En pédiatrie, les surcharges en fer post-transfusionnelles (SFPT) concernent majoritairement les enfants souffrant d’anémies constitutionnelles : formes sévères de thalassémie et drépanocytose. Dans la thalassémie majeure, l’apport transfusionnel en fer est extrêmement important : 0,4 mg/kg/j en moyenne (entre 0,3 et 0,5 mg/kg/j dans 60 % des cas et plus de 0,5 mg/kg/j pour 20 % des patients). Dans la drépanocytose, les apports en fer sont en règle moindres (0,25 à 0,3 mg/kg/j) et dépendent beaucoup des modalités transfusionnelles.
Coté complications, les données du registre national (Société Française de Greffe de Moelle) qui concernent 226 thalassémiques majeurs non greffés (âge médian 18 ans) montrent que l’hypogonadisme est la principale complication de la SFPT chez les adolescents et les jeunes adultes. Vingt patients âgés de 15 à 24 ans sur 54 (37 %) ont un hypogonadisme dans cette série dans laquelle les sujets sont régulièrement transfusés et chélatés depuis la petite enfance. Viennent ensuite les atteintes cardiaques, l’hypothyroïdie et le diabète.
Spécificités de la drépanocytose
La mortalité et la morbidité liées à la surcharge en fer, ainsi que les effets des traitements chélateurs du fer et les seuils pronostiques ont surtout été étudiés dans la thalassémie. Dans la drépanocytose, la mortalité est encore mal précisée et les atteintes d’organe seraient moins fréquentes. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette moindre incidence des complications dans la drépanocytose. Outre le fait que ces patients sont moins transfusés, il existerait en raison du caractère « inflammatoire » de la drépanocytose, une répartition différente du fer au niveau des cellules hépatiques (localisation préférentielle dans les cellules de Kupffer plus que dans les hépatocytes). L’hémolyse intravasculaire pourrait également jouer un rôle. Il est ainsi possible que dans la drépanocytose, la surcharge hépatique en fer représente un meilleur critère que la ferritinémie pour évaluer la surcharge en fer.
Du diagnostic précoce au diagnostic tardif
Le diagnostic précoce de surcharge en fer repose sur le décompte des apports transfusionnels en fer (10 à 20 transfusions justifient la mise en route d’un traitement chélateur) et les taux de ferritinémie (surcharge à partir de 1 000 ng/ml et surcharge sévère si supérieur à 2500 ng/ml). Chez les patients vus plus tardivement, il faut dépister systématiquement les atteintes d’organes, en mesurant en particulier la concentration en fer intra-hépatique (surcharge : 3-7 mg/g de foie sec et surcharge sévère : 15-20 mg/g de foie sec) et le fer myocardique (surcharge : T2* cardiaque <20 msec et surcharge sévère : < 8 msec), qui sont sensibles à une intensification du traitement chélateur.
Individualiser le traitement chélateur
L’individualisation du traitement chélateur est fonction de l’importance de la surcharge, de sa localisation (clinique et IRM), du profil de toxicité des différents médicaments, des comorbidités, des apports en fer et de l’âge. Rappelons que 3 traitements chélateurs du fer sont actuellement disponibles : la déféroxamine (DFO-Desféral), la défériprone (DFP-Ferriprox) et le déférasirox (DFX-Exjade), dernier-né des traitements chélateurs qui s’administre en une prise par voie orale. L’ajustement du traitement chélateur se fait ensuite en modifiant les doses, ou la voie et la durée d’administration (DFO), ou encore, en envisageant une association (DFO + DFP).
Evolution des doses au cours des essais cliniques
I. Thuret (Marseille) a souligné le fait que les posologies des traitements chélateurs ainsi que les critères d’adaptation de doses ont évolué au cours de ces dernières années. En particulier, l’analyse des essais cliniques conduits avec le DFX montre que les posologies initiales ont augmenté (5 à 30 mg/kg/j dans les études les plus anciennes versus 20 à 40 mg/kg/j dans les plus récentes). Par ailleurs, l’adaptation initiale des doses, qui se faisait en fonction de la concentration de fer intra-hépatique (CFH), est maintenant réalisée en fonction des apports transfusionnels. Enfin, l’adaptation secondaire des doses est beaucoup plus précoce et régulière et repose désormais sur la ferritinémie tous les 3 mois. Ainsi, dans la récente étude EPIC, 75 % des ajustements secondaires de doses ont été effectués au cours de la première année, et 15 % des patients thalassémiques recevaient, dès la première année, une dose de DFX de 35-40 mg/kg/j.
Il est maintenant clairement démontré que la baisse de la charge globale en fer est corrélée à la dose du traitement chélateur et fonction des apports transfusionnels en fer (Blood 2008).
Par ailleurs, les ajustements de traitement en se basant sur la ferritine conduisent à la prescription de doses plus élevées et mieux adaptées à l’apport transfusionnel en fer du patient comme l’a montré une étude rétrospective récente conduite entre janvier 2007 et juin 2008 chez 28 patients avec thalassémie majeure traités par DFX.
Entre 30 et 40 mg/kg/j
Le nombre de patients ayant reçu des doses de DFX > 30
mg/kg/j et jusqu’à 40 mg/kg/j (qui sont encore hors AMM) commence à
être relativement important.
Dans les phases d’extension de plusieurs études conduites avec le
DFX, 228 patients ont reçu de telles doses pendant une durée
médiane de 3 ans, sans que les toxicités rénale et hépatique
n’aient été majorées. L’expérience reste cependant encore limitée
car les patients concernés étaient uniquement des sujets
thalassémiques très surchargés.
Adapter le traitement pour une meilleure efficacité
Au total, la dose initiale est fonction de l’objectif thérapeutique (visant à réduire ou stabiliser la charge globale en fer) et de l’importance des apports transfusionnels. La dose d’entretien est redéfinie tous les 3 à 6 mois en fonction des ferritinémies mensuelles afin de les abaisser ou de les maintenir entre 500 et 1000 ng/ml. Sans oublier qu’avant d’augmenter les doses, il faut s’assurer de la bonne observance.
Enfin, le traitement devra être adapté à la tolérance tout en sachant que les effets indésirables sont le plus souvent dose-dépendant et surviennent principalement en début de traitement. Les effets indésirables les plus fréquents sont digestifs (26 %), cutanés (7-10 %) et rénaux (36 %), et les plus rares sont hépatiques, auditifs et ophtalmologiques. La conduite à tenir dépend du grade de sévérité, de leur rapidité d’installation, de l’existence de facteurs favorisants médicamenteux, ou autres, ainsi que des alternatives de chélation/DFX (Myélodysplasie : le déférasirox en pratique).
Surcharge en fer : d’un progrès à l’autre
Avec la mise à disposition des chélateurs oraux, et en particulier du DFX, une nouvelle ère thérapeutique a débuté. Soulignons que depuis sa mise à disposition, le DFX a déjà participé à l’amélioration de la survie et la qualité de vie des patients. Par ailleurs, les modalités de traitement et de surveillance de la SFPT sont de mieux en mieux codifiées. Dans le futur, la diffusion de l’IRM cardiaque (largement insuffisante en France), dans le but de prévenir ou de traiter la surcharge myocardique, devrait encore permettre d’améliorer la prise en charge des patients.
Dr Laurence Houdouin