
Le tabou de la chirurgie
En dépit de son absence de thèse, Suzanne passe de service en service, continuant à travailler enceinte et se découvre une passion pour la dermatologie et la chirurgie. Voici un second tabou brisé par la jeune femme née en 1878 à Laon dans l’Aisne et que l’idée d’une vie rangée ennuyait prodigieusement. Après avoir décidé d’imiter son mari en suivant des études de médecine, Suzanne s’intéresse en effet à une discipline considérée comme exclusivement réservée aux hommes.De Sarah Bernhardt aux Gueules cassées
La désapprobation d’une grande partie de ses confrères n’altère nullement l’enthousiasme de Suzanne, qui réalise un véritable coup d’éclat en acceptant d’essayer de récupérer un lifting raté dont se plaignait amèrement la grande Sarah Bernhardt de retour des Etats-Unis. Satisfaite du résultat obtenu par Suzanne, la célèbre actrice se montre très amicale pour la jeune chirurgienne et commence à faire sa publicité dans tout Paris. C’est cependant pendant la guerre auprès du professeur Morestin à l’hôpital militaire du Val de Grâce à Paris qu’elle parfait ses techniques, auprès des Gueules cassées.La beauté du pouvoir
Les épreuves se multiplient à la fin de la guerre pour Suzanne
Noël : son mari meurt, victime d’un gaz de combat. Epousant alors
son amour de jeunesse (dont certains estiment qu’il pourrait être
le père de son enfant) le docteur André Noël, elle perd quelques
années plus tard sa fille unique, Jacqueline, de la grippe
espagnole. Dévasté et anéanti par la dépression, André Noël se
suicide. Leïla Slimani, auteur de la bande dessinée « A mains
nues » qui raconte la vie de Suzanne Noël et dont le deuxième
tome vient de paraître, résume : « Quand on a connu tous les
chagrins, on n’a plus peur de rien. Et Suzanne Noël n’avait plus
peur de rien, parce qu’elle n’avait rien à perdre. Elle me fascine
parce qu’elle a compris que si on veut survivre à des chagrins
individuels, la meilleure manière c’est de s’impliquer pour les
autres, c’est de penser aux autres ». Et avant tout elle va
penser à la « beauté » des autres. La beauté non pas
seulement comme symbole frivole mais aussi comme instrument d’un
pouvoir que l’on reconquit sur soi et sur sa vie. « Les femmes
qui vieillissent et qui s’enlaidissent ne trouvent plus de travail
et perdent leur indépendance financière. En leur rendant leur
beauté, nous leur rendons leur pouvoir »
écrivait-elle.
Corps entier
Soroptimist
Après avoir dû en partie limiter son activité en raison de problèmes de vue (même si elle offrira cependant ses services pendant la deuxième guerre mondiale pour transformer l’aspect de certains résistants recherchés ou réparer les plaies d’anciens déportés), elle consacre la fin de sa vie à la lutte féministe. Fondatrice du club les Soroptimist (dont est inspiré un groupe britannique), elle militera pour le droit de vote des femmes et organisera notamment une manifestation remarquée pour réclamer que les femmes ne paient pas d’impôts tant qu’elles n’auraient pas les mêmes droits que les hommes. Ces droits, Suzanne Noël, n’avaient en beauté pas attendu qu’on les lui donne.A.H.