
Montréal, le samedi 13 décembre 2014 - Depuis de nombreuses années, l’accès aux soins primaires est marqué par d’importantes difficultés au Québec, qui ont pour conséquence première un engorgement des services d’urgences. Les ministres de la Santé successifs se sont penchés sur ce problème afin d’améliorer l’organisation du système de santé. Ces mesures se sont notamment appuyées sur les médecins de famille. Aujourd’hui, le ministre Gaétan Barrette s’oriente vers une nouvelle voie. Son constat : la province voisine, l’Ontario compte 20 % de médecins généralistes et 15 % de spécialistes en moins par rapport au Québec. Pourtant, elle est loin de rencontrer des difficultés de même nature. Les objections de ceux qui lui font valoir que le système n’est pas parfaitement identique n’ont pas conduit Gaétan Barrette à revoir sa démonstration. Plus encore, il ajoute à cette première observation la mise en évidence d’un autre fait : ces quinze dernières années, on aurait assisté « à une diminution constante du nombre de jours travaillé (par les médecins) et du nombre de patients vus par jour au Québec ». Conclusion facile pour le ministre : les praticiens doivent travailler plus et face à l’échec des mesures incitatives déployées ces dernières années, les sanctions vont désormais s’imposer.
Effet pervers et cercle vicieux
Ainsi, le projet de loi 20 récemment déposé par Gaétan Barrette prévoit tout simplement de fixer des quotas de patients aux médecins de famille affiliés à la Régie de l’assurance maladie du Québec. Lorsque ces seuils ne seront pas atteints, des pénalités financières s’imposeront, pouvant aller jusqu’à 30 % de leurs revenus ! Le tollé bien sûr est immense chez les praticiens qui ne décolèrent plus contre cette proposition. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a calculé que pour répondre aux exigences du texte, chaque médecin devrait compter 1 000 patients dans sa patientèle, ce qui dépasse la moyenne des praticiens québécois, qui pour ceux exerçant depuis moins de 15 ans sont notamment astreints à 12 heures de présence par semaine à l’hôpital. La conséquence sera inévitablement l’instauration d’un véritable « travail à la chaîne », avec l’éviction potentielle des patients atteints des maladies chroniques nécessitant l' accompagnement le plus prenant. Ces malades se tourneront alors sans doute vers le système hospitalier, ce qui aura pour conséquence de faire perdurer l’engorgement de ces structures et ne permettra donc nullement d’obtenir l’effet escompté.
C’est cuit !
Gaëtan Barrette a été pour l’heure sourd à l’ensemble de ces arguments. L’espoir des praticiens est aujourd’hui de sensibiliser l’opinion publique. C’est notamment dans cette entreprise que s’est lancé le docteur Frédéric Simard, auquel Radio Canada a récemment consacré un reportage. Médecin à Jonquière, il compte actuellement 750 patients. Il estime que pour répondre aux quotas qui pourraient s’imposer demain, il devra suivre 250 malades supplémentaires et donc réduire considérablement le temps de ses consultations : il ne pourra plus consacrer que 10 minutes à chaque malade. Pour mettre en évidence l’impossibilité d’une telle réduction, il a entrepris de commencer chaque consultation en actionnant son chronomètre. Invariablement, quand les 10 minutes sont écoulées, le malade est loin d’être sorti du cabinet. Le docteur Frédéric Simard explique alors à son patient que c’est le temps dont il disposera si le projet de loi est adopté. Une sensibilisation frappante pour la plupart des patients, mais dont on ne sait si elle marquera le ministre.
Aurélie Haroche