Des talents français partout dans le monde
Pourtant, la France est partout. Et certains à l’étranger remarquent même parfois avec un brin de triste ironie qu’il est remarquable qu’avec les faibles moyens dont la recherche française dispose elle puisse conserver un tel niveau. Les Français, eux aussi, sont partout. Le dernier Prix Nobel de médecine a été attribué à une chercheuse ayant fait tout son parcours de formation en France, Emmanuelle Charpentier, tandis que les patrons des laboratoires Moderna ou AstraZeneca sont Français. Français, mais travaillant aujourd’hui ailleurs. Force est de constater que la France ne sait pas conserver ses talents.Sanofi pas si différent de Pfizer
Or, outre ses talents, la France connaît également une structuration qui n’a rien à envier à ses partenaires internationaux. « On retrouve à chaque fois un modèle similaire : une structure universitaire pour la recherche fondamentale, une start-up pour la recherche appliquée, des géants pharmaceutiques signant des partenariats permettant de bénéficier de leur force de frappe en termes de production et de logistique, et un investissement d'origine publique ou privée. Ces associations ignorent les frontières : dans le cas de l'Institut Pasteur, il s'agissait d'une collaboration avec des chercheurs de l'université de Pittsburg, le géant américain Merck, et le ministère de la Santé américain. En plus de son alliance avec le groupe britannique GSK pour son premier candidat vaccin, Sanofi a en outre misé sur l'entreprise américaine de "biotech" Translate Bio, elle aussi spécialisée dans l'ARN messager. Notons au passage que Pfizer n'est pas elle-même une entreprise plus "innovante" que Sanofi - moins de 25 % de ses médicaments ont été développés en interne - et a également supprimé des emplois dans sa branche R&D » nous rappelle Louis Nadau dans Marianne.La faute à pas de chance
Un problème simple : le manque d’argent !
Des rémunérations honteuses
Restreints (même si les comparaisons ne sont pas nécessairement totalement sans biais), ces fonds sont en outre parfois mal employés. D’abord parce que le niveau de rémunération des chercheurs est ridiculement bas, ne pouvant que favoriser une fuite des cerveaux, d’autant plus que pour accéder à ces piètres revenus, les candidats doivent s’engager dans un parcours de titularisation souvent plus ubuesque que pertinent scientifiquement. « Si les dépenses publiques en recherche et développement se situent dans la moyenne des pays de l’OCDE, une note de la direction générale du trésor (2018) indiquait que la recherche publique française se distingue par la proportion élevée de personnels de soutien et la faible rémunération des chercheurs, expliquant un manque d’attractivité pour les éléments les plus brillants » résume Carine Milcent.« Elle est belle la start-up nation »
Cette mauvaise utilisation des fonds disponibles s’observe également dans les projets soutenus. « Par ailleurs, le financement public sur projet par l’Agence nationale de la recherche (ANR) ne favorise pas l’innovation en priorisant implicitement une recherche où les résultats attendus sont anticipés, ce qui est antinomique à la recherche fondamentale. De surcroît, l’articulation entre la recherche et son opérationnalité sous forme de start-up est ralentie par des règles du secteur public en opposition avec celles du privé », explique encore Carine Milcent. L’incapacité de la France à faire la course en tête du développement d’un vaccin contre la Covid révèle de façon criante ces ratés en ce qui concerne le déploiement des start-up de biotechnologie. « Côté start-ups, le bât blesse surtout sur le financement : en France, il est efficace pour amorcer un projet, mais n'est pas suffisamment suivi dans le temps, alors même que la recherche dans le secteur biomédical se fait sur le temps long. Les investissements privés, surtout nationaux, sont insuffisants : à titre de comparaison, là où la structure capitaliste des entreprises biomédicales américaines reposait à 82 % sur des fonds nationaux en 2017 (public et privé confondus), celle des entreprises françaises ne bénéficiait que de 11% de fonds nationaux, selon les chiffres de Biotech France. De sorte qu'on peut parler à cet égard d'un manque de patriotisme économique. Les start-ups françaises lèvent en outre moins d'argent que leurs voisines européennes : pour l'année 2019, 9 millions d’euros en moyenne en France, contre 12 millions au Royaume-Uni et 16 millions en Allemagne. Elle est belle, la "start-up nation"… » ironise Louis Nadau, soulignant la responsabilité du gouvernement actuel qui en dépit de l’affichage d’une volonté de soutenir une économie « disruptive » n’a pas su contrer les schémas sclérosés d’hier. Si un grand nombre de mécanismes d’aide est mis en place par l’État (crédits d’impôts, pépinière…), la frilosité des investisseurs privés est sans doute le résultat d’un défaut de volonté politique, un manquement de la puissance publique, qui ne parvient pas à insuffler une dynamique, à créer les conditions d’une nation scientifiquement innovante. Nombreux sont d’ailleurs les exemples d’entreprises françaises s’expatriant en raison de perspectives plus dynamiques à l’étranger. L’histoire récente donne des illustrations édifiantes de ce phénomène « De ce point de vue, l'histoire de Valneva, start-up française spécialisée dans les vaccins, est éclairante. Après avoir émergé en France, l'entreprise nantaise a dû très vite se marier avec une entreprise autrichienne pour croître. La mise au point d'un vaccin anti-Covid et les besoins de financement afférents notamment pour les essais cliniques ne parviennent pas à capter l'attention des pouvoirs publics. Valneva est repérée par Boris Johnson qui accepte de financer les essais cliniques et une usine en Écosse en échange de l'exclusivité des premières productions de cette usine » nous rappelle Elie Cohen.Il n’y a pas de fatalité
Cette situation est-elle une fatalité ? On peut espérer que les leçons pourraient être tirées de la crise. Il faudrait que nos dirigeants en capitalisant sur les atouts de la France (une formation excellente notamment comme en témoigne par exemple le parcours d’Emmanuelle Charpentier) apprennent à les redéployer en s’inspirant des exemples étrangers, même s’il faudrait peut-être pour cela repenser certaines organisations (comme le fait que les agences de recherche soient d’abord des agences de recrutement avant d’être des agences de financement de projets). Les freins fiscaux à l’investissement du secteur privé devraient également être repensés. Claude Sicard remarque ainsi : « La France manque cruellement de business angels, ainsi que de fonds d’investissements qui viendraient apporter aux jeunes entreprises les capitaux dont elles ont besoin pour croître rapidement. Certes, il s’agit d’investissements à risque, et là aussi la fiscalité a un rôle clé à jouer : elle doit être conçue pour permettre aux détenteurs de capitaux d’orienter leur épargne dans le bon sens, ce qui n’est pas le cas actuellement en France ». Lever les freins réglementaires au développement de technologies innovantes (cellules souches, OGM…) semble également indispensable.La France n’a pas produit de vaccin, et alors ?
Mais une autre méthode, plus fataliste, ou plus réaliste, pourrait être de mesurer la bizarrerie de ces réflexes nationalistes. La pandémie a de fait permis de constater que ce fort sentiment nationaliste était loin d’avoir disparu : comparaison des performances des pays, dénomination trompeuse des variants en référence au pays où ils ont été séquencés pour la première fois, accumulation des clichés sur les prétendus caractères des peuples l’ont mis en évidence. Pourtant, la pandémie le rappelle également : les frontières sont aujourd’hui plus que fictives et les échanges mondialisés structurent notre façon de vivre, tandis que les différences entre les peuples sont probablement moins fortes que celles qui existent entre les classes sociales. Dès lors, les « affects » nationalistes, pour reprendre l’expression de l’historien Jean-Baptiste Fressoz (chercheur au CNRS) à propos de la course au vaccin peuvent être perçus de façon un peu incongrue. « Parmi les effets secondaires du vaccin contre le Covid-19, peut-être faudrait-il ajouter les bouffées actuelles de nationalisme. (…) Les infographies associent à chaque vaccin un petit drapeau (alors qu’on ignore en général la nationalité des médicaments que l’on ingère). Les cas du Spoutnik V russe ou du Royaume-Uni post-Brexit, si fier de son « vaccin d’Oxford », paraissent clairs. Mais le nationalisme est toujours plus visible chez les voisins et la façon dont l’échec de Sanofi a été vécu en France comme un affront national, comme un signe de déclassement non seulement de la recherche pharmaceutique mais du pays tout entier, témoigne, à sa manière, de la prégnance d’un affect nationaliste particulier : le patriotisme technologique. Il s’agit là d’une passion ancienne. (…) Les vaccins actuels démontrent bien mieux encore la nature globale de la science vaccinale et de l’industrie pharmaceutique contemporaine. Les savoirs sur l’ARN messager ont été construits par une communauté cosmopolite de chercheurs. Et les vaccins sont produits par des entreprises globales par leurs implantations industrielles, leurs marchés, leurs subventions publiques, leurs capitaux et leur recherche et développement. C’est ce que rappelait le patron de Sanofi au gouvernement français : son entreprise n’est pas plus française qu’américaine. Et on voit aussi à l’occasion des disputes sur les vaccins la nature également cosmopolite du management : AstraZeneca et Moderna sont dirigées par des Français et Sanofi, notre « fleuron national », par un Anglais… D’une manière générale, le nationalisme technologique est un phénomène intellectuel étrange. Pour deux raisons tout à fait évidentes. Premièrement, tout comme il est souvent délicat d’attribuer un inventeur à une technologie, il est aussi difficile de lui donner une origine nationale. Deuxièmement, chaque pays ne représentant qu’une petite partie de l’humanité (1 % pour la France), il est au fond tout à fait normal, naturel et même sain que la plupart des techniques que nous utilisions proviennent de l’étranger » analyse ainsi dans Le Monde le chercheur historien nous invitant à un autre regard sur notre déclassement. Ici, alors la grandeur de la France pourrait s’illustrer d’une autre manière, par exemple en se faisant leader pour garantir l’accès des pays pauvres aux précieux vaccins. Emmanuel Macron s’y est essayé, mais sa proposition que 5 % des vaccins achetés par les Etats-Unis et l’Europe soient réservés aux états les plus pauvres à la veille du G7 la semaine dernière n’a pas été retenue par ses partenaires. Et s’il était là le déclassement français ?Carine Milcent : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/12/vaccins-anti-covid-19-l-echec-de-la-france-est-lie-a-la-lourdeur-et-a-la-rigidite-des-instances-de-regulation_6069670_3232.html
Louis Nadau : https://www.marianne.net/societe/sante/echecs-de-sanofi-et-de-linstitut-pasteur-dou-vient-le-retard-de-la-recherche-francaise
Elie Cohen : http://www.slate.fr/story/201588/sanofi-echec-vaccins-covid-19-lecons-politique-industrielle-critiques-systeme-france-sante
Frederic Cherbonnier : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-recherche-francaise-les-raisons-dun-echec-1285083
Jean-Baptiste Fressoz : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/16/vaccins-anti-covid-19-l-echec-de-sanofi-temoigne-de-la-pregnance-d-un-affect-nationaliste_6070189_3232.html
Aurélie Haroche