
Paris, le samedi 23 novembre 2013 – Médecin et journaliste connu (et reconnu) Jean-Daniel Flaysakier tient un blog qui compte parmi les plus lus de la blogosphère médicale, succès qu’il ne doit pas seulement à sa notoriété mais également à la pertinence de nombre de ses analyses. Ces dernières renvoient dans la très grande majorité des cas à l’actualité médicale récente et tentent de mettre en évidence certains mécanismes mal perçus et des enjeux inattendus. Rarement, Jean-Daniel Flaysakier se laisse aller à l’anecdote personnelle. Il fait exception dans une de ses dernières notes en racontant l’épreuve traversée par l’un de ses amis Monsieur S. On retiendra que cet homme d’une cinquantaine d’années présentant une fièvre persistante depuis plusieurs jours, un taux de neutrophile élevé et une CRP à 215 mg/L sans signes digestifs, respiratoires ou urinaires marqués s’est rendu aux urgences d’un hôpital universitaire de la proche banlieue ouest de Paris, muni d’une recommandation de son médecin. Après quelques heures d’attente, le diagnostic de pneumopathie est établi et une hospitalisation est proposée au patient. Jean-Daniel Flaysakier rapporte : « Monsieur S. est originaire d’un pays de l’Est qu’il a quitté il y a très longtemps et dont les hôpitaux n’avaient pas une belle réputation. Fébrile, anxieux il reconnait avoir eu une bouffée d’angoisse, peur de se retrouver dans une salle commune à vingt lits. Il refuse donc l’hospitalisation. Derechef, le médecin lui fait signer un document de sortie contre avis médical. Cela fait cinq minutes qu’il a signé et son épouse m’appelle, folle d’inquiétude. Elle me passe son mari à qui j’explique que son état risque d’être difficile à surveiller à la maison, étant donné son extrême fatigue, la température qui est à quasiment 40° et une épouse morte de peur. Il retourne immédiatement dans le service, présente ses excuses au personnel et dit qu’il souhaite être donc hospitalisé. La réponse est nette et précise : ‘Vous avez refusé l’hospitalisation, retournez donc en salle d’attente et on vous verra quand ce sera votre tour ».
Punition
Fiévreux et chancelant, l’homme regagne donc la salle d’attente et ni les alertes de son épouse redoutant que son mari « ne s’écroule », ni l’appel de Jean-Daniel Flaysakier au chef du service des urgences ne permettront de réduire cette nouvelle attente. Finalement, aux termes de démarches sur lesquelles Jean-Daniel Flaysakier ne s’appesantit pas, ce sont les urgences de l’Hôpital européen Georges Pompidou qui accueilleront le patient arrivé en ambulance. « Une équipe compétente et courtoise le prendra rapidement en charge et fera une série d’examens biologiques et d’imagerie qui confirmera entre autres la pneumopathie hautement fébrile et une décompensation cardiaque modérée » précise le blogueur. Pour Jean-Daniel Flaysakier, cette histoire, la « punition » qu’on a semblé vouloir imposer à ce patient pour ces « quelques secondes d’égarement » et la façon dont il a été traité en dépit de son état de fatigue sont « lamentables ». « Ce patient fébrile et fatigué a bel et bien été renvoyé prendre son tour alors que son cas aurait pu être géré rapidement et autrement. Le personnel médical et paramédical s’est visiblement comporté de façon étonnante vu la fatigue de cet homme (…). Je conçois parfaitement que la vie des personnes travaillant dans ces services d’urgence soit difficile. Manque de moyens, manque de personnel, patients agressifs, manque de collaboration des services d’aval qui trainent des pieds pour recevoir les malades. Mais je ne conçois pas qu’on puisse à ce point manquer d’humanité pour infliger à un patient ayant une pneumopathie fébrile et un tableau clinique et biologique sévères une punition sous la forme d’un délai d’attente de plusieurs heures pour avoir eu cinq minutes d’égarement », conclue-t-il.
Et alors ?
Cette anecdote qui a apparemment sérieusement ébranlé le blogueur et l’a alerté une nouvelle fois sur le « fonctionnement psychologique » défaillant de certains médecins n’est pas restée sans commentaire. Si plusieurs lecteurs ont partagé l’indignation de Jean-Daniel Flaysakier, une voix dissonante a un peu moqué cette histoire arrivée à « un ami de » pour lequel tout s’arrange « en trois coups de fil » et dont le « pronostic vital n’était quand même pas engagé ». Au-delà du caractère peu affable de ce commentaire, on peut (en écartant l’inévitable impossibilité de vérifier parfaitement les faits) s’interroger sur la valeur d’exemplarité de cette histoire. Un médecin, un jour, dans un service d’urgence a fait passer son agacement avant la compréhension et l’humanisme qui doivent toujours guider les praticiens. Peut-on en conclure quoique que ce soit sur le fonctionnement des urgences et des médecins, si ce n’est que comme dans toutes les catégories, il en est des pires que d’autres ? Existe-t-il des indices permettant de croire que cette punition, aussi « lamentable » soit-elle, est un symbole des dysfonctionnements des services des urgences ? Sans doute pas. Et au final, à l’exception de ce que cette histoire rappelle en filigrane sur les longues heures d’attente dans les services d’urgence, il ne semble pas qu’elle puisse avoir une quelconque valeur d’exemple. Il semble donc qu’il faille considérer cette note comme une « exception » sur un blog habituellement consacré à des analyses moins intimistes.
Aurélie Haroche