Sérotonine et dépression, pas si sûr…

La théorie sérotoninergique de la dépression, suggérée dès les années 60, est toujours influente, renforcée par l'efficacité apparente des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS).

Cependant, d'autres explications à leur effet antidépresseur (ATDP) ont été avancées, et, plus généralement, l’implication de la sérotonine a récemment été remise en cause par certains. Malgré tout, cette théorie reste centrale même si aucune revue de la littérature n’a synthétisé les preuves pertinentes.

On ouvre une revue parapluie

La présente revue se propose de rechercher et d'évaluer les preuves d’un rôle de la sérotonine dans l’étiologie de la dépression.

Cette revue systématique a recherché dans PubMed, EMBASE et PsycINFO, depuis leur création jusqu'en décembre 2020, des revues systématiques, méta-analyses et quelques grandes études dans les domaines suivants : (1) concentration de sérotonine et de son métabolite 5-HIAA dans les fluides corporels, (2) niveau de liaison de la sérotonine à son récepteur 5-HT1A, (3) taux de transporteur de la sérotonine (SERT), (4) études de la déplétion en tryptophane (qui diminue la sérotonine disponible), (5) polymorphisme du gène SERT et interactions gène SERT-environnement.

Les études sur la dépression associée à des pathologies physiques et à des sous-types spécifiques (par exemple, dépression bipolaire) ont été exclues. Deux examinateurs indépendants ont extrait les données et évalué la qualité des études à l'aide de l'AMSTAR-2, d'un AMSTAR-2 adapté ou du STREGA. La certitude des résultats de l'étude a été évaluée à l'aide d'une version modifiée du GRADE.

La recherche a identifié 361 publications, parmi lesquelles 17 remplissaient les critères d’inclusion : 12 revues systématiques et méta-analyses, 1 méta-analyse collaborative, 1 méta-analyse de grandes études de cohorte, 1 revue systématique et synthèse narrative, 1 étude d'association génétique et 1 revue parapluie. La qualité des revues était variable, certaines études génétiques étant de haute qualité.

Pas de preuve convaincante

Deux méta-analyses d'études qui se chevauchent examinant le 5-HIAA, n'ont montré aucune preuve d’association entre ses concentrations et la dépression (plus grand n = 1 002). Une méta-analyse d'études de cohorte sur la sérotonine plasmatique n'a montré aucune relation avec la dépression et des preuves qu'une concentration réduite de sérotonine était associée à l'utilisation d'ATDP (n  = 1869).

Deux méta-analyses d'études qui se chevauchent examinant le récepteur 5-HT1A (plus grand n  = 561), suggèrent soit une absence de différence entre les personnes souffrant de dépression et les témoins, soit un niveau inférieur de ce récepteur inhibiteur, ce qui impliquerait des concentrations ou une activité de sérotonine plus élevées chez les personnes souffrant de dépression. L’influence d’un traitement ATDP antérieur ou actuel a été évoquée.

Trois méta-analyses d'études qui se chevauchent examinant la liaison SERT (plus grand n = 1 845) ont montré des preuves faibles et peu cohérentes d'une liaison réduite dans certaines zones cérébrales, ce qui génèrerait une disponibilité synaptique accrue de sérotonine chez les personnes souffrant de dépression, s'il s'agissait de l'anomalie causale.

Cependant, les effets de l'utilisation antérieure d'ATDP n'ont pas été exclus de manière fiable.

Une méta-analyse d'études sur la déplétion en tryptophane n'a trouvé aucun effet chez la plupart des volontaires sains (n  = 566), mais de faibles preuves d'un effet chez ceux ayant des antécédents familiaux de dépression (n  = 75). Une autre revue systématique (n  = 342) et un échantillon de dix études ultérieures (n = 407) n'ont trouvé aucun effet chez les volontaires.

Aucune revue systématique des études sur la déplétion en tryptophane n'a été réalisée depuis 2007.

Un lien possible entre la dépression et le polymorphisme du gène SERT en interaction avec un événement de vie stressant a été envisagé. Les deux études les plus importantes de haute qualité sur ce gène, une étude d'association génétique (n  = 115 257) et une méta-analyse collaborative (n  = 43 165), n'ont révélé aucune preuve d’association avec la dépression, ou d'une interaction entre le génotype, le stress et la dépression.

Et pourtant les ISRS sont efficaces

Les principaux domaines de recherche sur la sérotonine ne fournissent pas de preuve convaincante d'une association entre la sérotonine et la dépression, ne soutiennent pas l'hypothèse selon laquelle la dépression est causée par une activité ou des concentrations de sérotonine réduites.

Certains résultats étaient, en revanche, compatibles avec la possibilité que l'utilisation à long terme d'ATDP réduise la concentration de sérotonine. Les conclusions de cette revue générale dépendent de la qualité des études incluses et sont sensibles à leurs limites.

La sérotonine n’a peut-être finalement pas le rôle central qu’on lui accordait dans la genèse de la dépression, divers facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux participant également. Pour autant, quel que soit leur mécanisme d’action, les ATDP sont souvent efficaces et ne doivent pas être abandonnés en l’état actuel des connaissances.

Quentin Haroche

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