Dans une excellente revue, Dilsizian V. et coll. comparent les différentes techniques permettant de différencier le myocarde viable du myocarde nécrosé, et la portée pratique d'une telle distinction. Un segment myocardique présentant une anomalie de contraction peut correspondre à une zone infarcie (fibrose), ou à une zone de myocarde altéré mais encore viable (après une ischémie par exemple). Le myocarde viable est susceptible de retrouver une fonction normale à distance alors que ce n'est pas le cas pour la zone nécrosée. Cette distinction est donc très importante pour décider de revasculariser un territoire myocardique non fonctionnel mais susceptible de récupérer, ou au contraire choisir de s'abstenir dans le cas inverse.
Assez récemment, deux situations ont été distinguées pour caractériser un segment de myocarde de fonction altérée mais capable de récupérer : le myocarde "hibernant" (correspondant probablement à une hypo-perfusion chronique) et le myocarde "sidéré" (dysfonction liée à un épisode ischémique aigu et persistant après la résolution de celui-ci). La méthode de référence pour affirmer qu'un segment myocardique est viable est la récupération de sa fonction contractile à distance, soit spontanément, soit après un geste de revascularisation. Les paramètres simples que sont la perméabilité de l'artère coronaire, la cinétique du segment considéré ou l'électrocardiogramme ont peu de valeur pour le diagnostic de viabilité myocardique.
Diagnostic du myocarde "hibernant"
Il s'agit ici d'une situation chronique avec perfusion coronaire insuffisante. Il existe une inadéquation entre la perfusion coronaire et la fonction contractile du myocarde. Tout se passe comme si le muscle cardiaque réduisait sa performance pour s'adapter au faible apport d'oxygène.
Dans un premier temps, des méthodes étudiant la réserve fonctionnelle du myocarde ont été proposées : amélioration de la cinétique myocardique sur la ventriculographie ou l'échographie après : administration de trinitrine, extrasystole, exercice. Malheureusement, les résultats ont été décevants puisque les régions viables étaient nettement sous-estimées.
La scintigraphie au Thallium 201 a été plus récemment proposée dans cette indication. Une région nécrosée apparaît comme un "trou" (un défect) scintigraphique, stable dans le temps. A l'inverse, une zone viable donne un défect par rapport au myocarde sain, mais qui peut s'atténuer dans le temps, traduisant la préservation d'une activité cellulaire. Les images scintigraphiques peuvent être obtenues au repos (acquisition basale juste après l'injection de Thallium, puis nouvelle acquisition 2 à 4 heures après, ou lors d'un stress (effort ou administration de dipyridamole).
Deux modalités, incluant trois temps d'acquisitions chacune, peuvent être envisagées. D'une part, images au pic de l'effort (juste après l'injection de Thallium), puis 4 heures après (redistribution) enfin, réinjection d'une dose de Thallium afin d'augmenter sa concentration sanguine et réalisation d'une dernière acquisition scintigraphique (environ 15 minutes après la seconde). D'autre part, images au pic de l'effort, après une réinjection de Thallium à la 4e heure et enfin, troisième acquisition à la 24e heure.
Certaines équipes ne procèdent qu'à deux acquisitions d'images lors de la scintigraphie d'effort (au pic et après réinjection à la 4e heure), mais si cette méthode est utile pour le diagnostic de l'ischémie (défect à l'effort réversible à la réinjection), elle semble inadéquate pour la détection de la viabilité.
Les résultats sont bons, puisque deux études récentes montrent que 80 à 87% des régions dites viables avant revascularisation récupèrent une bonne cinétique après, contre 0 à 18% pour les régions dites non viables par la scintigraphie.
La meilleure technique dépend de la question posée. S'il s'agit uniquement du diagnostic de viabilité, la scintigraphie au repos peut être suffisante. S'il s'agit de rechercher une ischémie et une éventuelle viabilité, seul le Thallium de stress selon l'une des deux modalités présentées ci-dessus peut donner la réponse.
La scintigraphie avec émission de positrons (PET) est une
méthode d'exploration très performante dans la recherche d'une
viabilité. Schéma-
tiquement, elle permet d'analyser séparément la perfusion et
l'activité métabolique conservée, alors que le tissu nécrosé n'a
plus d'activité métabolique (absence de captation de glucoce
marqué). Si les résultats semblent très prometteurs, ils demandent
à être confirmés sur de plus grandes séries pour les patients ayant
une dysfonction ventriculaire gauche chronique. Le nombre très
faible d'appareils en réduit l'intérêt actuellement. Enfin, depuis
deux ans, l'échographie avec injection de faibles doses de
dobutamine (5 à 10 microgrammes/kg/mn), est étudiée pour le
diagnostic de la viabilité mais les effectifs analysés sont encore
réduits dans le cadre des anomalies de contractions chroniques.
Ainsi le PET apparaît actuellement comme le "gold standard" pour le diagnostic du myocarde "hibernant". Cependant, la scintigraphie au Thallium reste la plus employée car performante et beaucoup plus disponible que la précédente. L'échographie dobutamine sera sans doute également intéressante dans cette indication.
Diagnostic du myocarde"sidéré"
Il s'agit de différencier parmi les segments ayant une anomalie de contraction persistante après une ischémie réversible, ceux qui vont récupérer de ceux qui garderont une altération de la fonction contractile. Cette notion a été particulièrement bien étudiée après un infarctus du myocarde thrombolysé, où certains segments améliorent leur cinétique de façon spectaculaire après 2 à 3 semaines.
La scintigraphie au Thallium 201 est un outil diagnostique très intéressant. Elle ne peut être effectuée en routine qu'après la thrombolyse, et il est alors indispensable de réaliser des images lors de la redistribution, plusieurs heures après l'injection du traceur pour différencier la zone infarcie et la zone viable. L'échographie avec injection de dobutamine à faible dose (réalisée entre J7 et J10 après l'infarctus) a bien été étudiée et prédit avec une bonne sensibilité et spécificité la récupé-ration de la fonction systolique à distance de la nécrose. Le PET pourrait également être utile, mais reste actuellement l'objet de travaux de recherche dans cette indication. Enfin, de nouveaux traceurs comme le 99mTc-MIBI et l'imagerie par résonnance magnétique nucléaire sont en cours d'évaluation dans l'étude de la viabilité.
Ainsi, plusieurs méthodes sont actuellement disponibles pour étudier la viabilité de segments myocardiques. Le PET est la référence pour la plupart des études mais ne peut être réalisé en routine du fait de sa faible disponibilité, la scintigraphie au Thallium donne de très bons résultats à condition d'acquérir les images selon un protocole adéquat, enfin l'échographie avec injection de dobutamine est en cours d'évaluation et semble donner des résultats comparables au Thallium. Le diagnostic de segments myocardiques hypocontractiles mais viables, permet de guider la décision de revascularisation, notamment chez des patients ayant une dysfonction ventriculaire gauche importante et donc un haut risque opératoire.
V. Dilsizian et coll. : "Current diagnostic techniques of assessing myocardial viability in patients with hibernating ans sturmed myocardium". Circulation, 1993 ; 87 : 1-20.
Christophe Chauvel