covid-19 en a été un révélateur et la situation éclate désormais aux yeux du grand public : l’hôpital public français est en crise et fait face à un manque de plus en plus critique de soignants, notamment dans les services d’urgence. Déjà difficile, la situation pourrait devenir intenable cet été, en raison des départs en congés des soignants et de l’afflux accru de patients aux urgences.

La crise de l’hôpital public est prise très au sérieux jusqu’au sommet de l’Etat. A la sortie de sa première réunion de travail avec le nouveau gouvernement ce vendredi, la Première Ministre Elisabeth Borne a annoncé que la santé serait, avec l’écologie et l’éducation, l’une des priorités du quinquennat qui commence.

« Nous devons répondre à très court terme au défi du manque de personnel dans les établissements de santé et médico-sociaux » a indiqué la chef du gouvernement, qui a précisé qu’elle avait demandé à la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon de lui faire « des propositions très rapidement pour prendre des mesures efficaces pour l’été ».

« Un risque imminent de rupture de l’accès aux soins » selon le Pr Rémi Salomon

Les signaux d’alarme ne cessent de se multiplier ces dernières semaines à l’hôpital public. Selon l’association Samu-Urgences de France, 120 services d’urgence, soit près de 20 % des services existants en France, connaissent des difficultés de fonctionnement dues  à un manque de personnel. « On n’a jamais une telle tension avant même la période estivale » indique l’association.

Parmi la liste des services en difficulté, on trouve 14 CHU ou CHUR (sur 32 en France). Le cas du CHU de Bordeaux, qui a décidé il y a deux semaines que les urgences seront fermées de nuit aux patients qui n’auront pas appelé le 15 au préalable, est devenue un symbole de la dégradation de l’offre de soins. D’autres hôpitaux, comme celui de Grenoble, pourraient suivre la même voie, tandis que certains services procèdent à des délestages, en renvoyant les patients vers d’autres établissements.

Ces derniers jours, certains « grands patrons » ont pris la parole dans les médias pour tenter d’alerter l’exécutif et le grand public sur la gravité de la situation. Le Pr Rémi Salomon, président du CME de l’AP-HP, n’a pas hésité à évoquer « un risque imminent de rupture de l’accès aux soins qui risque de s’aggraver de manière assez considérable cet été » tandis que le Dr Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France, craint des « décès inopinés et involontaires » cet été.  

Le retour de l’obligation de garde, la solution miracle ?

Pour le moment, la ministre Brigitte Bourguignon n’a pas évoqué de solutions précises, indiquant simplement qu’elle allait procéder à des « concertations » avec les soignants « pour faire face à l’été ».

Plusieurs mesures sont appelées de leurs vœux par des professionnels de santé, tels que la revalorisation des gardes de nuit et des astreintes du week-end. Mais d’autres estiment ces propositions sont insuffisantes et en appellent à des mesures plus radicales. Chef du service des urgences de l’hôpital Georges Pompidou (et aussi candidat à la primaire présidentielle LR), le Pr Philippe Juvin estime qu’il faut « trier l’arrivée aux urgences et qu’il ne faut pas permettre à tout le monde d’y aller facilement ».

Pour Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France (FHF), il est temps de rétablir l’obligation de garde « pour tous les praticiens », une solution auquel la CSMF, principal syndicat des médecins libéraux, ne s’est pas dit opposé sur le principe, à condition qu’elle soit accompagnée « d’un coup de pouce pour rémunérer correctement les gardes ». Le directeur de l’AP-HM François Crémieux a lui jeté un pavé dans la mare en indiquant ce jeudi qu’il était temps de revenir sur « l’immense liberté des médecins libéraux devenue un tabou dans notre pays ».

Des propositions chocs reprises notamment par l’Association des petites villes de France (APVF). Dans une lettre ouverte à Brigitte Bourguignon, cette association de maires rappelle que « les établissements hospitaliers des petites villes voient leur fonctionnement se dégrader du fait du manque d’effectifs », prenant notamment l’exemple de l’hôpital de Chinon, où le service des urgences a été fermé par pénurie d’infirmiers. Pour les élus locaux, « des questions telles que l’obligation de la permanence de soins pour les médecins libéraux et la régulation de l’installation des médecins doivent être maintenant posées sans tabou ».

La ministre de la Santé sait désormais sur quelle base elle doit mener sa future « concertation ».

Quentin Haroche

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Vos réactions (4)

  • Aptitude et adequation

    Le 30 mai 2022

    Les gardes de generalistes de ville... qui ne peuvent pas faire une radio de thorax, qui ne peuvent pas faire un ECG ni doser la troponine ou la CRP, ni mettre de l’oxygène dans le nez des patient qui ont les lèvres cyanosées... ça ne fera pas vraiment l'affaire des patients et c'est inapproprié. Il faut ouvrir des lits et avec cela cela payer correctement les équipes soignantes. En quoi les troupeaux d'administratifs des hôpitaux sont ils utiles ? En rien cf hôpital de Valenciennes... Ces administratifs plombent le budget. Pourquoi paye t on des chauffeurs, des cuisiniers, des logements de fonctions aux ministre-notament : santé, economie... et il y a des troupeaux de ministres et d'attachés et de conseillers...Notre dette depasse 100 pour cent du PIB et on garde des personnels inutiles pour des ministres d'apparat. On garde un tiers de salariés inutiles planqués à l’hôpital. Ca suffit : la fonction publique hospitalière est une nécessité, les ministres le sont ils tous ? Et leurs serviteurs encore moins.

    Dr Isabelle Herry

  • On attend plus rien de vous !

    Le 02 juin 2022

    Pourquoi faut-il toujours attendre le dernier moment et une situation catastrophique pour écouter les soignants ! Je suis atterrée de tant de manque d’écoute du terrain !
    Pour les sourds des rappels nous avons manifesté en 2014 !
    Cela a été transformé en des appels financiers ? Mais déjà à l’époque l’alerte était : nous allons manquer de médecins ! Mais que neni personne n’a entendu !
    Puis nous avons manifesté en 2019 pour que les infirmiers hospitaliers soient correctement rémunérés (cf le niveau européen).
    Résultat le Segur et le covid de 2020 ont un tout petit peu fait bouger les lignes (183 € Brut pour tous) autant dire rien pour les infirmiers et leurs responsabilités qui attendaient au moins 850€ pour une reconnaissance de nos compétences.
    Ici et là des rapports (notamment en Angleterre) on y souligne l’efficience de notre apport dans la prise en charge en structures et en libéral par rapport au établissement ayant moins d’infirmiers.
    Nos ministres de la santé successifs savent ils lire ??

    Le coefficient de soignants par patients dépendants n’est toujours pas réévalué pourtant la France forme moult infirmiers donc il devrait y en avoir assez.
    Mais comment aller travailler la boule au ventre ?
    Comment partir en repos en sachant pertinemment que le téléphone va sonner pour un rappel.
    Comment être disponible pour nos patients lorsque qu’il faut enchaîner les heures supplémentaires pour arriver à vivre alors que nous avons le travail le plus difficile au monde ?
    Oui très difficile :alléger la souffrance, oui contrôler les prescriptions, oui injecter le bon produit à la bonne vitesse, se tenir au courant des nouvelles technologies et traitements, oui prendre du temps au lit du patient, oui quand remplir ces dossiers informatiques non efficients alors que nous courront d’un patient à l’autre... et la solution a été les roulements alternatifs jours après-midi et nuits.
    Déjà premier chocs : comment arriver à une vie de famille organisée quand vous faites 2 jours le matin puis 2 nuits puis …
    Alors l’état a dégoûté tous les infirmiers de qualité avec une expérience indispensable qui ont commencés par changer de services puis qui sont parties vers la ville pour l’arlésienne du gain puis beaucoup ont rapidement compris que là aussi il fallait enchaîner les heures et malades pour arriver à gagner sa vie ( minimum 70 h par semaine entre les tournées et les papiers )

    Puis le covid est arrivé et ces mêmes libéraux qui n’ont pas ménagé leurs peines ( pas de congé en 2 ans , centre de vaccination, chercher du matériel partout , tests covid, prises en charge lourdes pour soulager l’hôpital,..) le tout bien sûr sans que les médias ne parlent d’eux et de l’exploit oui l’exploit du travail sanitaire accompli …

    Résultats messieurs les représentants du gouvernement, vous nous avez dégoûté de notre métier.
    Pourtant on est fait pour ça , pourtant on a des qualités exceptionnelles de prises en charges et coordination avec les médecins de ville et ensemble nous évitons tous les jours des hospitalisations coûteuses et délétères pour nos patients !

    Et bien maintenant pleurez car il est bien trop tard pour récupérer la motivation des infirmiers qui ont le plus haut taux de décès après 70 ans !
    Et bien oui, on va faire autres choses que d’être les petites mains des soins oubliés, ignorées.
    Maintenant on va vivre et ne plus servir un système de santé à bout de souffle par votre ignorance de notre travail !
    On attend plus rien de vous ! N’attendez plus rien de nous si vous ne redressez pas la barre car les jeunes ne se laissent pas faire.

    40 ans d’exercice et de batailles pour un métier exceptionnel, vous avez eu raison de ma motivation à défendre ce métier qui fait tourner les soins à lui seul ... mais trop seul et invisible sauf dans la bouche de nos patients... ça ne suffit plus
    Vous laissez partir l’expertise vers d’autres horizons.
    Tellement honteux.

    Marie-Claude Milhau (IDE)

  • Condoléances pour le métier

    Le 05 juin 2022

    En tant qu'infirmier ayant cessé d'être en activité depuis mars 2021 (lassitude de plus de 25 ans de maltraitance institutionnelle et professionnelle subie, et peu candidat aux expériences vaccinales sur mon propre corps sans recul et peu contrôlées quant à leurs effets délétères face à leur efficacité dira-t-on relative, etc...), je ne peux que confirmer les propos de Marie-Claude Milhau.

    J'ai éclusé un grand nombre de lieux de travail depuis 1997, ayant fait nombre d'intérim. J'ai pu constater la lente et constante dégradation des conditions de travail tous azimuths dans tous les milieux, public, privé, hospitalier pur, médico-social. En libéral j'ai pu constater le transfert constant de charge administrative sur les ide, dont on aime qu'elles jouent au docteur pour pas cher, et dont tout le monde trouve normal que leur forfait kilométrique soit rémunéré à 2,50 euros alors qu'il vaut 4 euroz pour un kiné et 10 pour un médecin, comme si l'essence valait plus cher selon les fonctions.
    Bref oui, c'est temps de se réveiller, mais c'est fort tard pour pallier les dégradations encourues, et la crise covid aura formé fort précocement les étudiants à voir en face toutes les dysfonctions auxquels ils s'exposent, ce qui aura eu pour effet qu'une certaine partie aura fui. Fuite qui était déjà en cours, constatant ces dernières années un changement de profession des nouvelles diplômées infirmières qui n'hésitaient pas à rattaquer sur autre chose après un an d'exercice (et je l'ai vu en 2018, les années précédentes elles tenaient trois ans avant de se reconvertir).

    Bref l'état a réussi l'exploit de créer une dissémination des compétences soignantes partout dans la nature. La perte d'expérience, de compétence, l'absence de transmission de l'expérience des anciennes aux nouvelles, tout cela aussi aura des effets délétères et un coût en vies humaines, que les protocoles écrits et les procédures tartempions ne corrigeront pas, sauf à ce que nos administratifs se mettent à jouer de la seringue, du calcul de dose, et à apprendre que le soin ça ne se fait pas sur le papier.

    Bon courage et condoléances pour le métier.

    Laurent Saint-Martin (IDE)

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