
Moscou, le samedi 3 juillet 2013 – L’excellence de la sphère scientifique russe n’est plus exactement ce qu’elle était. Sur son blog Sciences au carré, le journaliste de Libération Sylvestre Huet cite le classement « Sciamago » selon lequel la Russie occupe le 16ème rang en terme de publications scientifiques mondiales (« derrière le Brésil ou Taïwan » note l’auteur du blog) quand elle se hissait au huitième rang en 1996. Sylvestre Huet estime que cette « dégringolade résulte directement de l’abandon de la science (…) par le pouvoir politique ». Néanmoins, persiste en Russie une solide tradition de recherche, ce qui fait écrire à Edouard Brézin, ancien président du CNRS et de l’Académie des sciences que « Nombre de concepts scientifiques de première importance sont nés en Russie ».
Contrôler les biens et restreindre l’influence de l’Académie des sciences
Mais aujourd’hui les conditions de travail déjà dégradées des chercheurs russes pourraient être menacées d’une nouvelle chape politique. Alors que la polémique est quasiment passée inaperçue dans la presse française, Sciences au carré révèle le projet défendu par Vladimir Poutine de refonder totalement l’Académie des sciences russe, institution fondée en 1727 ! Celle-ci devrait être fusionnée au sein d’une entité unique avec l’Académie des sciences médicales de Russie et l’Académie des sciences agricoles. Les objectifs affichés par les pouvoirs publics, dont le projet n’a fait l’objet d’aucune concertation, sont multiples. D’abord, bien sûr, économiques. Le gouvernement déplore en effet qu’en dépit d’une forte augmentation du financement de l’Académie des sciences, les résultats scientifiques escomptés n’ont pas été à la hauteur. Dans cette même perspective, est prévue la mise en place d’une agence chargée de contrôler les biens de l’Académie. Par ailleurs, sans ambages le gouvernement souhaite également restreindre l’influence de l’Académie dont il est dûment précisé qu’elle n’aura plus qu’un pouvoir « consultatif ».
« Faire le ménage »
Sylvestre Huet suggère par ailleurs que la réforme a également probablement pour ambition (même si cela est moins clairement mis en avant) de « faire le ménage parmi le personnel de l’Académie, chercheurs, ingénieurs, personnel technique et administratif ». Il en veut pour preuve le fait que l’ensemble des personnels, scientifiques ou non, de l’actuelle Académie devront de nouveau postuler auprès de la nouvelle entité, où ils ne sont pas assurés de retrouver automatiquement leur poste. « La méthode utilisée est pour le moins révélatrice des pratiques poutiniennes » constate Sylvestre Huet.
Des étrangers pas dupes
De Russie et du monde entier, des voix se sont partout élevées pour dénoncer l’iniquité de cette réforme. « C'est un projet de loi horrible (...) qui vise à détruire l'Académie des sciences la plus importante en Europe, et peut-être dans le monde » s’emporte par exemple le prix Nobel de physique Jaurès Alferov, dans un entretien au quotidien Gazeta.ru, tandis que plusieurs syndicats ont appelé à manifester contre ce projet. A l’étranger, outre le Français Edouard Brézin, « Des Américains, des Britanniques, des Italiens… écrivent (…) aux autorités politiques russes. Probablement motivés par l’idée que derrière l’argument d’efficacité qui sera avancé par le pouvoir (…), la volonté de contrôle politique étroit de la science est à l’œuvre dans cette décision sans précédent par sa brutalité » relève Sylvestre Huet.
Affaire à suivre.
Léa Crébat