Rendons sa conscience au pharmacien !

Paris, le samedi 30 juillet 2016 - Lancée dans le cadre de la refonte du code de déontologie des pharmaciens, une consultation concernant l'éventuelle instauration d’une clause de conscience pouvant être invoquée par les pharmaciens face à certains actes, attentant à la vie, a été suspendue en raison du tollé provoqué. Le ministre des Familles s’est notamment offusqué d’un projet qui pourrait selon elle avoir pour conséquences de permettre aux pharmaciens de refuser la délivrance de la pilule, voire du préservatif.

Face à cette levée de boucliers, la présidente de l’Ordre des pharmaciens a décidé de retirer la question litigieuse, non sans avoir effectué une petite mise au point.  « Les débats qui se sont déroulés au sein de l’Ordre sur cet article n’ont jamais porté sur la contraception mais sur la fin de vie, situation souvent très délicate à gérer par les pharmaciens de ville et d’hôpital » a ainsi souligné Isabelle Adenot qui a ajouté qu’il n’était « évidemment pas question dans cette proposition de texte, de pilule du lendemain, de stérilet ou même de préservatif ! ». La potion n’a pas totalement soulagé les nombreux pharmaciens hostiles à l’instauration d’une clause de conscience, dont nombreux ont signé une pétition dans ce sens et qui sont soutenus par au moins deux syndicats (la FSPF et l’USPO). Ils espèrent en effet aboutir à un retrait total du projet, ce que pourrait décider l’Ordre le 6 septembre prochain. Mais d’autres considèrent au contraire que la mise en place d’une clause de conscience offrirait une véritable reconnaissance au rôle et à la responsabilité du pharmacien et permettrait de ne plus le cantonner à un simple rôle de prestataire de services. C’est le sens, à contre courant, de la tribune que nous a adressée un collectif de pharmaciens.

Par un collectif de pharmaciens*

Pharmaciens concernés par la clause de conscience qui fait actuellement débat, nous sommes atterrés de la confusion et des levées de boucliers des derniers jours. Drôle de campagne où un seul son de cloche est entendu.

Qu’est donc devenu le métier de pharmacien en France aujourd’hui ? Simple exécutant du désir des patients ? Les responsabilités du médecin et du pharmacien ont évolué, les pratiques pharmaceutiques s’y sont adaptées et ses missions ont été reformulées. Mais alors que les médecins et auxiliaires de santé se sont vus reconnaitre une clause de conscience, les pharmaciens en ont été privés.

Pourquoi un tel déchainement contre une clause de conscience pour un professionnel de santé ?

Pas un caprice

Demander une clause de conscience en matière grave, comme l’avortement ou l’euthanasie, n’est pas un caprice de quelques personnes isolées pour satisfaire leur confort personnel : dans un cadre législatif qui évolue rapidement, il s’agit bien au contraire de reconnaitre pleinement le rôle du pharmacien au sein de la chaine de santé. 85 % des pharmaciens y sont favorables selon l’enquête coordonnée par le CSA en début d’année.

Il ne s'agit pas d'une "mesure anti-avortement", et les réactions émises depuis quelques jours sont paradoxales: si ces personnes souhaitent être libres d'agir comme bon leur semble, pourquoi le pharmacien ne serait-il pas libre lui aussi ? N'y-a-t-il pas là un totalitarisme qui s'exerce sur le pharmacien ?

Quid de l'autonomie du pharmacien ?

Les réactions plaident pour l'"autonomie du patient", soit, mais quid de l’autonomie du professionnel ?
Il faut à ce propos noter que l'article du code, tel qu'il était  rédigé, stipule qu'en cas de refus, le pharmacien doit donner les informations pour que le patient puisse voir sa demande exécutée. Accorder la clause de conscience de manière encadrée permettra de fixer les règles et d’éviter les dérives.
Si le pharmacien s’incline devant la volonté de ses patients, sous prétexte qu’il est à leur service, qu’il doit respecter leur conscience, leur liberté, n’est-ce pas une démission du professionnel de santé qui accepte d’être un prestataire de service ?

Que cette question entraîne un débat est une excellente chose ; il n'en est que temps pour notre profession qui prend enfin toute sa place dans l'éducation à la santé et le parcours de soins ! Mais un débat apaisé et serein, loin de toute revendication idéologique !

Pharmaciens, nous demandons à l’Ordre le maintien d’une clause de conscience dans le code de déontologie, seule possibilité pour rester des professionnels responsables.

 

*Josiane Justin, Raphaëlle Socirat, Florence Sirot, Marie-Reine Marot, Agnès Recoussine, Camille Yaouanc, Timothée Fontaine, étudiant en pharmacie, Sophie Gueroult, Mathilde Lavergne, Celine Gonzalez, Helene Lafargue, Anne-Sophie Guirriec, Amaury Boutin, Marie-Clotilde Mermet, Sophie Le Taillandier, Laurence Vanneste, Ludivine de Marignan, Jean Delibes, Anne Couaillier, Tiphaine Manac'h, Aude Nkili Bengone, étudiante en pharmacie, Eva Frerot, Pauline Wizniak, Victoria Phamba, Alexandre Siri, Bazolia Andrianorosoa, Laure de Penfentenyo, Axel Subra de Salafa,

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Vos réactions (10)

  • Des pharmaciens en mal de reconnaissance !

    Le 30 juillet 2016

    Pourquoi une clause de conscience à une profession qui détient le monopole de la délivrance des produits médicamenteux ? Décidément les pharmaciens" brassent beaucoup d'air" en ce moment, ils sont vraiment en mal de reconnaissance...

    M. Berthomé-Bel

  • On oublie l'essentiel...

    Le 31 juillet 2016

    Personnellement, je suis totalement d accord avec le point de vue. Bien qu’opposé à cette clause qui concerne la contraception dans son ensemble, j estime qu’on a raté là un vrai débat d’idées sur la fin de vie..... Ce qui manque cruellement dans notre métier. La question n’est pas ce que pense une ministre désœuvrée... Je lui poserais une question simple : « Madame, accepteriez vous de délivrer un produit dont vous savez qu’il va entraîner irrémédiablement la mort de la personne en face de vous et que vous regardez dans les yeux ? » Si elle a le courage de répondre franchement, je la féliciterais....
    Il faut remettre du sens dans l'acte pharmaceutique... A trop parler uniquement d’argent, on en oublie l'essentiel à mon avis... Dommage...

  • Une exception pour les pharmaciens ?

    Le 01 août 2016

    Pourquoi les pharmaciens seraient les seuls professionnels de santé à être privés d'une clause de conscience?
    R. Lurois

  • Le Pharmacien a aussi une conscience !

    Le 01 août 2016

    Merci pour le courage de défendre la clause de conscience du Pharmacien et de demander à corriger ce qui est une injustice!
    Comment considérer sinon le fait l'opticien-lunetier ait droit à une clause de conscience en matière d'avortement et pas le Pharmacien ! On marche sur la tête.
    Dans un pays d'égalité absolue, il est plus que temps que la clause de conscience soit accordée à la profession !
    J. Dekponto

  • Inadmissible !

    Le 01 août 2016

    Autoriser un pharmacien à refuser un médicament reconnu comme tel par le Ministère de la Santé est inadmissible car c'est son métier de le vendre. Rien n'empêche, par contre, le pharmacien d'en indiquer les risques s'il estime que ce médicament ne convient pas à ce malade.
    G. Roche

    Il peut, par contre, refuser une "substance" homéopatique" puisqu'elle n'est pas reconnue comme médicament par le Ministère de la Santé.

    Il serait indispensable d'autoriser les pharmaciens à faire des vaccins car, grâce à leur données, ils peuvent détecter ceux qui n'ont pas été vaccinés, notamment les patients âgés.

    Docteur Guy ROCHE

  • Clause de conscience et soins palliatifs

    Le 01 août 2016

    Dans le cadre de la loi Léonetti, un médecin au domicile peut avoir à prescrire des médicaments tels hypnovel morphine scopolamine etc... Ces prescriptions sont la preuve d'un accompagnement long pénible pour tous, mais surtout comme toujours, de souffrance pour un patient et des aidants. Et le fruit de décisions collégiales: médecin de réseau, ide, médecin traitent, spécialiste hospitalier, famille. Comment serait compris par l’aidant, au nom de la conscience, le refus de délivrance d'un traitement qu'il vous apporte, souvent dans le cadre d’une urgence, cette ordonnance, bien lourde au sens propre et figuré ?

    Jusqu'à ce jour, je reçois régulièrement des coups de fil de pharmaciens de mes patients me demandant de confirmer telle interaction ou dosage: leur vigilance et leurs conseils sont écoutés des médecins et des patients. S ils veulent commenter nos prescriptions, ils le font déjà, s ils veulent s'opposer aux ordonnance de palliatif, je propose qu'ils viennent au domicile des patients nous remplacer: nous manquons de médecins !

  • Une disposition contradictoire à l'organisation des soins !

    Le 02 août 2016

    La contraception a été autorisée en France depuis 1972 et intégrée dans les études de pharmaciens depuis cette période. La plupart des pharmaciens qui exercent actuellement leur profession ont été confrontés à la contraception durant leurs études... En tant que pharmacien, je trouve assez choquant que l'on veuille limiter nos activités professionnelles alors même que nous sommes informés dès le début de nos études du champ complet de ces dernières (qui ne peut être modifié, puisqu'il n'y a jamais eu de clause de conscience).
    Pourquoi la clause de conscience est problématique? Rappelons que le Code de déontologie est l'instrument d'une profession pour gérer la situation de conflit entre les deux rôles qu'ont les pharmaciens (et la plupart des professionnels de santé) : celui de fournisseur de services et produits, et celui d'agent (qui agit pour le compte du patient et dans son intérêt, notamment lorsque le patient n'a pas toutes les connaissances pour faire un choix éclairé).
    Or, en instaurant une clause de conscience, on accepte que notre fonction d'agent soit biaisée, notamment parce que les pharmaciens seraient autorisés à ne présenter que certaines recommandations /solutions au patient, alors même que d'autres solutions pourraient être compatibles avec les valeurs du patient et plus appropriées.
    Par ailleurs, la distribution géo-démographique des pharmacies implique une absence de compétition entre des pharmacies, car dans une même zone géographique, il ne peut y avoir qu'une seule pharmacie. Cette zone est définie par un bassin de populations qui y réside... Ceci implique une attente des pouvoirs publics (qui ont instauré cette distribution) que la pharmacie soit à même de fournir l'ensemble des services et produits à cette population.
    L'instauration d'une clause de conscience sera contradictoire avec cette distribution des pharmacies qui assure un accès équitable aux pharmacies. La possibilité d'un refus de dispensation (pour des raisons personnelles) reviendrait donc à rendre caduque cette organisation des soins!

    L. Besancon, un pharmacien

  • Les pharmaciens sont des professionnels de santé

    Le 04 août 2016

    Hé ho! En tant que docteur en pharmacie, il nous est possible de refuser une délivrance 'si le traitement est susceptible d'être détourné de son usage' et nous ne sommes pas des distributeurs de médicaments, contrairement à ce que je viens de lire. Et cela ne changerait rien d'être au chevet du patient, où il y a les médecins, les infirmières et les familles.
    Le pharmacien n'est pas médecin et aucun médecin n'est pharmacien. Les métiers sont séparés depuis longtemps pour que chacun ait son champ de compétence, et que le pharmacien serve de garde-fou aux médecins. Désolée, nos connaissances sont complémentaires !
    Dans toutes ces réactions, on s'éloigne fort de la clause de conscience...
    Je refuse qu'un pharmacien fasse jouer sa clause de conscience parce qu'il est de telle ou telle croyance ou secte.
    Je refuse qu'au prétexte de clause de conscience, on refuse une pilule du lendemain à une femme, honte au pharmacien.
    Je refuse également qu'au même prétexte un médecin refuse la prescription d'une pilule du lendemain ! Et pourquoi ne pas remettre en cause la loi Veil et relancer la mode des faiseuses d'anges?
    Je refuse d'être le sous-fifre du médecin, j'ai mon mot à dire et je dois l'en informer (même si je me heurte avec celui-ci) mais mes arguments ne doivent pas être basés sur ma CONSCIENCE, mais sur la SCIENCE.
    (Et l'opticien lunetier n'a pas de clause de conscience sur l'avortement, il a juste un avis personnel, qui n'influe en rien dans son travail.)
    Par ailleurs, les débats de l'Ordre brassent sûrement de l'air, mais ne signe pas un besoin de reconnaissance de la profession. L'Ordre n'est qu'un Ordre, il fait du brassage d'Ordre, rien à voir avec les personnes qui payent leurs cotisations pour ça.
    Je préfèrerais qu'on augmente mon salaire de 2 euros par patient, au lieu de baisser encore le prix des médicaments, ce qui continue inexorablement...
    J'aimerais que notre profession soit défendue au plus haut niveau, pour que tout le monde puisse vivre et que les patients soient tous traités à égalité sur tout le territoire.
    Je me répète, mais l'égalité passe par une SCIENCE commune à tous les professionnels.
    Malheureusement, on nous prendra encore longtemps pour de simples commerçants, la sécu et les politiciens nous font disparaitre comme les grandes surfaces ont fait disparaitre les épiceries de quartier. Et tout le monde s'en fiche, on préfère en faire des caisses sur une clause de conscience
    Mme Desclodures
    Pharmacien et Docteur en Pharmacie avec un vrai doctorat scientifique

  • Clause de non-conscience de son rôle !

    Le 07 août 2016

    Qu'un(e) pharmacien(ne) refuse de "prescrire" ceci ou cela selon sa conscience paraît fort moral à première vue.
    MAIS...
    *ces "praticiens" dispensent chaque jour d'innombrables produits dits "de comptoir" dont l'utilité est certainement nulle (leur nocivité peut-être pas...). Ceci ne semble pas attenter à leur "conscience".
    *lorsqu'un médecin a prescrit ceci ou cela, leur rôle se réduit à la dispensation du produit. En cas d'hésitation (dosage, forme, compatibilité,...), ils ont le droit, voire le devoir d'entrer en contact avec le prescripteur pour l'aviser de leur doute. Mais le prescripteur reste maître et seul responsable de la décision.
    *et lorsque le pharmacien est de garde, il serait parfaitement indécent qu'il se permette de refuser d'exécuter une prescription quand aucun confrère n'est disponible!
    *la Science pharmaceutique a pour objet la préparation, la conservation, le contrôle de conformité et la dispensation de la "materia medica". Absolument pas de juger de l'opportunité philosophico-mystico-religieuse de telle prescription. Ou alors, il faut créer un Ordre des Pharmaciens Halal !
    C. Kariger

  • Science sans conscience ...

    Le 07 août 2016

    Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. (citation ancienne qui peut être modernisée).
    B. Hoche

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