Pierre Corvol *, Joël Ménard **, et Jean-François Bach *
La sortie programmée le 21 février du livre de Philippe Even, "La vérité sur le cholestérol", annoncée à grand renfort de Unes de news magazine et d'interviews télévisées a laissé pantoise la rédaction du Jim.
Fallait-il, comme l'on fait beaucoup de nos confrères de la presse médicale ou comme un large panel de sociétés savantes (et jusqu'à la HAS), répondre point par point aux affirmations péremptoires de Philippe Even en nous basant uniquement sur ses apparitions médiatiques, alors que par hypothèse nous n'avions pas pu lire son livre.
Fallait-il rédiger un éditorial vengeur contre ce pourfendeur de la "Faculté" qui n'est pourtant audible que grâce à son titre universitaire et s'essayer à des titres cinglant du genre " La vérité sur Philippe Even. Et s'il était dangereux ?"
Fallait-il au contraire, ne pas tomber dans ce piège et refuser de participer à la promotion de ces thèses conspirationistes en nous en faisant l'écho dans nos colonnes ?
Découragés par avance par les invectives (naïfs, vendus, ignorants incapables de lire une étude scientifique !) auxquelles toute riposte ou tout silence nous exposerait nous avons choisi de nous refugier, une fois n'est pas coutume, derrière la plume de trois de nos maitres, les professeurs Corvol, Ménard et Bach. Tous trois signent un communiqué sobre de l'Académie de Médecine sur cette question, devenue à la faveur de cette entreprise de marketing une affaire de santé publique.
Gageons au moins que ces 3 signataires ne seront pas considérés par l'auteur de "La vérité sur le cholestérol" comme des incultes et qu'il ne pourra affirmer que Pierre Corvol, pour ne parler que de lui, après avoir dirigé des groupes de chercheurs (et de trouveurs) sur le système rénine-angiotensine-aldostérone à l'Université puis au Collège de France, ignore le rôle éminent du cholestérol dans la synthèse des hormones stéroïdes ou dans la structure des membranes cellulaires !
Nous publions donc ici ce communiqué, avec l'aimable autorisation de l'Académie nationale de Médecine.
La rédaction
Les informations actuellement diffusées dans la presse nationale sur la signification des concentrations du cholestérol sanguin et les prescriptions de statines conduisent l’Académie nationale de médecine à diffuser l’avertissement suivant :
« La mise en évidence dans toutes les populations de l’association des maladies cardiovasculaires à la concentration dans le sang des lipoprotéines qui transportent le cholestérol est l’une des plus grandes découvertes unanimement reconnues de l’épidémiologie contemporaine mondiale (1-3). On meurt d’autant plus vite de maladie cardiovasculaire que sont élevés les concentrations sanguines de ces lipoprotéines, dites LDL. Cette observation a été rapportée autant pour les valeurs les plus basses que pour les valeurs les plus hautes comme le montrent les constatations faites dans certaines familles, qui sont ou protégées des maladies cardiovasculaires mortelles (valeurs basses) ou y sont exposées (valeurs hautes).
La découverte des mécanismes qui déterminent ces concentrations est l’une des plus belles de la médecine moderne. Michael Brown et Joseph Goldstein, prix Nobel en 1985, découvrent comment les récepteurs des lipoprotéines des cellules régulent la synthèse du cholestérol (4). Akira Endo, prix Lasker en 2008, donne au monde les outils nécessaires à la synthèse et à la fabrication de plusieurs statines, aux caractéristiques pharmacologiques différentes (5).
En un quart de siècle, chez plus de 170.000 personnes, hommes et femmes, âgés de trente à quatre vingt ans, les scientifiques de tous les pays ont réalisé des études rigoureuses sur les effets de ces médicaments (6,7). Ils ont démontré leur bénéfice dans la prévention de la récidive des accidents cardiovasculaires. Ils ont ensuite démontré un effet bénéfique chez les adultes n’ayant pas encore eu d’accident cardiovasculaire.
Une baisse de 40mg /dl de la concentration plasmatique de LDL cholestérol réduit les accidents cardiovasculaires majeurs d’environ 20 pour cent et la mortalité totale d’environ 9 pour cent (6,7)
En association avec tous les progrès médicaux et sociaux des dix dernières années, les statines participent à une réduction continue des décès cardiovasculaires. En France, ceux-ci ont diminué de 40 pour cent entre 2000 et 2010, selon les données du CepiDc Inserm (8).
Les effets secondaires propres aux statines existent et sont connus. Ce sont des complications musculaires qui, si elles sont sévères, imposent l’arrêt du traitement.
L’utilisation des génériques diminuant le coût du traitement (9) le rend économiquement avantageux dans toutes les indications actuelles formulées par la Haute Autorité de Santé (10).
La recherche sur les lipoprotéines continue activement dans le monde entier, car les besoins de réduire les taux plasmatiques de LDL ne sont pas couverts par les seules statines, et des découvertes récentes (11) donnent de nouveaux espoirs pour les cas les plus graves ou les intolérances aux statines.
Ce résumé de plus d’un demi siècle de médecine conduit à recommander d’éviter tout arrêt d’une prescription de statine surveillée régulièrement par le médecin traitant et le pharmacien. Une méfiance injustifiée vis-à-vis de l’intérêt des mesures de la cholestérolémie et des prescriptions initiales de statines conformes aux recommandations actuelles aurait sur plusieurs années, plus de risque d’être dangereuse que bénéfique pour les personnes qui accorderaient crédit aux opinions défavorables diffusées largement dans la presse par quelques uns. Il est indispensable que chacun fonde son opinion sur la base des résultats bénéfiques validés en toute indépendance par l’ensemble du monde scientifique, tels qu’ils sont résumés dans ce communiqué. Le choix d’être traité pendant de nombreuses années relève de chaque personne, complètement informée par le médecin traitant et le pharmacien, selon son histoire médicale complète, son âge, son sexe, ses antécédents familiaux, et son taux de lipoprotéines LDL dans le sang ».
* Membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie des
sciences ; ** Membre associé de l’Académie nationale de pharmacie
et Ancien Directeur général de la santé.
Références
1. Epidemiological studies related to coronary heart
disease: characteristics of men aged 40-59 in seven countries. Keys
A, Aravanis C, Blackburn HW, Van Buchem FS, Buzina R, Djordjević
BD, Dontas AS, Fidanza F, Karvonen MJ, Kimura N, Lekos D, Monti M,
Puddu V, Taylor HL. Acta Med Scand Suppl. 1966;460:1-392.
2. The development of coronary heart disease in relation to
sequential biennial measures of cholesterol in the Framingham
study. Kahn HA, Dawber TR. J Chronic Dis. 1966 May;
19(5):611-20
3. Effect of potentially modifiable risk factors associated
with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study):
case-control study. Yusuf S, Hawken S, Ounpuu S, Dans T, Avezum A,
Lanas F, McQueen M, Budaj A, Pais P, Varigos J, Lisheng L;
INTERHEART Study Investigators. Lancet. 2004 Sep
11-17;364(9438):937-52.
4. Role of the low density lipoprotein receptor in regulating
the content of free and esterified cholesterol in human
fibroblasts. Brown MS, Faust JR, Goldstein JL. J Clin Invest. 1975
Apr;55(4):783-93
5. Competitive inhibition of 3-hydroxy-3-methylglutaryl
coenzyme A reductase by ML-236A and ML-236B fungal metabolites,
having hypocholesterolemic activity. Endo A, Kuroda M, Tanzawa K.
FEBS Lett. 1976 Dec 31;72(2):323-6.
6. The effects of lowering LDL cholesterol with statin
therapy in people at low risk of vascular disease: meta-analysis of
individual data from 27 randomised trials. Cholesterol Treatment
Trialists' (CTT) Collaborators, Mihaylova B, Emberson J, Blackwell
L, Keech A, Simes J, Barnes EH, Voysey M, Gray A, Collins R,
Baigent C. Lancet. 2012 Aug 11;380(9841):581-90.
7. Statins for the primary prevention of cardiovascular disease.
Taylor F, Huffman MD, Macedo AF, Moore THM, Burke M, Davey Smith G,
Ward K, Ebrahim S. Cochrane Database of Systematic Reviews 2013,
Issue 1
8. En ligne dans : www.cepidc.inserm.fr.
9. Cost-effectiveness of statin therapy for primary
prevention in a low-cost statin era. Lazar LD, Pletcher MJ, Coxson
PG, Bibbins-Domingo K, Goldman L. Circulation. 2011 Jul
12;124(2):146-53.
10. Haute Autorité de Santé. Communiqué de presse: pour un bon
usage des statines. 14 février 2013
11. Mutations in PCSK9 cause autosomal dominant
hypercholesterolemia. Abifadel M, Varret M, Rabès JP, Allard D,
Ouguerram K, Devillers M, Cruaud C, Benjannet S, Wickham L, Erlich
D, Derré A, Villéger L, Farnier M, Beucler I, Bruckert E, Chambaz
J, Chanu B, Lecerf JM, Luc G, Moulin P, Weissenbach J, Prat A,
Krempf M, Junien C, Seidah NG, Boileau C. Nat Genet. 2003
Jun;34(2):154-6