
La prévention est un axe privilégié par l’OMS dans la lutte contre Ebola avec le développement accéléré de deux vaccins recombinants visant à développer des réponses immunitaires humorales et cellulaires contre la glycoprotéine virale de surface. Le rVSV-ZEBOV, « vaccin canadien » développé initialement par l'Agence de santé publique du Canada qui reste propriétaire du brevet mais a cédé ses droits de commercialisation à NewLink Genetics, a pour vecteur une souche atténuée du virus de la stomatite vésiculaire. Le ChAd3-EBOV (GSK/National Institute of Allergy and Infectious Diseases) utilise comme vecteur de matériel génétique viral une souche atténuée d’adénovirus de chimpanzé. Innocuité, mais aussi détermination de la « bonne dose protectrice » et définition du protocole de vaccination sont les enjeux des essais de phase 1 en cours ou à leurs débuts.
Des phases 1 aux USA, en Europe et en Afrique
Le premier essai clinique du rVSV-ZEBOV, évaluant 3 doses intramusculaires chez 39 volontaires sains, a démarré le 22 octobre aux USA au centre des National Institutes of Health (NIH) de Bethesda. Dans ce protocole une 2e injection a lieu 4 semaines après la première, tandis qu’un essai mené au Walter Reed Army Institute of Research teste simultanément le vaccin en une seule injection.
Au total 335 volontaires sains, 20 en Allemagne, 100 au Gabon, autant au Kenya, et 115 en Suisse intègreront d’autres essais afin d’établir l’innocuité des différentes doses et de comparer les réponses immunitaires induites par une et deux injections de vaccin. Ils doivent commencer rapidement dans le cadre du consortium international bénéficiant du soutien financier de 4millions d'€ du Wellcome Trust, avec la supervision de l’OMS, et les 800 flacons de vaccins offerts par le gouvernement canadien.
Comme le souligne Charles Link Jr, PDG de NewLink Genetics, dans une interview pour les nouvelles de Science, une question clé pour la suite est de connaître la plus faible dose ayant un pouvoir immunogène aussi les études actuelles utilisent de 106 à 108 particules virales (vp). Il anticipe la disponibilité de 12 millions de doses de vaccins en avril en se basant sur le chiffre le plus faible.
Avec une longueur d’avance sur le rVSV-ZEBOV, les deux options du vaccin ChAd3-EBOV sont en test chez des volontaires sains. La forme bivalente contre les espèces virales Zaïre et Soudan est évaluée aux Etats-Unis sur 20 sujets recevant 2x1010 PU (particle units) ou 2x1011PU, et la forme monovalente contre l’espèce Zaïre est testée au Royaume-Uni chez 60 personnes aux doses de 1×1010 vp, 2,5×1010 vp, et 5×1010 vp (1). L’essai débuté au Mali en octobre doit impliquer 40 volontaires et le vaccin monovalent, de même que celui en Gambie. La Suisse démarre une phase 1 de la même forme sur 100 patients. GSK a accéléré sa production, et selon l’OMS de 24 000 à 230 000 doses pourraient être prêtes en avril 2015. Impossible à mieux préciser pour le moment en absence des résultats dose-réponse, sans compter les contraintes industrielles.
Nouveau coup d’accélérateur
Les résultats des premiers essais cliniques des vaccins rVSV-ZEBOV et ChAd3-EBOV devraient être disponibles en décembre et les phases 2/3 commencer en Afrique dès cette époque. Le protocole présenté pour les deux candidats vaccins lors d’une réunion d’experts de l’OMS fin septembre prévoit le déroulement en parallèle d’une phase 2a d’innocuité à large échelle chez des sujets non exposés hors de la zone épidémique et d’une phase 2b chez des sujets à haut risque, personnels en première ligne notamment, dans les pays touchés (2). A l’issue d’une réunion de l’OMS le 23 octobre sur l’accélération des essais de vaccins et leur financement, il a été jugé faisable de vacciner en urgence au premier trimestre 2015 les personnels de santé dans les 3 pays touchés.GSK a précisé ses projets de mener en parallèle les essais de phase 2 dans les pays non affectés et de phase 3 dans les pays affectés (3). Deux essais de phase 3 sont ainsi proposés. Le NIH planifie un essai randomisé contrôlé (contre vaccin antigrippal) impliquant jusqu’à 12 000 personnels de santé au Libéria (3,4), qui peut être modifié pour ajouter un bras rVSV-ZEBOV, et les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) américains un essai avec un protocole séquentiel en Sierra Leone qui pourrait inclure 8 000 sujets à risque.
D’autres candidats vaccins sont en développement, dont parmi les plus avancés celui mis au point par Johnson & Johnson (J&J). En se focalisant sur la souche zaïroise du virus, la firme a accéléré son programme initial contre les souches Zaïre et Soudan, et les essais cliniques pourront commencer début 2015 (3). Le vaccin, testé avec succès sur des macaques, utilise une stratégie de prime-boost (amorce-rappel) avec 2 vecteurs, adénovirus AdVac (du laboratoire néerlandais Crucell de J&J) et MVA-BN (Modified Vaccinia Ankara - technologie du danois Bavarian Nordic).
S’il est peu probable que l’efficacité de ces vaccins atteigne 100 %, ils auront cependant « un impact significatif sur l'évolution future de l'épidémie quel que soit le scénario » affirment les experts de l’OMS (3) et les fonds importants exigés par les essais « seront trouvés ». L’Union européenne a mis dans la corbeille du ChAd3-EBOV plus de 15 M€, sur une enveloppe financière de 24,4 M€ dont elle a annoncé le déblocage le 23 octobre pour stimuler la recherche de vaccins et de traitements contre Ebola. Elle s’engage aujourd’hui avec le lancement du programme Ebola+ de l’Innovative Medicines Initiative. D’un budget de 280 M€, dont la moitié provenant de l’industrie pharmaceutique, le premier appel à propositions du 6 novembre devrait permettre à des projets de commencer début 2015 sur 5 sujets, dont le développement clinique des vaccins, leur production, leur transport et leur stockage.
Dominique Monnier