
Paris, le samedi 3 avril 2021 - « Vous n’auriez pas une
blouse propre ? ». La scène dans le film Hippocrate de Thomas
Lilti a fait beaucoup sourire, pour sa justesse.
Quand le jeune interne s’étonne que dans un sous-sol mal
éclairé, la première blouse qu’on lui donne pour commencer sa
carrière soit constellée de tâches et peu adaptée à sa taille, il
peut rapidement oublier ses rêves d’arrivée triomphale. Les
soignants ont répété à l’envie depuis le début de la crise
sanitaire qu’ils n’étaient pas des héros. Et s’il l’oubliait,
l’hôpital et ses blouses tachées, ne se priveraient pas de leur
rappeler.
Des masques de cinéma
« Ce sont des tâches propres » répond-t-on à Benjamin. Là aussi, tout est dit. Sur cet hôpital qui manque de moyens et qui survit grâce à des rafistolages. Thomas Lilti le savait. Mais il avait comme oublié. « Quand je suis arrivé à l'hôpital, c'était très concret. On n'était tellement peu préparés, d'un point de vue logistique, à accueillir une crise sanitaire qu'il a fallu réorganiser les locaux. Tendre des bâches, se protéger comme on le pouvait pour combler l'absence des masques et des blouses. Tous les services essayaient de trouver des lits et des places pour les patients », a-t-il raconté il y a un peu plus d’un mois sur le plateau de l’émission Clique, ajoutant : « En France on sait gérer une crise sanitaire. Mais l'outil est tellement abîmé, les soignants sont déjà dans une telle difficulté, que c'est la fameuse goutte d'eau qui fait déborder le vase ». Face au dénuement de l’hôpital, le cinéaste qui était justement en train de réaliser une série hospitalière (Hippocrate) a donné des masques et des gants et prêté des brancards à l’établissement débordé.Qu’est-ce qui prouve que je suis réellement médecin ?
Mais pourquoi seulement était-il là, Thomas Lilti, qui après avoir fait sa médecine, sans doute en partie pour répondre à un impératif d’excellence familial, a finalement choisi de s’émanciper en devenant cinéaste ? « Quand je retourne à l'hôpital, beaucoup de copains me disent c'est super, ça va te faire plein d'idées pour tes films. C'était pas du tout ça » a-t-il confié au Parisien. Croyez-les sur parole, quand les soignants vous disent qu’ils ne sont pas des héros. S’ils font « ça » c’est justement pour savoir qui ils sont. C’est que raconte Thomas Lilti dans son ouvrage Le Serment, écrit après son expérience de quelques semaines à prêter main forte aux équipes de Robert Ballanger, alors que faute d’avoir payé sa cotisation à l’Ordre, il ne peut assurer toutes les missions. « Parfois je me demande ce qui est du domaine de la fiction et ce qui est du domaine de la réalité. Qu’est-ce que j’ai inventé pour mes personnages et qu’est-ce que j’ai vraiment vécu ? Est-ce que moi je les ai passés, mes diplômes ? J’ai des montées d’angoisse. Qu’est-ce qui prouve, là, maintenant, que je suis réellement médecin ? On pourrait essayer de trouver des gens qui voudraient témoigner pour moi. On pourrait essayer de retrouver un exemplaire de ma thèse, mais j’ai cherché et je ne sais pas où est ma thèse, elle n’est pas à la bibliothèque universitaire, j’ai appelé, ils n’ont pas de traces de ma thèse de docteur en médecine. Elle doit être quelque part chez mes parents mais la seule chose que j’ai trouvée, c’est un petit papier du médecin qui a été mon directeur de thèse, et dans son CV il y a marqué qu’il a été le directeur de la thèse de Thomas Lilti. Ça me rassure un peu, mais est-ce que cela prouve que je suis docteur en médecine ? » s’interroge-t-il sur la quatrième page de couverture de son livre.Entre l’identité et le bien être
Ce résumé dit bien à la fois le cheminement intérieur qu’est
cet ouvrage et cette promenade constante sur le fil de l’humour et
de la dérision (une vraie-fausse modestie comme seul bouclier face
au doute). Ce doute est celui qui l’a toujours animé face à ce
père, gynécologue, ses frères, qui rivalisaient d’excellence et ce
désir de faire quelque chose d’utile. Cette hésitation toujours
entre la blouse blanche (il a débuté le tournage de son premier
film au moment où il soutenait sa thèse) et les salles obscures. Et
finalement au détour de cette dernière expérience, comme une petite
révélation « J’ai une identité de soignant très forte, ancrée
dans ce qu’on m’a transmis et ce que j’ai appris. C’est quelque
chose qui se révèle tous les jours avec mes proches, et aussi dans
mes films. Mais mon métier, celui que j’aime, est celui de
cinéaste. Quand je pratiquais j’avais le sentiment de ne pas être
totalement à ma place » explique-t-il au
Figaro.
A.H.