Quelle arme contre les législations homophobes ?

Melbourne, le mardi 22 juillet 2014 – Dès l’ouverture de la conférence sur le Sida qui se tient jusqu’à la fin de la semaine à Melbourne, le ton était donné. Les organisateurs de cette rencontre internationale n’ont de cesse d’insister sur la nécessité de mettre un terme aux discriminations touchant notamment les homosexuels qui sont une entrave certaine à l’accès aux soins et à la lutte contre le Sida. Ainsi, la « Déclaration de Melbourne » que nous évoquions hier dans ces colonnes fait de cet objectif sa principale revendication.

Sept ans de prison pour toute personne acceptant de conseiller un homosexuel en Ouganda

Cette orientation est une réponse à un début d’année marqué par l’adoption dans plusieurs pays de lois visant les homosexuels, comme en Russie, en Ouganda, au Nigeria ou encore en Inde. Les dispositions entérinées au début de l’année en Ouganda sont notamment particulièrement sévères puisqu’elles menacent de prison à perpétuité les personnes ayant des rapports homosexuels, tandis que toute personne considérée comme « complice », en conseillant ou soutenant des homosexuels, en prenant position en faveur de ces derniers ou en acceptant de louer un local à une association proche du « milieu gay » s’expose également à de lourdes sanctions (peines de prison pouvant aller jusqu’à sept ans).

Des médecins de plus en plus réticents à soigner les gays et les lesbiennes

De telles législations ont nécessairement des conséquences directes sur l’accès aux soins des homosexuels. En avril dernier, sur le site Seronet, Nicolas Denis, chargé de plaidoyer international sur les droits de l’homme au sein de l’association Aides décrivait quelques semaines à peine après l’adoption de la loi une situation inquiétante en Ouganda. « En matière de lutte contre le sida, la loi a eu pour effet de remettre en cause des années de travail et d’efforts pour convaincre certains médecins de prendre en charge les gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels. La crainte d’être arrêté pour ne pas avoir dénoncé leur patient comme homosexuel incitent ces derniers à prendre leur distance avec cette communauté. Pour les mêmes raisons, de nombreux homosexuels séropositifs n’osent plus se rendre dans les centres de santé de peur d’être dénoncés, voire arrêtés. Début avril 2014, la police ougandaise à mener un raid contre un centre de santé au prétexte qu’il faisait la promotion de l’homosexualité et a ordonné sa fermeture », relatait-il.

L’homosexualité, vue comme la marque de la « culture étrangère »

Surtout, Nicolas Denis s’inquiétait de l’effet de « contagion » d’une telle loi, dans d’autres pays d’Afrique, alors que déjà parmi les 77 états qui encore aujourd’hui pénalisent l’homosexualité, beaucoup se situent sur le continent africain. De fait, le printemps a été émaillé d’appels à la manifestation contre l’homosexualité. Ces discours font souvent de l’homosexualité une pratique associée à la « culture étrangère ». Cette notion, relativement prégnante, explique la difficulté de faire entendre les messages émanant des pays occidentaux appelant à la fin des politiques discriminatoires. Dès lors, quel regard porter sur ceux qui suggèrent de suspendre les subventions aux états interdisant l’homosexualité ? Une telle option est défendue par certains activistes présents à la conférence de Melbourne. « Les dirigeants des pays aux lois homophobes ne peuvent pas s’attendre à ce que les contribuables des autres pays continuent de payer, indéfiniment, d’énormes sommes d’argent pour des antirétroviraux s’ils refusent de réformer leurs lois afin d’aide eux-mêmes leurs propres citoyens » a ainsi déclaré Michael Kirby, ancien juge à la Cour suprême d’Australie et défenseur des droits de l’homme.

Un travail diplomatique discret plutôt que la menace de couper l’aide au développement

De telles menaces sont cependant jugées contre productives par d’autres observateurs. Alors que les politiques de lutte contre le Sida sont encore fragiles, il n’est en effet pas exclu que certains dirigeants n’hésitent pas à « sacrifier » ces programmes, tout au moins à moyen terme, plutôt que de consentir à renoncer à leurs lois homophobes, d’autant plus que les populations soutiennent en partie ce type de législations. Aussi, au printemps, Nicolas Denis estimait qu’il était préférable de privilégier un « travail diplomatique discret visant à obtenir un moratoire sur l’application de ces lois. La crispation de certains gouvernements africains consécutifs aux dénonciations publiques de ces lois et surtout de la menace de suspendre l’aide au développement venue des pays occidentaux souligne la nécessité de continuer à mener une « diplomatie de couloir » concernant ce sujet ». Une telle voie semble également préférée par le patron de l’Agence nationale de recherche contre le Sida (ANRS), Jean-François Delfraissy. « Le médecin que je suis dit ‘dans ces pays là, ils ont besoin d’antirétroviraux comme les autres, on ne va pas sanctionner les patients sous prétexte de faire bouger un gouvernement’ » a-t-il confié hier à l’AFP. Cependant, il estime possible de tenter de faire bouger les lignes à travers le Fonds mondial de lutte contre le Sida, pouvant notamment attribuer certaines aides sous conditions.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Et les états musulmans ?

    Le 28 juillet 2014

    La définition de "phobie" est "crainte angoissante irrépressible".
    Je ne pense pas que ce soit le bon terme pour définir une prise de position essentiellement politique parfaitement calculée.
    Je suis surpris de ne pas voir mentionné le problème des états musulmans : l'homosexualité y est la plupart du temps réprimée, les sanctions allant jusqu'à la peine de mort ! (émirats arabes unis). Or il y a quand même 1,5 milliars de musulmans sur cette planète ...

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