Parmi les causes principales de mortalité par cancer à l’échelon
mondial, le cancer bronchopulmonaire (KBP) occupe une place de
choix. Son pronostic reste sombre puisque dans les 5 années qui
suivent un diagnostic trop souvent tardif, le taux de survie
n’excède pas 15 %, dans les séries les plus optimistes. La maladie
est découverte, dans plus de 70 % des cas, à un stade trop avancé
pour permettre une prise en charge efficace dont la chirurgie est
la pierre angulaire. Son dépistage précoce est d’un intérêt évident
autant pour l’individu que pour la collectivité, d’autant que les
maladies chroniques induites par le tabagisme ne sont pas menacées
de disparition dans les années ou les décennies à venir.
Dix ans après le National Lung Screening Trial
Il est d’ailleurs des pays –dont les Etats-Unis- où une telle
politique a été instaurée à la lueur des résultats d’un essai
randomisé dit NLST (National Lung Screening Trial) publié en
2011 qui plaidaient en faveur d’un dépistage du KBP par un scanner
thoracique annuel.
Cette stratégie avait permis de réduire de 20 % la mortalité par
rapport à un dépistage basé sur le cliché thoracique standard, ceci
au sein d’une cohorte composée de 53 454 participants à haut risque
suivis au long cours (médiane 6,5 années). Dans les suites du NLST,
un groupe de travail étatsunien a inscrit dans les recommandations
nationales la mise en œuvre d’un dépistage tomodensitométrique du
KBP chez les sujets à haut risque – défini par un tabagisme
chronique de longue date estimé à au moins 30 paquets-années
(NPA)-, ceci dans la tranche d’âge 55-80 ans. Il faut reconnaître
que cette attitude ne s’est pas généralisée à l’échelon mondial, un
seul essai même d’envergure n’étant pas suffisant pour emporter la
conviction de tous les décideurs, d’autant que son rapport
coût-efficacité n’a jamais été évalué. Il faut désormais mettre
dans la balance un autre essai randomisé mené conjointement aux
Pays-Bas et en Belgique, du nom suggestif de NELSON
(Nederlands–Leuvens Longkanker Screenings Onderzoek).
L’essai randomisé NELSON aux Pays Bas et en
Belgique
Cette étude de population qui a débuté en 2000 visait à obtenir une
réduction d’au moins 25 % de la mortalité liée au KBP grâce à un
dépistage reposant sur le scanner volumique thoracique à faible
dose, le suivi étant d’au moins dix années par rapport à
l’inclusion.
Au total, les analyses statistiques ont porté sur 13 195
hommes (analyse primaire) et 2 594 femmes (analyses de
sous-groupe). Tous les participants, âgés de 50 à 74 ans lors de
l’inclusion dans l’essai, étaient à haut risque de KBP du fait d’un
tabagisme estimé à 30 NPA, que celui-ci soit actif ou interrompu
depuis moins de 15 ans. Deux groupes ont été constitués par tirage
au sort : (1) dépistage par scanner réalisé à l’état basal (T0),
puis au bout d’une, trois et cinq années (T1, T3 et T5) ; (2)
absence de dépistage. Les données concernant le diagnostic du KBP
et les circonstances des décès (cause, date etc.) ont été obtenues
à partir des registres nationaux propres à chaque pays. Le décès a
été imputé au KBP après avis d’un comité d’experts, dans la mesure
du possible. L’étude a été close le 31 décembre 2015.
Des résultats concluants et concordants avec ceux du
NSLT
Chez les hommes, le taux d’adhésion à ce programme de
dépistage a atteint 90,0 %. Dans 9,2 % des cas, au moins un scanner
de plus par rapport à ceux prévus a été nécessaire pour lever des
doutes. Au total, 2,1 % de nodules « suspects » ont été
ainsi découverts. Au terme de dix années de suivi, la fréquence du
KBP dans le groupe dépistage (pour 1 000 sujets-années) a été
estimée à 5,58, versus 4,91 cas dans l’autre groupe, ceci pour le
groupe des hommes objet de l’analyse primaire.
La mortalité liée au KBP (pour 1000 sujets-années) a été de
2,50 dans le groupe dépistage versus 3,30 dans l’autre groupe. A
dix ans, le rate ratio (RR) cumulé de décès par KBP a été estimé à
0,76 (intervalle de confiance à 95 % [IC], 0,61 à 0,94 ; p = 0,01)
dans le groupe dépistage comparativement à l’autre, soit une baisse
de 24 %, ceci chez les sujets de sexe masculin.
Dans une analyse portant sur les femmes, le RR correspondant a
été estimé à 0,67 (IC95 %, 0,38 à 1,14) au terme de dix ans de
suivi, les valeurs étant même plus faibles entre la septième et la
neuvième année du suivi, comprises entre 0,41 et 0,52.
Une réduction de la mortalité de 25 %
NELSON ajoute ses résultats à ceux de l’essai NLST et leur
concordance mérite d’être soulignée. Le dépistage
tomodensitométrique du KBP chez les sujets (50-74 ans) à haut
risque permet de réduire la mortalité de près de 25 % au terme d’un
suivi de dix années dans la cohorte globale. Le bénéfice semble
plus important pour les femmes mais l’effectif est plus restreint
et analysé à part. Deux essais randomisés de grande envergure, l’un
étatsunien, l’autre européen, aboutissent à des conclusions
voisines, à dix ans d’intervalle ou peu s’en faut.
Voilà de quoi faire réfléchir, en sachant qu’il conviendrait
désormais non de douter de l’efficacité de ce dépistage, mais de
procéder à une évaluation de son rapport coût-efficacité (en tenant
compte de la fréquence des surdiagnostics ici estimée à 10 %) et en
affinant la notion de risque. Le NPA est certes un classique mais
il semble que d’autres variables telles que la durée du tabagisme
et ses modalités pourraient être prises en compte, tout autant que
certains facteurs favorisants pour l’instant insuffisamment connus.
L’avenir de ce dépistage passe par cette démarche autant que par
son organisation et les moyens d’affirmer la malignité d’un nodule
sans recourir nécessairement à la biopsie, en s’aidant de
l’imagerie morphologique ou fonctionnelle. Le volume du nodule
semble à cet égard plus prédictif que ses diamètres, sans doute
aussi son temps de doublement. Là aussi, des progrès restent à
accomplir…
Par exemple chercher des cellules tumorales dans les crachats tout comme on cherchait (pas toujours en vain) les BK !
Par exemple chercher les cellules tumorales circulantes dans le sang au cas où elles apparaîtraient bien avant les images radiologiques, peut-être cinq ans avant ?
Dr JD
Le piège des pourcentages
Le 13 février 2020
Il ne faut croire aucune statistique qui n'exprime pas des quantités réelles (en nombre absolu). Le paradoxe de Simpson (parmi d'autres) guette à chaque coin de r(ev)ue.
On tirera profit de relire par exemple "Overdiagnosed" de Gilbert Welch, ou "L'art de ne pas dire n'importe quoi" de Jordan Ellenberg, et plus simplement le petit ouvrage technique d'Alexis Clapin.
En matière de dépistages, les pourcentages de réduction de mortalité ont peu de sens, puisque que divers biais arithmétiques expliquent aisément qu'une détection précoce favorise cette expression des résultats. La seule question qui vaille est : un sujet diagnostiqué par dépistage systématique meurt-il plus vieux qu'un sujet diagnostiqué lors d'un suivi médical correct (et à quel prix) ? Rien aujourd'hui ne l'indique formellement.