
Sion, le samedi 10 février 2018 - La résistance bactérienne fait
malheureusement partie du quotidien médical, revers de la médaille
du succès foudroyant des antibiotiques depuis le milieu du siècle
dernier. Son évaluation repose aujourd’hui toujours sur
l’antibiogramme, dont on attend souvent les résultats avec
impatience. Cet examen qui nécessite une culture bactérienne prend
du temps, un temps précieux pour les infections les plus graves.
Dans le doute, l’antibiothérapie "probabiliste" initiale doit bien
souvent "couvrir" les bactéries résistantes dont certaines sont
endémiques dans nos hôpitaux.
Mais les progrès techniques rendront bientôt possible une
détermination rapide et précise de la résistance bactérienne.
Qu’est-ce que la résistance acquise d’une bactérie à un
antibiotique, si ce n’est la production d’une protéine spécifique
donnant au microbe une protection vis-à-vis du traitement, et donc
un avantage sélectif ? Pour donner un exemple classique, la
résistance des staphylocoques aux béta-lactamines se fait par la
production d’une enzyme : la pénicillinase. L’identification de
cette résistance ne peut se faire aujourd’hui qu’en analysant le
résultat d’une culture en présence d’un antibiotique, ce qui peut
prendre 48 heures d’une attente fébrile (pour le malade et le
praticien).
Exploser la membrane bactérienne
La détection et l’identification de ces différentes protéines associées à la résistance (enzymes, comme la pénicillinase, protéines membranaires mutée, ou encore systèmes d’efflux de l’antibiotique…) était jusqu’à présent impossible, les techniques disponibles n’étant pas adaptées aux protéines de grande taille (ces techniques sont cependant déjà utilisées pour l’identification rapide des souches bactériennes). Aujourd’hui, les chimistes de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) à Sion et l’université Fudan à Shangai présentent une nouvelle technique permettant de détecter un plus large spectre de protéines, ouvrant la voie à l’élaboration de véritables "empreintes digitales" protéiques propres à chaque souche bactérienne.
La particularité de la technique présentée ici dans la revue Chemical Science (1) réside surtout dans la façon de désagréger la membrane bactérienne, permettant d’avoir accès aux protéines les plus volumineuses. Les chercheurs utilisent pour cela des nanoparticules d’oxyde de titane imprimées sur des plaques en acier : « il s’agit d’une poudre blanche qui absorbe la lumière et qui, couplée au rayonnement ultraviolet, va produire une réaction électrochimique et démultiplier l’effet du laser en explosant littéralement la membrane de la bactérie » précise Hubert Girault, en charge du laboratoire de l’EPFL.
Des premiers tests concluants
Cette nouvelle façon de pulvériser la membrane des bactéries rend beaucoup plus précise la seconde étape consistant "simplement" en une spectrométrie de masse. A terme, l’intérêt sera de pouvoir rechercher les protéines de résistance de la bactérie immédiatement sans passer par l’étape de culture, et même sans préparation particulière de l’échantillon. L’antibiothérapie serait alors adaptée au pathogène dès le début de la prise en charge. Selon les auteurs, cette technique pourrait être réalisée en seulement 30 minutes, une économie de temps exceptionnelle.
Afin de prouver la faisabilité de la méthode, les auteurs sont parvenus à détecter les résistances de bactéries E. coli expérimentalement rendues résistantes (par transfert de gènes) à l’ampicilline, la kanamycine, la gentamycine et au chloramphenicol. Puis, ils ont fait leurs armes, avec succès, sur des bactéries résistantes rencontrées classiquement en clinique, en l’occurrence une souche E. coli EBLSE (entérobactérie productrice de bétalactamase à spectre étendue), un P. aeruginosa multi-résistant, et un SARM (S. aureus résistant à la méticilline). La technique permettait également d’évaluer le niveau de résistance (en fonction de l’intensité de pic à la spectrophotométrie).
Cette belle collaboration entre chimistes et biologistes de Suisse et de Chine pourrait considérablement faciliter le choix de l’antibiotique en pratique clinique.
Dr William Hayward