
Paris, le samedi 6 juin 2015 – Les blogs médicaux sont un reflet assez fidèle du quotidien des praticiens. On y retrouve ainsi de nombreuses anecdotes de consultation. Mais aussi, l’évocation des rapports entre les médecins et l’administration. Ces "experts" qui arrivent dans les services pour apprécier la bonne application de moult protocoles et autres procédures sont rarement accueillis avec sérénité. Il faut dire qu’ils trainent dans leur sillage tout un verbiage technique et logistique souvent très éloigné de la préoccupation première des praticiens : soigner les malades. Pourtant, ces "contrôles" (réalisés notamment dans le cadre de la procédure de "certification" ou "d’accréditation" gérée par la Haute autorité de Santé, HAS) ne sont pas toujours appréciés avec sévérité. Deux blogueurs ont ainsi proposé récemment des regards assez différents sur leur expérience en tant que médecin "contrôlé", même si leurs réflexions se rejoignent sur certains points.
Une expérience positive
Le cardiologue Jean-Marie Vailloud, sur son blog Grange Blanche propose ainsi un récit à la tonalité plutôt positive quant à la mise en place dans l’établissement où il exerce du système du " patient traceur". « Grande nouveauté de la certification V2014 » précise l’auteur de Grange Blanche, cette méthode repose sur l’analyse rétrospective de la prise en charge d’un patient depuis son entrée à l’hôpital jusqu’à sa sortie. Différents critères sont évalués : accueil, prise en compte des droits du malade, ressenti et vécu de ce dernier, prise en charge de la douleur, préparation à la sortie, organisation de l’équipe et collaboration interprofessionnelle. Jean-Marie Vailloud a semblé apprécier une telle innovation, alors que les procédures de certification lui paraissent souvent éloignées du terrain « avec ses processus d’audit compliqués, ses méandres linguistiques » ajoute-t-il. Sa conclusion se révèle donc plutôt enthousiaste : « L’expérience est plutôt sympa à vivre » signale-t-il.
Madame Michu entre en scène
Cette tonalité enjouée est loin de se retrouver dans les colonnes du blog Le fils du docteur Sachs qui dans une lettre fictive au médecin expert qui a audité son service se montre particulièrement amer et critique. A travers plusieurs exemples, il dénonce l’absurdité des règles qui tentent de s’imposer. Il évoque entre autres la question de la prise en charge de la douleur. « Sache que les infirmières avec qui je travaille sont dignes de confiance, et qu’elles seront bien emmerdées quand je leur aurai pondu un protocole où tant de morphine doit être faite à Mme Michu si son EN est supérieure à 6, sachant qu’on reçoit plein de Mme Michu qui ne savent pas coter leur douleur, et des Mme Michu qui se cotent à 9 tout le temps pour qu’on s’occupe plus d’elles, et que si l’infirmière pense que c’est surcoté et ne fait pas la morphine alors qu’elle aura tracé la douleur parce que c’est un indicateur qualité prioritaire, elle se fera taper sur les doigts par le prochain expert visiteur qui viendra après toi et ira fouiner dans le dossier, trouvant une EN à 9 et un protocole non respecté à la lettre (…). Et on peut aussi parler des Mme Michu qui se cotent à 3 tout le temps pour ne pas déranger, et qui n’auront jamais leur morphine et continueront à avoir mal, mais tu t’en fous parce que sur le dossier, la douleur sera tracée à 3 et le protocole sera respecté » s’emporte-t-il. Au terme des différents exemples qu’il donne et de plusieurs manifestations de rejet, le fils du docteur Sachs annonce à celui qui lui a recommandé en tant que président de CME de ne pas se montrer trop critique vis-à-vis de la certification afin de donner l’exemple : « Je vais suivre ton conseil. Demain, je ne serai plus président de CME, et dans quelques semaines, je ne serai même plus médecin hospitalier ».
Soigner des dossiers
Au-delà d’une réception très différente de l’expérience de certification qu’ils ont traversée, les réflexions des deux blogueurs se rejoignent sur différents points. Tous deux mettent en avant la distorsion entre les procédures imposées et la réalité du terrain. Ils s’inquiètent également d’une formalisation à l’extrême qui risque de se faire au détriment du temps consacré aux patients. « Je remarque néanmoins que notre obligation d’informer toujours plus le patient et d’obtenir son consentement pour des actes/soins de plus en plus anodins devient contre-productive à partir d’un certain point. Que retient le patient de la masse d’informations que nous lui assénons dès la première minute de son entrée dans l’établissement ? Retient-il l’essentiel ? Je n’en suis pas certain. D’un autre côté, tout tracer et tout expliquer prend un temps considérable. Or le temps n’est pas une denrée courante chez les médecins » constate le docteur Jean-Marie Vailloud. Le fils du docteur Sachs s’inquiète lui aussi de cette perte de temps et d’un risque de déshumanisation au détriment du soin. « Cette systématisation de la démarche qualité, qui ne s’adapte pas aux particularités des établissements qui doivent l’appliquer ni aux patients qui y sont reçus, finissent à mon sens par nous faire passer deux fois plus de temps sur l’ordinateur qu’auprès du patient. Et nous fait embaucher une qualiticienne à plein temps alors que le kiné ne l’est qu’à 40 % faute de budget » déplore-t-il.
Vite, une certification pour les certificateurs !
Philosophe, Jean-Marie Vailloud conclue que comme dans de nombreux autres domaines, trouver un juste point d’équilibre entre l’absence de traçabilité et d’information et une traçabilité étouffante à force d’être pléthorique apparaît difficile. La lecture de leur témoignage suggère cependant un élément de réponse : la qualité du médecin expert est sans doute essentielle. Sur le blog Grange Blanche, le portrait est plutôt flatteur. « Notre médecin expert était remarquablement méthodique et proche du terrain » note-t-il (une appréciation positive qui n’est peut-être pas totalement étrangère aux bons résultats de l’expertise). Chez le fils du docteur Sachs, le portrait qui apparaît en filigrane laisse deviner un dogmatisme intransigeant et imperméable à toute réflexion critique : « Quand j’ai tenté de te faire partager ce sentiment, tu as taxé mon discours de médiéval, arguant que ce n’était pas entendable de la part d’un président de CME » écrit-il. S’il n’est pas exclu que cette colère soit en partie liée à des résultats de certification peut-être pas totalement satisfaisants, on relèvera qu’au sein du service du fils du docteur Sachs, les experts se suivent et se ressemblent (avec parfois une dose de cynisme, peut-être involontaire, en plus !). Ainsi, à propos de la question de la traçabilité des traitements antibiotiques, il rappelle : « Comme nous l’avait si froidement expliqué ton prédécesseur lors de la certification il y a quatre ans, l’important n’est pas vraiment de le faire, juste de le noter dans le dossier » ! On le voit l’absurdité dogmatique est parfois poussée à l’extrême. A quand une certification des certificateurs ? Une épreuve difficile car les qualités recherchées peineraient à entrer dans des cases.
Pour découvrir les témoignages des deux praticiens rendez-vous
ici :
http://grangeblanche.com/2015/05/31/le-patient-traceur/
http://docteursachs.unblog.fr/2015/05/31/lettre-a-lexpert-visiteur/
Aurélie Haroche