
Paris, le samedi 14 novembre 2015 – La fascination des artistes pour les prostituées est riche de mille aspects. Transgression de l’interdit, contournement des apparences, exaltation des corps, dénonciation des tabous et des hypocrisies : écrire, filmer, peindre les prostituées permet non seulement de mettre à nu un monde qui tout à la fois attire et répugne, méconnu et si souvent imaginé, tout en livrant d’autres réflexions sur le monde et les femmes. La prostitution continue ainsi à travers les siècles de demeurer un sujet privilégié par les artistes.
Pigalle
Il l’était plus que jamais pour les peintres et écrivains du XIXème siècle comme le rappelle avec intelligence l’exposition inédite proposée au Musée d’Orsay, Splendeurs et misères – Images de la prostitution en France 1850-1910. On y retrouve des célèbres tableaux de Toulouse Lautrec, Degas, Van Gogh jusqu’à Picasso où l’exubérance des corps se mêle à la mélancolie. Si la dureté transparaît parfois dans ces œuvres, la description horrifiante ou froide de la maladie appartient aux écrivains qui répondent en écho aux toiles exposées, livrant un aperçu inédit sur ses femmes de petite vertu qui ont permis aux grands artistes de produire les plus grandes œuvres.
Pattaya
La juxtaposition entre la joie, la gaîté folle et le morbide, traverse également le roman de Fabrice Guénier, qui raconte sa propre histoire d’amour avec une prostituée de Thaïlande, morte à 23 ans, terrassée par le Sida. Si les premières pages décrivant le tourisme sexuel peuvent être dérangeantes, si on éprouve d’abord une réticence à croire en cette histoire d’amour, le déchirement de la seconde partie qui évoque la maladie, la souffrance et la mort d’Ann, qui donne son nom au livre, fait disparaître ces premiers sentiments. Ce n’est pas une apologie de la prostitution et encore moins du tourisme sexuel, mais comme sous le pinceau de Manet ou la plume de Balzac, c’est un hommage, une réhabilitation de ces femmes dites de mauvaise vie.
Marrakech
Le spectre de la maladie, la peur d’être contaminée rode également dans le film de Nabil Ayouch, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines en raison de l’agression subie par son actrice principale. Il faut dire que Much Loved lève le voile sur l’activité masquée de centaines de jeunes femmes marocaines, qui se livrent à la prostitution, parfois pour faire vivre une famille et échapper à la misère. Là encore, domine le mélange entre la joie et la sensualité, mais aussi la peur des coups, de l’oppression et de la maladie.
Avec chez Nabil Ayouch, une pointe de révolte.
Exposition : Splendeurs et misères – Images de la prostitution en France 1850-1910, Musée d’Orsay, jusqu’au 17 janvier 2016, 62, rue de Lille, 75007 Paris
Roman : Ann, de Fabrice Guénier, Gallimard, 304 pages, 19,50 euros
Cinéma : Much Loved, de Nabil Ayouch, 16
septembre, 1h44
Aurélie Haroche