Touché par la maladie du Prix Nobel

Paris, le samedi 22 mai 2020 - Retracer la chaîne de la réaction n’est pas toujours aisé. Comment déterminer l’agent déclencheur ? Est-ce le fait d’être touché qui entraîne la désinhibition et les déclarations intempestives ? Ou est-ce que la part de « génie » qui a permis d’être distingué peut également favoriser une certaine prédisposition pour les positions iconoclastes et décalées ? Ce que certains ont appelé « la maladie du Prix Nobel » soulève de telles interrogations. Plusieurs lauréats de la prestigieuse récompense scientifique se sont en effet illustrés, le plus souvent après avoir été distingué à Stockholm, par des déclarations inattendues et souvent dérangeantes. Parmi les symptômes fréquents, on relève une fascination pour le paranormal (Erwin Schrödinger a peut-être trop littéralement cru que les chats pouvaient être vivants et morts à la fois), un engouement pour les remèdes miracles (Luc Montagnier a ainsi prôné des médications à base de papaye pour lutter contre la maladie de Parkinson) ou encore des théories très controversées sur l’origine de certaines maladies ou l’eugénisme.

Trois lettres connues dans le monde entier

Un excès de confiance, lié au Prix Nobel, pousse-t-il ces êtres par ailleurs brillants à oublier les règles scientifiques les plus élémentaires ? Ou est-ce que cette imprudence est constitutive de ce qui leur a également permis de dépasser les obstacles dressés pour permettre d’importantes découvertes scientifiques ? Kary Mullis fait probablement partie de la seconde catégorie. Le lauréat du Prix Nobel de Chimie de 1993 a révolutionné la biologie et la médecine et aujourd’hui, les scientifiques les plus éloignés de ces disciplines connaissent une partie de ses travaux et même le grand public prononce le nom mystérieux de son invention plusieurs fois par jour. Il a en effet mis au point la méthode de réaction en chaîne par polymérase, la fameuse PCR qui aujourd’hui est à la base du diagnostic de nombreuses maladies infectieuses en particulier virales et notamment l’incontournable Covid-19.

Des grenouilles dans des fusées à la boulangerie

Le rôle de Kary Mullis dans la mise au point de la PCR (Polymerase Chain Reaction) n’est pas étonnant bien qu’il eut pu ne jamais y participer. Pas étonnant, parce que Kary Mullis, né le 28 décembre 1944 en Caroline du Nord est un passionné de sciences dès le plus jeune âge : les grenouilles qu’il tentait de faire décoller dans des fusées artisanales peuvent en témoigner. Pourtant, après avoir obtenu à Berkeley une thèse de chimie, Kary Mullis s’initie à d’autres expériences : l’écriture et la boulangerie, non sans les associer à la prise de différentes drogues, dont le LSD.

Faire revivre Elvis Presley !

Cependant, sur les conseils d’un ami, il rejoint Cetus Corporation à Berkeley. C’est au sein de cette entreprise, qu’il développe la méthode PCR, dont il aurait eu l’intuition en roulant vers une cabane du Nord de la Californie, comme il l’a décrit lors de son discours de réception du Prix Nobel. Il s’agissait probablement de la même cabane où il a affirmé avoir rencontré un raton-laveur extraterrestre standard ! Quand il reçoit ce prix Nobel (annonce qu’il fête en allant passer sa journée à faire du surf après une soirée un peu trop arrosée et pour éviter les journalistes), Kary Mullis est devenu consultant pour différentes entreprises et n’hésite pas à proposer des projets particulièrement loufoques. Il suggère ainsi d’amplifier l’ADN de quelques célébrités disparues pour l’insérer dans des bijoux qui seraient adulés par les fans. Outre ces projets fantasques, Kary Mullis se fait remarquer pour sa mise en doute de l’origine virale du Sida, son climatoseptisme et son apologie du LSD.

Déshabiller la raison

Après avoir acquis une grande notoriété aux Etats-Unis au moment du procès d’OJ Simpson, ayant été initialement appelé à témoigner comme expert scientifique pour disculper le joueur de football américain, Kary Mullis a vécu ses dernières années partagées entre ses nouvelles passions pour l’astrologie et ses amours anciennes pour la mer et le surf. Il est mort en août 2019 d’une pneumonie avant de pouvoir apprécier la notoriété mondiale de sa technique. Sans doute n’aurait-il pas manqué de commenter de façon inattendue ou ironique cette situation, ajoutant peut-être un chapitre à son autobiographie intitulée (en anglais) : « Danser nu dans le champ de l’esprit ». 

Aurélie Haroche

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Vos réactions (5)

  • Le cas de Luc Montagnier

    Le 23 mai 2020

    Explication plausible de la pathétique intervention de Luc Montagnier!

    Dr J-L Bernard

  • Et Serge...

    Le 23 mai 2020

    ...y a t-il échappé ?

    Dr Pierre Rimbaud

  • Etre et avoir été

    Le 23 mai 2020

    L'heure est à l'humilité, et pour cause. Il reste quelques rebelles.
    La nuance entre être & avoir été n'échappe à personne, mais le pas est rarement (jamais ? déontologie ou connivence obligent) franchi dans les médias quand on évoque les gloires passées ou en cours : La Pr ou Dr X est un (une) grand(e) chercheur, virologue, épidémiologiste etc : EST ou A ETE ou RESTE ?

    Angoissant, puisque chacun est concerné quant il s'agit d'accepter l'épreuve du temps ou le regard des autres.

    Notons que l'on redécouvre, chez nous comme ailleurs, les petits et les besogneux mais que le label Professoral reste une valeur sure, un gage de crédibilité.

    Dr JP Bonnet (60ans)

  • Kary Mullis...

    Le 24 mai 2020

    ... S'est aussi fait remarquer en coursant la princesse de Suède dans les couloirs de son hôtel, la nuit de la remise du prix. On doit tout pardonner aux génies puisqu'on admire leur originalité.

    Dr Pierre Castaing

  • Amalgame entre un travail et la personne

    Le 30 mai 2020

    Une personne, même mentalement ou "moralement" très perturbée, peut avoir une idée de génie (comme on dit) et produire un travail qui est, lui, salué par un Nobel ou autre.

    Le hic, c'est que la starisation devient à portée de main, et la personne (cette fois) peut dès lors perdre les pédales librement (seule ou avec, par exemple, la propulsion vénale des éditeurs) pour promouvoir des idées "bizarres" (je suis prudent, non?), vendre des millions de livres, s'offrir des promotions par les médias, développer des théories complotistes, etc.

    Récemment, un certain Pr [?] a même fait une démonstration FOLLE (là, oui) pour prouver qu'il avait scientifiquement raison: "moi j'ai telle cote de popularité, plus que vous Mr Pujadas et que le Pd Macron" CQFD.

    La notoriété du génial "voyage au bout de la nuit" (et pas que), n'a jamais servi à un certain L.-F. Céline à promouvoir ensuite ses convictions (nauséabondes).

    Jean Rostand n'a pas vu d'extraterrestres dans ses "monstres" résultant de l'embryogénèse sous prétexte que ses grenouilles (radioactives?) avaient un oeil sur le front et l'autre au fond de la gorge.

    Parmi les Nobel (ou décorés) la proportion des individus dérangés (ou atteints de démence sénile) reste la même que dans toute la population (comme parmi nous).

    Je me demande parfois si certains scientifiques (ou apparentés) ne perdraient pas plus facilement la tête que d'autres: se déifiant par la science car prétendue vérité absolue dans notre culture (Dieu ayant parfois passé le relai), ou perdant pied pour n'avoir jamais vu de leur vie les réalités du monde extérieur car l’œil vissé sur un objectif (ou autre).

    À moins que ce ne soit notre société qui adule tellement le "scientifique" que celui-ci sert ensuite à étiqueter des pommades miracles ou à se cautionner politiquement.

    Heureusement que tous ne déraillent pas et ont même, en plus, un génie de la PERSONNE qui va se prolonger aussi utilement qu'avec humilité. Je ne donne pas d'exemple, ils sont trop nombreux.

    Vite, mes gouttes!

    Dr Michel Rousseaux

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