
Paris, le samedi 6 janvier 2024 – Après plusieurs jours de polémiques, le Pavillon des sources, l’ancien laboratoire de Marie Curie à Paris, a finalement été sauvé de la destruction.
Scientifique de génie, pionnière de la médecine nucléaire, icône féministe et symbole d’une immigration réussie, Marie Curie est tout cela à la fois. Mais celle qui reste la seule personne à avoir reçu deux Prix Nobel dans deux disciplines scientifiques différentes (en physique pour la découverte de la radioactivité et en chimie pour ses travaux sur le radium et le polonium) s’est également retrouvée, bien malgré elle, ces derniers jours au cœur d’une polémique dont seuls les réseaux sociaux ont le secret et ce près de 90 ans après son décès.
Au centre du problème se trouve un modeste pavillon au cœur du quartier latin à Paris. C’est dans ce Pavillon des sources que la scientifique entreposait les diverses matières radioactives qui servait à ses recherches, à l’époque où elle travaillait à l’Institut du radium (devenue depuis l’Institut Curie), au début du siècle dernier. Un pavillon désormais désaffecté et même inutilisable puisqu’il est radioactif.
En mars dernier, la Ville de Paris avait accordé à l’Institut Curie un permis de démolition pour détruire définitivement l’ancien laboratoire de l’illustre chercheuse. Objectif : construire à la place un bâtiment de cinq étages et de 2 000 m2, pour abriter « le premier centre de chimie biologique sur le cancer en Europe » explique Thierry Philip, président de l’Institut Curie.
Le pavillon ne sera pas atomisé
Faire table rase du passé pour préparer l’avenir de la science, sans doute cela n’aurait pas totalement déplu à Marie Curie, qui n’aura eu de cesse au cours de sa vie de bousculer les idées reçues sur la science et sur son genre. Mais les défenseurs du patrimoine ne sont pas de cet avis. Depuis plusieurs semaines, un certain Baptiste Gianeselli, autoproclamé défenseur du patrimoine parisien, mène une campagne active sur les réseaux sociaux pour sauver ce qu’il considère être un symbole du patrimoine scientifique français et d’une époque (malheureusement révolue) où la France était à la pointe de la recherche scientifique.
Une campagne de défense du Pavillon des sources qui a connu un soutien de choix en la personne de Stéphane Bern. Le célèbre animateur et défenseur du patrimoine a dénoncé ce jeudi « la faute grave » que constitue selon lui la destruction de ce bâtiment. « On ne peut pas à la fois demander le réarmement culturel et intellectuel de la France et détruire ce qui fait sa mémoire et sa fierté » a expliqué au micro de France Culture l’animateur, qui en a directement appelé au couple présidentiel, dont il est proche.
Emmanuel et Brigitte Macron se sont-ils personnellement emparés de l’affaire ? Impossible à savoir mais toujours est-il que le Pavillon des sources a finalement été sauvé in extremis et ne sera pas atomisé. A trois jours du début des travaux de démolition, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak a en effet annoncé ce vendredi sur X (ex-Twitter) l’abandon temporaire des travaux. « J’ai échangé ce matin avec Thierry Philip, président de l’Institut Curie. Nous sommes convenus qu’il suspende la démolition du Pavillon des sources pour se donner le temps d’examiner avec les parties prenantes toute alternative possible » a-t-elle écrit.
Un bâtiment inutilisable et impossible à visiter
Sur les réseaux sociaux, les défenseurs du patrimoine scientifique de Marie Curie se félicitent de ce succès. « C’est une première victoire mais ce n’est pas fini » réagit Baptiste Gianesseli. « Ce que nous demandons, c’est le classement au patrimoine historique du Pavillon des sources » ajoute-t-il.
Privés momentanément de leur nouveau laboratoire dernier cri, les chercheurs de l’Institut Curie fulminent. « Il faut savoir ce qu’on veut dans la vie. Est-ce qu’on veut soigner des patients qui souffrent ? Ou est-ce qu’on souhaite protéger un bâtiment insalubre aux frais du contribuable français ? » enrage le Dr Raphael Rodriguez, chef d’équipe à l’Institut Curie.
Le spécialiste du cancer rappelle que le pavillon tant protégé est en l’état totalement inutilisable. « C’est un bâtiment dans lequel Marie Curie entreposait des matières radioactives et des déchets, ce laboratoire n’a jamais servi à faire des travaux de recherche. Il est barricadé parce qu’il est radioactif et donc inutilisable. Personne n’y va, personne n’est même autorisé à marcher trop près de ce bâtiment. Personne ne peut faire d’expérience, ne peut le visiter ».
L’avenir du Pavillon des sources reste donc très incertain. Non loin de son laboratoire, au Panthéon devenu en 1995 sa dernière demeure, Marie Curie, dont le corps serait radioactif, se retourne dans son cercueil de plomb.
Quentin Haroche