
Paris, le samedi 12 septembre 2015 – Nous l’avons évoqué dans nos colonnes : le site Hospitalidee.fr, qui se propose de recueillir les avis des patients internautes sur les services hospitaliers qu’ils ont fréquentés (en jugeant le personnel , les soins, le "prendre soin" , la sécurité , la clarté des tarifs, les services et l’accompagnement ) a été lancé officiellement après une phase de test cette semaine. Cette arrivée n’a pas échappé aux commentaires de la blogosphère : les internes et jeunes médecins du site Souriez, vous êtes soignés ont ainsi livré une réaction mesurée. Ils reconnaissent qu’à certains égards, une telle entreprise n’est pas sans intérêt. « Il est vrai qu’il existe des différences entre les hôpitaux au niveau de la vétusté des locaux, de leur localisation (…). Evidemment, tous ces "détails" ne doivent pas, à mon sens, l’emporter sur la qualité de l’équipe médicale et paramédicale (…). Mais à compétence médicale égale, ces " à côtés" ont leur importance » reconnaît ainsi un des internes, quand le co-auteur de la note renchérit : « On peut critiquer l’amabilité du personnel, le respect de l’intimité, la communication etc. Pas de soucis. Ce sont des points importants où le patient doit être satisfait et respecté ». Néanmoins, ils insistent sur le fait que l’essentiel dans un hôpital demeurent les soins. Et ce sont les appréciations de ces derniers qu’ils redoutent. Ils soulignent que les patients n’ont peut-être pas toujours toutes les cartes en main pour juger de la pertinence d’un acte ou d’une décision et que certains avis à l’emporte pièce, mus par la déception ou l’inquiétude, pourraient avoir des conséquences dommageables, sur les services et sur la relation médecin patient. « La médecine est une science complexe (…). Souvent des patients pensent connaître la vérité parce qu’ "ils ont lu que ", "leur voisine a eu pareil", " ils ont cru que " (…). Leurs jugements sur les soins peuvent être biaisés. (…). J’aurais (…) des dizaines d’exemples en tête, de discours qu’on entend régulièrement, et qui parfois persistent malgré de longues explications vulgarisées », analyse un jeune auteur du blog, concluant un post plutôt empreint de réticences quant à l’utilité voire la dangerosité d’une telle initiative.
Conférence de Valladolid
Les réponses ne se sont pas fait attendre. Un certain François Blot, se présentant comme chef de service de réanimation a notamment posté une longue réaction. A ses yeux, les résistances des internes et jeunes médecins du blog témoignent de la persistance d’un "paternalisme" médical. François Blot estime que ce post dénote le mépris de la jeune génération quant à la capacité des patients à comprendre les soins qui leurs sont dispensés et à être acteur de leur prise en charge. « Et ben si, les gars : les malades pensent ! (…) Ils ont des avis, ils s’informent, et pas seulement auprès de leur concierge (…). Les patients ont un regard critique, et c’est heureux, une intelligence de personne humaine, d’être pensant. (…). Et ce n’est pas seulement l’éclat de leurs œufs mimosa, la tiédeur du jambon-purée, la marque de cigarette dans le rideau (Hôpital sans tabac oblige) qu’ils évaluent. Non madame : les organisations (ou désorganisations) des soins les frappent au premier coup d’œil. L’accès à l’information et à la décision médicale partagée (…), l’humanité des soins, le respect de la personne, la participation au parcours de soin, la reconnaissance de l’expertise patient, le respect des procédures (quand on entre dans une chambre sans se laver les mains, ils s’en rendent compte. Si, si !), tous points, et bien d’autres, qu’il leur est loisible de juger. Penser que les malades " fuiront l’hôpital truc à cause de son papier peint " (sic) est une insulte à l’intelligence » fustige François Blot. Ce dernier ne s’arrête pas là, allant même jusqu’à comparer ce qu’il pense avoir perçu de la conception de ces jeunes médecins des patients à la conférence de Valladolid ou l’on s’interrogeait pour « décider si les Indiens avaient une âme » (une autre forme de point Godwin !). On peut admirer que dans les lignes, somme toute nuancées, des auteurs du blog, François Blot ait pu lire de telles aspirations !
Winckler, toujours là où on l’attend !
Dans la lignée de François Blot, les auteurs de Souriez vous
êtes soignés trouvèrent peu de défenseurs. Les jeunes médecins se
firent ainsi sévèrement épinglés : « Des internes dont le
passe-temps favori consiste à se payer publiquement la tronche de
leurs patients sur leur blog, au motif par exemple que ceux-ci ont
peur d'être opérés ou rechignent à laisser seul leur enfant à la
maison (ce qui, j'en suis sûr est totalement de nature à renforcer
la "confiance médecin-patient"), essayent de nous faire pleurer à
l'idée qu'à l'inverse un portail recense des avis d'usagers sur les
hôpitaux. Ca me semble être un point de vue très équilibré, et pas
du tout hypocrite. Bravo » écrit ainsi un internaute, tandis que
l’inévitable Martin Winckler dès qu’on lance le mot "paternalisme",
indique succinctement qu’il partage totalement l’avis du docteur
Blot.
« Pas plus tard que la semaine dernière » : quand les
blogueurs tombent dans les travers qu’ils dénoncent !
Ces différents commentaires et plus certainement celui du docteur Blot appelèrent une réponse. L’un des médecins de Souriez vous êtes soignés pris donc la plume pour renier l’image qui avait été donnée d’elle (et de ses confrères). « Non, croyez-moi, la tradition paternaliste disparaît, les cols s’abaissent, les stéthos rentrent se cacher dans les poches, et les abaisse-langues sont jetables. Non, les malades ne sont pas des troisièmes personnes du singulier, ce sont des noms et des prénoms que nous regardons dans les yeux, d’égal à égal, d’humain à humains. C’est bien facile, fort de votre expérience, de penser la jeunesse arriérée, sectaire et médiocre » rectifie d’abord l’auteur. Mais elle revient sur les risques de dérives qu’elle redoute à travers un site tel qu’Hospitalidee.fr et relève : « Vous dites : " Penser que les malades fuiront l’hôpital truc à cause de son papier peint » (sic) est une insulte à l’intelligence. " Malheureusement, des gens stupides, il y en a partout, et tout autant chez les médecins que chez les patients. Ces remarques, je ne les invente pas : pas plus tard que la semaine dernière, j’ai voulu adresser une patiente à un confrère orthopédiste (…). Je lui prépare un courrier que je remets à la patiente (enveloppe ouverte évidemment, le droit à l’information, justement …) afin qu’elle prenne rendez-vous. Celle-ci l’a refusé car : " La dernière fois que je suis allée dans cet hôpital en neuro ( !), j’ai trouvé ça vieillot, le sol moche et les couloirs sombres, donc je ne me ferai jamais opérer là-bas"». J’ai refait le courrier, sans nom de confrère, afin qu’elle choisisse son orthopédiste. C’est la remarque de cette dame, qui m’en a rappelé tant d’autres entendues à l’hôpital pendant mes semestres, qui m’a fait rebondir sur Hospitalidee », conclue-t-elle. Bien sûr, l’utilisation de ce malheureux exemple a donné l’occasion de nouveaux développements. On reprocha à l'auteur, dans des commentaires, de ne pas avoir compris ce que sous tendait la réponse de la patiente, sur ses craintes quant à l’insécurité de l’établissement. L’association impatients chroniques suggéra encore que le médecin n’avait pas été capable (ou n’avait pas essayé) de venir à bout avec patience et pédagogie des inquiétudes de la malade. Bref, des accusations sans fin, facilitées par l’interprétation toujours possible des écrits.
Au-delà de la guerre entre les Anciens et les Modernes (les Jeunes pouvant apparemment appartenir à la caste honnie des Anciens), de ces accusations de paternalisme et autres digressions sur la conférence de Valladolid, le véritable enjeu est l’influence d’un site tel qu’Hospitalidee.fr et au-delà de tous les sites d’opinion. Qui renonce réellement à réserver dans un hôtel parce qu’un internaute sur deux fustige la petitesse de la piscine ou la mauvaise humeur du tenancier (commentaires qui par ailleurs se contredisent souvent les uns les autres) ? Car après tout ce qui semble détestable aux uns est parfois considéré comme parfaitement acceptable par d’autres. Dans une auberge de jeunesse, comme dans un hôpital (et peut-être même plus dans ces derniers).
Pour retrouver les débats pointus sur Hospitalidee.fr,
rendez-vous ici :
http://blog.francetvinfo.fr/medecine/2015/09/05/un-trip-advisor-des-hopitaux-pour-ou-contre.html
http://blog.francetvinfo.fr/medecine/2015/09/08/cher-confrere.html
Aurélie Haroche