Un sujet électrisant

Paris, le samedi 5 septembre 2015 – Optimistes (ou béats ?), certains veulent croire qu’internet est le reflet de l’ensemble des opinions qui s’entremêlent dans ce monde, quand on y découvre en réalité une tendance à privilégier à outrance certaines positions au détriment de nombreuses autres. Ce phénomène est plus que regrettable quand s’expriment la haine et autres théories du complot, il est plus anecdotique dans bien d’autres cas. Ainsi, on constatera facilement que la blogosphère est quasiment unanimement favorable à la cigarette électronique. Les blogs qui défendent à longueur de notes ce diapositif sont en effet nombreux et étayés, quand personne (ou presque) pas même chez les déçus de l'e-cigarette, n’a pris la peine de s’atteler à un réquisitoire en règle contre elle. Pourtant, la cigarette électronique est loin de faire l’unanimité chez les  spécialistes, on le sait, et dès lors on peut parfois s’étonner de l’aura quasiment sans partage dont elle bénéficie sur un grand nombre de blogs !

Vivent les Anglais !

Sans donner d’explications à cette faveur numérique, l’ancien directeur général de la Santé et épidémiologiste de la Santé, William Dab propose sur son blog hébergé par Le Monde des pistes pour comprendre les raisons de l’intérêt suscité par la cigarette électronique. Il précise en effet que si cette dernière n’a cessé de l’intéresser, c’est « Pour trois raisons : d’abord, parce que tout nouveau produit qui se répand à grande vitesse et concerne des centaines de millions de personnes doit être considéré sous un angle de santé populationnelle ; ensuite, parce qu’au plan pédagogique, ce sujet est une excellente illustration de l’intérêt de distinguer les notions de danger et de risque ; enfin, parce que cette question constitue un bon traceur pour analyser la relation entre l’incertitude et la prise de décision publique ». S’inscrivant dans ce troisième axe, les récentes conclusions de l’agence Public Health England ne pouvait que retenir l’attention de William Dab (et de quelques autres). Allant à contre courant de la plupart des autres autorités sanitaires, l’institution britannique considère en effet que les réticences actuelles vis-à-vis de la cigarette électronique ne semblent guère justifiées et estime même que cette dernière pourrait être un atout majeur dans la lutte contre le tabagisme. Face à ces conclusions, William Dab ne s’emploiera pas à discuter chacun des arguments avancés par les experts britanniques. Mais il ne peut s’empêcher un "a priori" positif vis-à-vis de ces conclusions pour une raison annexe : « Je confesse à mes lecteurs que je suis toujours très attentif à ce qu’exprime l’expertise britannique de santé publique que je considère comme la meilleure du monde. Malgré le terrible échec de la vache folle, plus imputable à la dérégulation tatchérienne qu’à une erreur d’expertise, les données épidémiologiques montrent régulièrement qu’en matière de prévention, les Britanniques sont mieux protégés que d’autres populations comparables, qu’il s’agisse de mortalité prématurée, de sida, d’hépatite B, etc. L’expertise britannique allie la rigueur au pragmatisme tandis que l’expertise française est souvent dogmatique » remarque-t-il.

La cigarette électronique, encore et toujours

Ce "pragmatisme" britannique, brandi comme une qualité majeure et faisant dramatiquement défaut aux experts français, a également été souligné par le journaliste et médecin Jean-Yves Nau. Commentant le rapport de l’agence britannique, l’éditorialiste remarque ainsi immédiatement : « Aucun hasard s’il apparaît au royaume du pragmatisme. Un pays où l’on ne choisit pas le paquet neutre contre la cigarette électronique ». Au-delà de cette considération, chez Jean-Yves Nau, qui affiche pourtant le plus souvent une certaine neutralité (bien que teintée d’ironie) sur un grand nombre de sujets, la publication des conclusions britanniques a semblé fonctionné comme un révélateur. Son enthousiasme déjà perceptible pour la cigarette électronique s’est en effet manifesté sans ambages au fil des nombreuses notes qu’il a consacrées au sujet ces derniers jours. Il aura ainsi considéré que ce rapport constituait une véritable « onde de choc » et aura prophétisé qu’elle allait « heurter de plein fouet le Programme français de réduction du tabagisme ». Pourtant, si le contraste entre les différentes politiques est de fait saisissant, la confrontation, la prise de conscience semblent loin d’avoir eu lieu. Il n’empêche, Jean-Yves Nau continue à s’interroger : « Comment Marisol Touraine a-t-elle pu ne pas saisir l’opportunité historique de santé publique que constitue, dans la lutte contre le tabagisme, l’arrivée de la cigarette électronique ? ». A l’image de cette question, le journaliste paraît penser ce nouvel outil comme un atout central, voire, l’atout central et n’hésite pas à le convoquer dans chaque note consacrée au tabac. Parle-t-on de l’historique baisse du tabagisme aux Etats-Unis et Jean-Yves Nau de se demander : « Où sont les études détaillées qui permettraient de comprendre et d’adapter à la France des solutions qui font leur preuve de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique ? A quand une prise de conscience de l’intérêt majeur de la cigarette électronique ? ». S’intéresse-t-on plus tard à la campagne de promotion pour Tabac Info Service et Jean-Yves Nau de remarquer : « C’est aussi un dispositif qui, à la demande du ministère de la Santé, n’inclut pas la cigarette électronique dans une stratégie d’abandon du tabac ». Cette légère omnibulation, si elle s’éloigne quelque peu de la neutralité (mais doit-on réellement l’exhorter cette neutralité, si ce n’est sur les paquets de cigarette, et encore !) permet cependant d’épingler systématiquement les manquements de la lutte contre le tabagisme en France. Plutôt électrisant.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter les blogs de William Dab et de Jean-Yves Nau

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article