Que sait-on des ITK pendant la grossesse ?

Quel est l’impact de l’imatinib sur la fertilité et la grossesse ? Et plus précisément : qu’en est-il de la spermatogenèse et de la fertilité masculine sous inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) ? Quelles recommandations avant le début d’un traitement par ITK chez l’homme ? Une grossesse est-elle possible sous ITK ? Dans quelles conditions ? Quel effet des ITK sur l’allaitement ? Y a-t-il un risque pour le nouveau-né ?

Les données cliniques sont peu nombreuses et il est actuellement difficile de répondre formellement à toutes ces questions. Etat des lieux avec le Dr A. Guerci.

Récepteurs tyrosine kinase, testicule et développement embryonnaire

De part son mécanisme d’action, inhibiteur de tyrosines kinases, l’imatinib interagit probablement sur la fertilité et sur le développement du fœtus. On sait que C-kit et PDGFR, gènes codant pour un récepteur à activité tyrosine kinase (et leurs ligands SCF et PDGF) sont exprimés dans le testicule (fœtal et adulte). On sait aussi que C-kit et SCF sont essentiels au développement des cellules germinales tandis que PDGFR joue un rôle clé dans le développement des cellules de Leydig et la synthèse de testostérone. Par ailleurs, C-kit, EGFR et PDGFRa participe au contrôle complexe du développement embryonnaire. Enfin, il a été montré que les souris mutées présentent des omphalocèles, des spina-bifida complexes, des anomalies rénales et urogénitales, des anomalies osseuses (vertèbres et côtes), et une hypoplasie pulmonaire.

Quelles données cliniques avec l’imatinib ?

Chez l’homme

Concernant la fertilité masculine et l’impact d’un traitement par imatinib sur le spermogramme, il n’y a pas d’étude systématique sur cette question mais seulement quelques cas publiés dans la littérature ayant rapporté, le plus souvent, des spermogrammes normaux. Selon une étude conduite chez 38 hommes ayant une leucémie myéloïde chronique (LMC) traitée par imatinib, cette molécule modifierait les taux hormonaux de testostérone, de progestérone et de 17OHP (avec 7 cas de gynécomastie) (Gambacorti-Passerini et coll. 2003).

Chez la femme pendant la grossesse

Concernant les grossesses de patientes traitées par imatinib, 3 grandes séries ont été publiées dans la littérature totalisant 61 cas [n=26 (Hensley et coll. 2003) ; n=10 (Ault et coll. 2006) et n=125 (Pye et coll. 2008)]. La très grande majorité des patientes avaient été exposées à l’imatinib pendant le premier trimestre (car la grossesse est alors inconnue) et un nombre non négligeable de patientes l’ont été pendant toute la durée de la grossesse (26 % dans l’étude de Pye et coll.).

Au total, 72 enfants normaux [n=2 (Hensley et coll.), n=7 (Ault et coll.), n=63 (Pye et coll.)] et 14 enfants porteurs de malformations [n=1 (Hensley et coll.), n=1 (Ault et coll.), n=12 (Pye et coll.)] sont nés. Les malformations étaient mineures (hypospadias : n=4, sténose du pylore : n=1) ou complexes (n=9). A noter que 3 autres cas de malformations ont été diagnostiqués dans l’étude de Pye et coll. suite à des interruptions thérapeutiques de grossesse. Il s’agissait dans un cas de malformations complexes avec embryopathie à la warfarine (traitements associés : warfarine, paracétamol, levofloxacine, héparine), et dans un autre cas, d’une malformation avec polydactylie et fente palatine (traitements associés : oméprazole).

Par ailleurs, près d’une vingtaine d’auteurs ont publié isolément de 1 à 3 cas de grossesse sous imatinib (n=27). Là encore, la très grande majorité de ces patientes a reçu de l’imatinib pendant le premier trimestre de la grossesse. Toutes les grossesses ont été menées à terme sauf un accouchement prématuré à 26 semaines et une fausse couche à 8 semaines. Les enfants étaient tous normaux (quelques cas de petit poids de naissance), sauf un enfant mort-né qui présentait un méningocèle.

Et après la grossesse

Quand au devenir des mères après la grossesse, les données manquent cruellement. Ault et coll. qui ont rapporté 40 % de perte de réponse hématologique complète et un cas de décès en phase blastique après l’accouchement étaient particulièrement alarmistes. D’autres données éparses semblent plus rassurantes…

Enfin, les données concernant l’allaitement sont assez limitées mais elles attestent formellement le passage de l’imatinib dans le lait maternel ; ce qui contre-indique l’allaitement.

Des risques certains mais qui semblent limités

Au total, cette revue de la littérature montre que les grossesses sous imatinib sont le plus souvent normales. L’exposition à l’imatinib survient dans la majorité des cas seulement durant le premier trimestre de la grossesse mais quelques patientes ont cependant été exposées pendant toute leur grossesse. Le taux de fausse couche semble identique à celui de la population générale (10-15 %). Par ailleurs, les malformations sont peu fréquentes, mais le risque existe (problème des médicaments associés), en particulier les malformations osseuses identiques à celles observées chez le rat et l’omphalocèle : 3 cas pour 125 grossesses (Pye et coll.) alors que ce risque n’est que 1 pour 3 à 4 000 naissances normales dans la population générale.

Quid des inhibiteurs de tyrosine kinase de seconde génération ?

Il n’existe actuellement qu’une seule publication sur les ITK de seconde génération pendant la grossesse (Cortes et coll. ASH 2008. Abstract 3230). Treize patientes enceintes ont été traitées par dasatinib durant 1 à 30 mois. Actuellement, dans cette petite série, 4 patientes ont souhaité interrompre leur grossesse, 2 fausses-couches ont été rapportées, 2 enfants normaux sont nés, dont un petit poids de naissance et 5 grossesses sont en cours. Par ailleurs, 7 femmes dont le partenaire était traité par dasatinib (de 1 mois à plus de 12 mois) ont donné naissance à des enfants normaux.

Un indispensable état des lieux en France

De nombreuses questions restent ainsi encore sans réponse. D’où l’intérêt du groupe de réflexion qui a été mis en place à l’initiative de membres du groupe français coopératif FILMC afin de rassembler dans un premier temps toutes les données françaises dans ce domaine et de tenter d’élaborer en parallèle des recommandations sur la prise en charge des couples désireux d’avoir un enfant et/ou des grossesse en cas de LMC.

Informer, rassurer et anticiper

En conclusion, A. Guerci a rappelé la problématique du cadre légal des traitements pendant la grossesse (contre-indication de l’hydroxyurée et rapport bénefice/risque à évaluer pour l’interféron alfa, l’interféron alfa pegylé et l’imatinib) et elle a insisté sur le fait que le désir d’enfant d’une femme ou d’un homme souffrant d’une LMC est une situation à prendre en compte dès le début de la prise en charge de la maladie.

Dr Laurence Houdouin

Référence
Guerci A : Les ITK en cas de grossesse. Congrès de la Société Française d’Hématologie (Paris) : 19-21 mars 2009.

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