
Le 14 juillet, le JIM revenait sur le faible relais dans la presse des résultats d’études paraissant démontrer l’absence de toxicité chez l’animal de l’exposition à plusieurs maïs génétiquement modifiés pourtant épinglés avec fracas en 2012 par des travaux d’une équipe de chercheurs de Caen conduite par le professeur Gilles-Eric Séralini, travaux fortement commentés et critiqués dans la communauté scientifique.
Au-delà des multiples discussions méthodologiques qui ont accompagné les expériences de Gilles-Eric Séralini, le traitement médiatique accordé à ces dernières est à observer. C’est en particulier sous cet angle que le JIM s’y est plusieurs fois intéressé, notamment le 14 juillet dernier. Le cas de cette étude permet en effet d’identifier certains mécanismes négatifs propres à la transmission de l’information scientifique. Après la mise en évidence du rôle pouvant être joué par les médias non spécialisés, les récentes péripéties rappellent la rareté avec laquelle les rétractions, les bémols, les démentis, les remises en question sont bien moins relayées que les alertes catastrophistes, quelle que soit leur nature. Tel était le sens global de notre article du 14 juillet.
Cette thématique générale quelque peu en décalage par rapport aux questions toxicologiques n’a pas empêché le docteur Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRRIGEN), dont le professeur Gilles-Eric Séralini est un membre important, de considérer notre article comme un texte "diffamatoire" et de nous demander en conséquence un droit de réponse que nous acceptons de publier (ce qui ne signifie en rien bien sûr que nous considérerions notre article comme diffamatoire !)...avec notre réponse.
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Réponse du Dr Joël Spiroux de Vendômois, Président du CRIIGEN et directeur adjoint de l’étude « Séralini 2012 », à l’article de Madame Aurélie Haroche, rédactrice en chef du JIM : « Les OGM sont probablement moins dangereux pour la santé que les mute news » publié le 14/07/2018.
Permettez-moi de ne pas rentrer dans une polémique stérile de « coin de bar » peu propice à la réflexion et à la compréhension de la question importante des OGM agricoles à l’heure où les USA et le Canada seraient très heureux de nous voir accepter les OGM en Europe…
Le texte de Madame Haroche est particulièrement partisan et notablement scientifiquement faux, voire diffamatoire. Ses références sont soit des membres de l’AFIS ou de l’AFBV qui sont de notoires et farouches partisans de l’agriculture industrielle, des pesticides et des OGM.
Le lien étroit existant entre l’agrochimie et l’industrie pharmaceutique (Bayer, Syngenta…) expliquerait-il cette démarche et donc cet article qui fait fi de la réalité scientifique et de la santé publique ?
Il est particulièrement dommageable pour le corps médical de recevoir de tels articles partisans ne permettant pas à nos confrères de réfléchir et de penser par eux-mêmes. Le journal JIM devrait avoir un rôle d’information scientifique impartial, permettant la réflexion et le débat. J’espère qu’il n’en est pas de même concernant les informations concernant les médicaments… Cela est d’autant plus important que la question des liens entre santé et environnement entre de plus en plus dans nos cabinets et que peu de confrères sont armés pour y répondre du fait de l’absence d’enseignement initial de la « santé environnementale » et d’une bien trop faible formation post universitaire qui n’a vu le jour que depuis 3 ou 4 années sous forme de quelques colloques et d’un petit nombre de DPC. Cette remarque m’impose de faire un petit préambule avant de répondre à la question des nouvelles études qui soi-disant contredisent notre étude de 2012.
Préambule :
1) Quelles sont les utilisations de la transgénèse ou de
la mutagénèse (OGM)
a) Outil de recherche de laboratoire pour
l’amélioration de la connaissance du fonctionnement du
vivant…
b) Fabrication de médicaments, l’exemple le plus
emblématique est la production en laboratoire de l’insuline
humaine, et aussi de toutes les protéines recombinantes… Ces deux
grandes activités sont très utiles, sont effectuées en laboratoire,
dans des lieux confinés et sécurisés.
c) Les plantes OGM, ce sont des « plantes à
pesticides », c’est-à-dire qu’elles sont soit capables de
produire leurs propres insecticides soit d’être tolérantes à des
herbicides et donc d’être capables de se gorger d’un herbicide sans
en mourir. Exemple : le maïs SmartStax qui comporte 8 «
gènes d’intérêt », 2 permettant la tolérance à 2
herbicides différents et 6 produisant 6 insecticides différents.
Tout médecin peut comprendre l’effet délétère sur la santé animale
ou humaine de telles plantes… Mais il y a aussi les animaux
OGM…
d) Pesticides et OGM : L’utilisation des plantes OGM
n’entraine pas de diminution de l’utilisation des pesticides.
L’augmentation est notable et bien documentée en Amérique du nord
et du sud ainsi qu’en Inde…
2) Comment sont évalués les pesticides et les OGM
?
a) Les pesticides :
Les pesticides (herbicides, insecticides, fongicides…) sont formés
d’une molécule déclarée active par le fabricant plus des
coformulants (anciennement appelés adjuvants) considérés comme
inertes, eux aussi par le fabricant. Seules les molécules déclarées
actives sont testées pendant deux ans et le produit utilisé par les
agriculteurs ou les jardiniers (molécule déclarée active +
coformulants) n’est testé que quelques jours sur les conjonctives
ou la peau de lapins ou souris, sans aucune prise de sang et
analyse biologique. Nous avons montré que les coformulants et les
mélanges sont de 10 à 1000 fois plus toxiques que les molécules
déclarées actives. C’est une des grandes failles de la toxicologie
réglementaire qui favorise ainsi le développement des «
maladies chroniques » qui sont en fait des «
pathologies environnementales ». (Ref : Mesnage et al.
(2013), (2014), (2015), (2017) ; Par ailleurs, il a été démontré
que les coformulants de 14 herbicides à base de glyphosate sont des
perturbateurs endocriniens à eux seuls : Defarge et al. (2016).
b) Les plantes OGM :
Sont des plantes contenant des pesticides et ne sont évaluées que
pendant 3 mois. Nos détracteurs et adversaires souhaiteraient
qu’ils ne soient pas testés au nom de « l’équivalence en
substance », principe sans fondement scientifique, qui ne
tient pas compte de la présence de pesticides dans les OGM ni des
modifications métaboliques engendrées par ces manipulations. (Bøhn
et al. 2014 ; Poirier et al. 2017) Ce « faux principe
scientifique » a été décidé à la « va vite » sur un
coin de table pour éviter l’évaluation toxicologique des OGM !
(Voir le livre de Marie Monique Robin, « Le monde selon
Monsanto »).
Par ailleurs, il est à préciser que l’industrie agrochimique nous promet depuis 30 ans la mise sur le marché de plantes résistantes à la sécheresse, à la salinité, plus riches nutritionnellement. Aucune plante présentant ces caractéristiques n’est sur le marché et de nombreuses études montrent que les OGM et les produits issus de l’agriculture intensive sont plus riches en résidus de pesticides et moins bon nutritionnellement parlant. Par ailleurs, l’argument qui consiste à dire que ces techniques vont être utiles et nécessaires pour nourrir la population mondiale est fausse. Depuis 30 ans l’alimentation des pays pauvres ne s’est pas améliorée, car les productions agricoles servent à surnourrir l’occident générant de nombreuses pathologies et parfois même à produire des agrocarburants pour remplir nos réservoirs… Par ailleurs l’occident jette près de 30% de la nourriture produite et les tenants de l’agriculture intensive et des OGM n’ont sans doute jamais lu les rapports de M. Olivier de Schutter…
Les nouvelles études :
Historique : L’étude « Séralini 2012 », fut la
première étude au monde testant pendant deux ans des rats nourris
avec un OGM tolérant un herbicide et aussi buvant du Roundup
(glyphosate, molécule active seule testée par la réglementation +
les coformulants non testés pendant 2 ans). Voir le protocole dans
« Republished study… » Séralini et al. (2014) en «
open source ».
A la suite de cette publication qui a osé montrer in vivo les effets d’un OGM et d’un pesticide vie entière sur des rats, la communauté scientifique pro agriculture intensive et OGM s’est acharnée sur nous. Ces attaques ont abouti à la rétractation de notre étude en novembre 2013. Il faut préciser qu’une telle mesure, en sciences, est toujours motivée par la fraude, le plagiat ou encore des erreurs avérées commises de bonne foi. N’entrant dans aucune de ces catégories, notre étude a été la première à être retirée pour « inconclusivité » ! Si toutes les publications scientifiques non conclusives étaient retirées de la littérature scientifique, il ne nous resterait que peu de chose à lire ! En 2014, une nouvelle première mondiale dans le monde des publications scientifiques : nous avons été republiés dans un revue « open source » pour assurer une entière transparence des données. En 2016, les « Monsanto Papers » mettent à jour et en évidence les actions de Monsanto pour faire rétracter la publication en 2012/2013 ! (ghost writing, financement…) Voir les « Monsanto Papers » et les chroniques du CRIIGEN.
Les nouvelles études en cause dans l’article JIM :
Les détracteurs de l’étude « Séralini 2012 » tout comme
Madame Haroche et ses interlocuteurs à qui elle donne la parole,
continuent avec acharnement à discréditer notre étude. Ils oublient
avec une mauvaise foi patente à : « Comparer ce qui est
comparable »
En effet, les résultats des études GRACE, G-TwYST et OGM90+ ne
remettent pas en cause les résultats de l’étude « Séralini
2012 » car les protocoles et les objectifs sont trop
différents. L’étude Séralini était une étude de toxicologie
générale sur 2 ans recherchant les effets d’un maïs OGM tolérant au
Roundup ainsi que ceux de l’herbicide associé. Celle-ci a été
suivie de 4 publications mettant en œuvre les techniques de
transcriptomique, protéomique et métabolomique. Ces études ont
montré entre autres l’absence d’équivalence en substance entre ce
maïs OGM et son équivalent non transgénique, ainsi que des
pathologies notamment du foie (stéatose hépatique) chez les animaux
ayant consommé des doses très faibles (inférieures à celle
autorisée dans l’eau potable) d’herbicide à base de glyphosate
(études consultables sur le site du CRIIGEN : www.criigen.org/
Quant aux études menées grâce à un total de 15 millions d’euros d’argent public, l’étude GRACE s’est intéressée à un autre OGM, insecticide (Bt) et non tolérant le Roundup, et si les études G-TwYST et OGM 90+ ont bien évalué le même OGM que celui de l’étude Séralini, leurs objectifs et protocoles sont bien différents de celle-ci. Et pour cause ! L’étude G-TwYST visait à évaluer la carcinogénicité, question plus spécifique qui a bien été réalisée pendant 2 ans, mais sans étude de la toxicologie générale (avec analyses d’urine et de sang régulière) n’a pas excédé un an, au lieu de 2 ans dans l’étude Séralini. Il est à remarquer que nous n’avons jamais parler de cancer dans notre étude et que nous n’avons pas fait d’étude de cancérogénicité, mais simplement une étude toxicologique approfondie (cf. Table 1 de notre publication). Quant à l’étude OGM90+, malgré la mise en œuvre de techniques dites « Omiques », elle s’est limitée à 90 jours, comme son nom l’indique, et répondait à une toute autre problématique.
Une autre différence fondamentale réside dans le choix de la
souche de rats : des Sprague- Dawleys dans l’étude Séralini (comme
dans toute étude de toxicologie), des Wistars dans les 3 autres.
Leur sensibilité est différente, notamment en ce qui concerne les
tumeurs mammaires comme les fibroadénomes dont la sur incidence
était montrée dans l’étude Séralini. C’est pourquoi la souche
Sprague-Dawley est recommandée par le programme américain de
toxicologie (NTP) (https://ntp.niehs.nih.gov/)
pour ce type de recherche du fait de leur sensibilité qui reflète
mieux celle des populations humaines.
Plus important encore, le volet pesticide de l’étude Séralini, à
savoir l’étude des effets à long terme de l’herbicide à base de
glyphosate : le Roundup, n’a été repris dans aucune de ces études.
Ainsi l’étude Séralini reste encore la seule au monde à avoir
évalué les effets d’une consommation chronique de faibles doses
d’un pesticide dans sa formulation commerciale. Ces résultats
demeurent dans le corpus scientifique, et n’ont jamais été remis en
cause ni infirmés.
Une fois de plus les lobbys tentent de détourner le débat face aux risques graves sur la santé publique de produits qui contaminent régulièrement nos écosystèmes, notre alimentation et que l’on retrouve dans le sang et les urines de la population mondiale. J’espère que cette courte mise au point va permettre à nos confrères d’analyser sereinement les impacts des pesticides, des OGM ainsi que de l’agriculture intensive et de comprendre la complexité de cette problématique. Le corps médical dans son ensemble doit se lever pour réclamer une alimentation saine, c’est-à-dire sans résidus toxiques (pesticides et autres perturbateurs endocriniens) et riche nutritionnellement. Force est de constater que ce n’est pas ce que nous produit l’agriculture intensive avec ses pesticides et OGM.
Par ailleurs, être à court de preuves scientifiquement fondées et être inféodé à la « loi du marché », pousse nos détracteurs vers des polémiques véhémentes et vulgaires, des attaques « ad personam ». Cela ne sert en aucun cas ceux qui les produisent et cela a pour effet de retarder la mise en place d’un système agricole apte à protéger les écosystèmes dont nous dépendons et la santé de la population mondiale…
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La réponse de la rédaction
Rappelons tout d'abord qu'une large part de notre article n’évoquait pas les travaux de Gilles-Eric Séralini mais le témoignage d’un jeune scientifique indien déplorant la difficulté de mener des recherches sur les OGM). On pourrait en outre à notre tour s’offusquer qu’un des principaux arguments de nos détracteurs insinue, sans aucun commencement de preuve, que de potentiels liens avec l’industrie pharmaceutique nous conduisent à « faire fi de la réalité scientifique et de la santé publique ». Ce que nous pourrions considérer comme diffamatoire... si nous avions l'épiderme aussi sensible que notre détracteur.
Par ailleurs, sans revenir sur les détails de la controverse sur les travaux de Gilles-Eric Séralini, controverse alimentée par d'innombrables chercheurs dans le monde nous nous permettrons de rappeler que nous nous étions penchés sur les raisons invoquées par Food and Chemical Toxicology pour décider du retrait de son article de 2012. Relayant l’analyse de journalistes et de chercheurs, nous avions ainsi pu observer l’apparent malaise de la revue pour justifier son choix, qui déniait effectivement l’existence de toute fraude et qui regrettait principalement des résultats non « conclusifs ». Néanmoins, les responsables de la rédaction n’ayant pu ignorer la très large contestation de nombreux scientifiques et instituts (qui appartiennent probablement au même large et obscur complot contre la science que le JIM) insistaient bien sur le fait qu’il existait des éléments discutables dans la méthodologie, éléments dont ils affirmaient (après coup) qu’ils n’avaient pas échappé aux relecteurs avant la publication, même si le texte avait finalement été accepté.
De plus concernant la publication des travaux incriminés
dans une « revue open source » en 2014, il est difficile de
considérer cela comme une "première mondiale", compte tenu de
l’antériorité limitée de ce type de revues (tandis que l’on
remarquera que l’accessibilité n’est pas plus que les autres
formules éditoriales un gage absolu de qualité). On rappellera
d’ailleurs que la publication dans PLOS de certains de ses
résultats récents par Gilles-Eric Séralini
n’a pas toujours été un processus sans entraves (et que selon
PLOS, les pressions des industriels ne sont nullement en cause dans
ces difficultés mais plus certainement le défaut de transmission de
certaines données).
Et pour conclure cette réponse d’une note presque optimisme, on relèvera que, contrairement à ce qu'indique le Dr Spiroux de Vendômois, heureusement depuis trente ans, la malnutrition a reculé dans le monde comme le montre toutes les évaluations internationales (même si il est vrai que les OGM n’ont en rien contribué à ce progrès). Si une inversion de cette tendance positive est à déplorer ces toutes dernières années, ce sont les conflits armés qui sont à incriminer (et non les producteurs d’OGM).
*Le titre est de la rédaction du JIM