Souverain des (very) cold cases

Paris, le samedi 31 mars 208 – Déversoir de plaintes, de récriminations, de remarques amères. Le monde semble parfois une longue vallée de désolations. Aussi, leur absence chez certains peut faire figure d’une enviable étrangeté. Il ne suffit pas d’être heureux pour oublier de se plaindre. Il faut aussi savoir saisir les opportunités des obstacles, des chemins de traverse. Telle semble être l’une des lignes directrices du docteur Philippe Charlier.

Rebondir sur ses échecs

Même le plus tenace des optimistes se plaindrait de la SNCF. Et gageons qu’un ou deux soupirs ne lui a pas échappé au cours de sa longue fréquentation des trains. Pourtant, c’est au président de la SNCF que Philippe Charlier a dédié sa thèse portant sur les Aspects évolutifs des malformations humaines. Pour cause, elle a été en grande partie écrite dans le train qui l’amenait chaque jour à Lille et le ramenait chaque soir à Paris pendant son internat. « J’habitais à Paris, où résidait ma future femme alors interne en radiologie (dont il a aujourd’hui trois enfants ndrl du JIM) et je faisais l’aller-retour tous les jours. J’ai écrit ma thèse et mes premiers articles dans le TGV (…). Une heure dans le train le matin, une heure le soir, pendant quatre ans, cela vous laisse vraiment le temps d’écrire ! Le TGV était mon deuxième bureau » décrivait-il au site Remede il y a deux ans. De même quand on l’interroge sur la pénibilité des études de médecine et notamment sa première année, il demeure résolument positif : « A titre personnel, j’ai été recalé en première année et cela m’a fait du bien ! J’ai appris à mieux organiser mon travail et à mieux hiérarchiser les informations à retenir. C’est parfois un mal pour un bien d’échouer en première année de médecine car cela fait mûrir, tout simplement. Il faut rebondir sur ses échecs, s’en servir comme tremplin » considère-t-il. D’une manière générale, il garde un très bon souvenir de ses années de formation : « L’ambiance était très stimulante. On essayait de découvrir des syndromes originaux, on imaginait des cas cliniques entre nous, on parlait de nos dossiers. J’ai apprécié ce passage très rapide de la théorie à la pratique et cette immersion presque immédiate dans l’atmosphère hospitalière. Cette période est surtout l’occasion d’échanges humains très forts entre étudiants. On est plus que des amis : on partage des annonces de diagnostic, des agonies, des décès, qui donnent déjà à voir l’intensité de ce métier » décrit-il.

D’Hitler…

Difficile de croire qu’un tel optimisme puisse habiter un être qui côtoie si souvent les morts. Le docteur Philippe Charlier est en effet en passe de devenir le médecin légiste le plus célèbre de France. Une notoriété qu’il doit à sa participation à l’élucidation des circonstances de la mort de quelques grands hommes. C’est ainsi que très récemment, le même jour, France Télévision sur deux chaînes différentes diffusait des reportages, dignes d’enquêtes policières, montrant comment Philippe Charlier et son équipe sont parvenus à examiner les ossements de personnalités quasiment intouchables. Est-ce en raison de son charme et de son sourire tranquille ? Toutes les portes semblent en effet s’ouvrir devant Philippe Charlier. Ainsi, les services secrets russes lui ont notamment permis d’accéder à un morceau du crâne d’Adolf Hitler. Alors que des chercheurs du Connecticut ont relancé en 2009 une ancienne rumeur du temps de la guerre froide suggérant une hypothétique fuite d’Hitler en Amérique du Sud, en assurant que les restes détenus en Russie étaient ceux d’une femme, Philippe Charlier a pu procéder à l' analyse visuelle d'une voute crânienne présentée comme celle d'Adolf Hitler au siège du FSB à Moscou et à l'examen microscopique de fragments de tartre dentaire (démontrant que le propriétaire de ce crâne était bien végétarien !). En se basant notamment sur des radios du crâne du dictateur nazi réalisées un an avant la fin de la guerre, les « descriptifs des autopsies, les descriptifs des témoins » et notamment de « ceux qui ont fait et réalisé ces prothèses dentaires et la réalité qu’on a eu entre les mains » énumère Philippe Charlier « on a une certitude de correspondance anatomique ». « Toutes ces analyses mises bout à bout nous confirment que les restes examinés sont bien ceux d’Adolf Hitler, mort à Berlin en avril 1945. Et tout cela détruit l’ensemble des théories d’une survie de cet individu » assène le praticien.

… à Saint Louis !

Pour Saint Louis, l’autre patient du docteur Charlier ce 20 mars, les certitudes ne sont pas aussi absolues. Mais l’exploit est également de taille. « Pour la première fois, l’église a accepté d’ouvrir ses portes pour permettre à la science de faire avancer l’histoire», signalait en effet le documentaire. Et il ne s’agissait pas de pousser les portes d’une seule église, mais de nombreuses maisons. « Saint-Louis, c’est le roi dispersé, “éparpillé façon puzzle”, si l’on peut dire, sur le territoire français, européen et même mondial. Ce qui me passionne, c’est d’essayer de remonter le temps, d’utiliser les outils de la médecine légale, de l’archéologie, de l’anthropologie sur un corps en particulier, et de reconstituer son dossier médical » détaille le médecin. Ainsi, le travail de Philippe Charlier a-t-il tout d’abord permis d’authentifier un certain nombre des reliques attribuées à Saint Louis. Par ailleurs, pour la première fois l’analyse des restes du roi a contribué à la mise en évidence de « nombreux parasites qu’on appelle "Schistosoma haematobium". C’est le parasite qui est responsable d’une maladie qu’on appelle la bilharziose urinaire. C’est vraiment une notion nouvelle. On ne savait pas que le roi de France Saint Louis était porteur de cette maladie», explique Philippe Charlier. Louis IX pourrait avoir été en contact avec ce parasite lors de la septième croisade en Egypte, en marchand pieds nus dans une eau contaminée, estime le praticien. Cette découverte ne permet cependant pas de confirmer la cause de la mort du roi en 1270, près de Tunis, lors de la huitième croisade, parmi diverses hypothèses émises dont le scorbut, la dysenterie, le typhus ou la peste.

Le médecin, un explorateur à l’écoute des messages du corps

L’exposition médiatique de Philippe Charlier que le praticien ne boude pas, ayant notamment accepté d’être chroniqueur ponctuel ou permanent dans plusieurs émissions dédiées à l’histoire ou à la médecine, ne doit cependant pas laisser penser que seuls les plaisirs médiatiques et le côtoiement des morts célèbres l’intéressent. Une légende un peu trompeuse s’est en effet forgée autour du médecin. D’abord, contrairement à ce que certains ont laissé entendre, ce n’est pas un seul devoir d’obéissance envers ses parents (son père médecin et sa mère pharmacien) qui l’a poussé à choisir la médecine contre l’archéologie. La médecine a toujours été une véritable passion. « J’ai toujours baigné dans une atmosphère médicale (…). Je me souviens que j’adorais aller chez l’ophtalmo, le dentiste et l’ORL lorsque j’étais enfant. J’aimais beaucoup ce rapport humain entre le médecin et son malade, et ce lien s’est d’ailleurs révélé de plus en plus fortement à moi au cours de mes études de médecine. J’aimais beaucoup cette idée que le corps envoyait des messages et que le médecin était là pour les attraper. J’étais fasciné que l’ORL ait des appareils capables de voir au fond de mes oreilles et j’aimais ce côté explorateur du médecin vis-à-vis du corps. Par ailleurs, j’aimais beaucoup l’archéologie aussi. Mais entre les deux, cela a été assez vite tranché : c’était médecine de toute façon. Ce choix s’est fait par vocation familiale mais aussi par inclinaison personnelle. La médecine ouvre à tout, c’est l’avantage » racontait-il à Remède.

Mort sociale

Cette importance accordée aux rapports humains pourrait faire sourire de la part d’un praticien dont la majorité des patients sont morts. Mais c’est oublier que le docteur Charlier s’intéresse également beaucoup aux vivants. Pour lui il n’y a pas de « séparation entre l’anthropologie physique, qui se préoccupe du corps, et l’anthropologie sociale, qui a trait aux rapports entre les hommes et aux rituels » signalait-il en 2016 à la Croix. Ainsi, est-il depuis 2015 chef du service d'anthropologie médicale au Centre d'accueil et des services hospitaliers de Nanterre et médecin à la maison d'arrêt de la ville. « La clinique me manquait » a-t-il confié à La Croix. Il semble profondément marqué par son expérience auprès de ces populations vulnérables, notamment auprès des migrants et des personnes en très grande précarité rencontrés au Centre d’accueil. « Notre travail, c’est d’abord de cerner ce qu’est la "mort sociale", puis de comprendre comment les personnes en sont arrivées là. Le grand enjeu est préventif : éviter, en identifiant notamment certains facteurs biologiques, que d’autres ne basculent » insiste-t-il. Cette prise en charge rejoint ses observations et ses travaux sur les zombis haïtiens, ces êtres victimes de rites vaudous qui reposent sur l’utilisation de la tétrodoxine, auxquels il a consacré un livre.

L’Illiade

Outre ce lien avec les vivants, l’autre souci majeur de Philippe Charlier est d’utiliser les outils de la science et d’offrir un travail de qualité, notamment dans ses élucidations de cold cases célèbres. D’ailleurs, son travail au sein du Laboratoire d'Éthique Médicale et de Médecine Légale (EA 4569, Paris-Descartes) est assez largement reconnu et estimé (même si des controverses peuvent exister, ses résultats concernant l’authentification de la tête d’Henri IV avaient par exemple été contestés) et ses recherches font quasiment systématiquement l’objet de publications dans des revues médicales. C’est également dans ce cadre que s’inscrit sa médiatisation : « Pour moi, c'est une manière de faire sortir la science du laboratoire et de rendre digeste des choses qui ne le sont pas » explique-t-il. Gageons qu’aujourd’hui âgé de 40 ans, toujours passionné et passionnant, farouchement tenace selon ses pairs, cet amateur de jazz et de belles histoires (sa mère lui lisait l’Illiade enfant), dont l’affection familiale est le premier atout pour faire face au stress du monde, demeurera encore longtemps le médecin légiste préféré des Français… loin des clichés de séries américaines dont il s’amuse parfois à moquer les travers.

Aurélie Haroche

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