Qui sauve une vie sauve l’humanité tout entière

Pierre Bergé, puis, dans sa foulée le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et les dirigeants de France Télévisions ont remis en cause depuis quelques mois la légitimité du Téléthon.

Si l’on excepte les reproches de Pierre Bergé sur « l’exhibition » de jeunes malades, leur argument principal pour contester cette opération de collecte de fonds privés unique au monde repose sur le succès même de cette manifestation. En « accaparant » les antennes des chaînes publiques durant 36 heures au « profit » de la seule Association Française contre les Myopathies (AFM) et en recueillant ainsi près de 100 millions d’euros chaque année, le Téléthon monopoliserait la générosité des Français au dépend d’autres affections nettement plus fréquentes comme le sida ou le cancer. 

Ces détracteurs (ou ces réformateurs) semblent avoir été entendus.

L’échec du sidaction ne s’explique pas par le succès du Téléthon

En 2010, la collecte a diminué pour la deuxième année consécutive. Et sur notre site un sondage en ligne vient de montrer que la majorité des professionnels de santé étaient favorables soit à une distribution des sommes récoltées à d’autres « causes » médicales (40 %), soit à la suppression pure et simple de cette manifestation (29 %) (sondage réalisé du 23 novembre au 6 décembre 2010 auprès de 334 professionnels de santé).

Bien que la vox populi se soit ainsi doublement exprimée, souvenons-nous que si le peuple est souverain, il n’est pas infaillible.

Sans revenir sur certains des arguments avancés par la Présidente de l’AFM, Laurence Tiennot-Herment, pour justifier cette manifestation, qu’il nous soit permis, une fois n’est pas coutume, de prendre parti dans ce débat et de présenter des moyens de défense qu’elle ne peut développer pour ne pas apparaître agressive vis-à-vis d’autres causes médicales. Il lui est ainsi difficile de rappeler que si le sidaction qui occupait lui aussi primitivement un temps d’antenne très long est un échec relatif ceci est peut-être plus imputable aux choix de ses organisateurs et à la volonté des donateurs qu’au succès de la manifestation créée par Bernard Barataud il y a 25 ans ! Ce succès, que l’on était loin d’imaginer à l’origine, est en fait lié à la conjonction du talent et du professionnalisme des équipes de l’AFM et des aspirations profondes du public.

Une mort annoncée

Mais faisons un peu d’anticipation. Comme l’air du temps le laisse supposer, imaginons que le Téléthon devienne, dès l’année prochaine, une collecte de fonds pour l’ensemble de la recherche médicale.

Si les motifs de dons seront alors multipliés en théorie, nous prenons le pari que les sommes récoltées diminueront très sensiblement, et très régulièrement.
Car sur le terrain on ne pourra mobiliser des dizaines de milliers de bénévoles pour une collecte tout azimut. Parce que le message sera dilué et que l’élan de générosité ne pouvant s’incarner dans quelques visages deviendra bien abstrait.
Car l’on passera d’une logique de dons par définition volontaires (« je donne à qui je veux »), à celle d’une contribution de solidarité à laquelle nos concitoyens n’adhéreront pas nécessairement, la distinction avec les impôts dont ils s’acquittent (et qui servent bien sûr en partie à la recherche médicale et à l’aide aux malades) étant alors bien ténue (« je ne sais pas où ira mon argent »).
Enfin parce que chaque donateur éventuel aura l’impression que sa générosité, dispersé entre mille et une causes qu’il n’a pas choisies, ne pourra avoir de conséquences concrètes.

Cette véritable normalisation d’une opération de solidarité privée au caractère unique, en en faisant un substitut de l’impôt, ne pourra que la tuer. 

Le résultat immédiat sera, non pas un accroissement de la collecte de fonds pour la recherche médicale (pour le sida en particulier), mais un tarissement du financement de très nombreux laboratoires de génétique français qui consacrent leurs efforts à comprendre et à traiter des affections rares.

Ne nous y trompons pas, au nom d’une certaine idée mal assimilée de l’égalité, les collectes de fonds pour le sida ou le cancer n’augmenteront pas tandis que les maladies orphelines mériteront plus que jamais leur nom.

Une logique de marché

Or, les partisans d’une réforme, en apparence altruiste, du Téléthon font l’impasse sur une réalité incontournable. Le sida, le cancer, les maladies cardiovasculaires ou neuro-dégénératives bénéficient déjà de financements publics conséquents et d’investissements massifs de l’industrie pharmaceutique pour cette raison même qu’ils sont fréquents tandis que les dystrophies musculaires ou la mucoviscidose, par exemple, ne peuvent attendre leur salut que de la générosité du public, leur rareté justifiant, même si cela peut apparaître cruel, le désintérêt relatif ou absolu des pouvoirs publics et des industriels.

Souvenons-nous que grâce au Téléthon et à la générosité orientée des français, l’espoir a pu renaître dans le cœur de dizaines de milliers d’enfants et de leurs familles et que la recherche génétique française a pu se hisser ainsi au premier rang (ce qui ne peut que nous rendre fiers). Avec des conséquences positives non seulement pour des maladies rares mais bien évidemment aussi pour nombre d’affections fréquentes.

Rappelons enfin, même si cela n’est pas très politiquement correct, que, pour ne parler que du sida, il y a une différence notable entre cette maladie infectieuse et les affections génétiques. C’est que pour la première nous disposons aujourd’hui de traitements efficaces mis au point et constamment perfectionnés par l’industrie pharmaceutique privée et totalement pris en charge par la collectivité (du moins en France), tandis que pour les secondes, l’espoir de guérison ne repose encore que sur des recherches à but non lucratif dont le rapport coût-efficacité est ontologiquement défavorable. Traiter la progéria qui touche quelques dizaines de patients dans le monde ne pourra jamais être « rentable » et la générosité, qui gratifie tout autant le donateur que le donataire, ne peut s’évaluer à l’aulne de critères purement comptables.

Espérons que nous saurons rester justes en ne tombant pas dans les pièges d’un égalitarisme mal compris qui ne cache en fait qu’une simple logique de marché. 

 

Dr Gilles Haroche
Directeur de la Rédaction

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