Thrombose et cancer : connaitre le risque, savoir qui traiter

Les phénomènes thromboemboliques sont loin d’être rares en cas de cancer avec près de 6 % des patients qui sont touchés dans les 6 mois suivant le diagnostic, ce qui a clairement posé la question d’une prévention de ces événements. Plusieurs études avec des HBPM en prophylaxie ont montré que c’était possible, en particulier en cas de cancer du pancréas, sans augmenter pour autant le risque de saignement majeur. Cela dit, le nombre de patients à traiter éviter un événement (NNT pour number needed to treat) pour est généralement trop élevé pour systématiser la prescription d’une HBPM en prévention, sauf en cas de cancer du pancréas où le NNT est de 11 et, dans une nettement moindre mesure, en cas de cancer du poumon où le NNT atteint 26 !

Savoir à qui proposer une prophylaxie ?

Dans ces conditions, plusieurs auteurs se sont attachés à développer des scores de risque de manière à détecter les patients les plus à risque, susceptibles donc de bénéficier d’un traitement. Le plus usuel est le score de Khorana qui octroie 2 points en cas de cancer du pancréas et de l’estomac, un point en cas de cancer de haut risque (lymphome, poumon, cancer gynécologique ou génito-urinaire), un point en cas de taux de plaquettes >350 000/mm3, en cas de taux d’Hb < 10 g/dL, de leucocytose > 11 000/mm3 ou encore d’IMC > 35. Lorsque ce score est > 3, le risque est considéré comme élevé et justifie un traitement prophylactique. Plus récemment, un nomogramme a été établi par Pabinger : il regroupe deux variables à savoir le site du cancer selon 3 niveaux de risque : très élevé (pancréas, estomac), élevé (poumon, rein, côlon, rectum, lymphome, ovaire, utérus) et faible ou intermédiaire (sein, prostate) ; et la concentration continue en D-dimère. Ce score, qui possède une très faible valeur prédictive positive (12 %) est, par contre, hautement prédictif en cas de négativité (95 %).

Peut-on utiliser ces scores en routine ? La réponse est encore incertaine, car la seule étude qui a étudié cet aspect de manière prospective a dû être arrêtée faute de recrutement. Les résultats, qui ne portent que sur 98 patients (dont 50 avec un cancer) ne sont pas significatifs en termes de prévention des événements thromboemboliques en fonction du score de Khorana. Par contre, le risque de saignement a été significativement plus élevé sous HBPM.

Que peut-on faire en curatif ?

L’étude CLOT s’est attachée à répondre à cette question avec la dalteparine comparée à la warfarine. Le résultat est positif en prévention de récidive sans montrer pour autant de réduction de la mortalité. Quant à l’étude CATCH, qui a été réalisée avec la tinzaparine, toujours versus warfarine, elle ne montre pas de résultats significativement favorables, bien que la tendance générale aille dans le même sens que CLOT. Guy Meyer (Paris) qui présentait cette lecture, estimait que ce n’était pas lié à un manque de puissance de la tinzaparine, mais plutôt au fait que les patients de CATCH étaient à un stade moins avancé de leur cancer comme en témoigne le nombre d’événements thromboemboliques enregistré dans le groupe contrôle. Une méta-analyse de ces deux grandes études, et de quelques petites études, confirme cependant l’impression générale, à savoir l’intérêt de donner une HBPM en prévention de récidive (HR = 0,60) mais sans influence sur la mortalité et avec une augmentation du risque de saignements majeurs.

Les anticoagulants directs par voie orales (DOACS) ont également été testés avec un certain succès, l’edoxaban se montrant non-inférieur à la warfarine sur un critère qui combinait efficacité et sécurité, tandis que le rivaroxaban s’est montré supérieur à la dalteparine en prévention des récidives. Ces deux produits génèrent cependant plus de saignements majeurs et n’ont pas d’impact significatif sur la mortalité.

Enfin, reste le problème des embolies pulmonaires détectées accidentellement, un terme que les experts apprécient peu car ces patients apparemment asymptomatiques ne le sont pas réellement : ils présentent en effet souvent de la dyspnée, une tachycardie, des douleurs thoraciques, un hémoptysie et/ou des symptômes de thrombose veineuse distale. Ces patients courent par ailleurs un risque de récidive au moins équivalent à celui des patients avec événement cliniquement avéré, justifiant ainsi, pour Guy Meyer, la nécessité d’être prise en charge de la même manière.

Dr Dominique-Jean Bouilliez

Référence
Meyer G : Thrombosis and cancer. European Congress on Thrombosis and Haemostasis (ECTH) (Marseille) : 24-26 octobre 2018.

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