Viagra®: un nouvel antipaludéen ?

Le paludisme cause encore près de 600 000 morts par an, principalement chez les enfants et les femmes enceintes. L’éradication de cette maladie nécessite le développement de nouvelles stratégies de blocage de la transmission du parasite qui en est responsable, le Plasmodium. Le cycle de développement de ce parasite est complexe et nécessite deux hôtes : un moustique femelle Anopheles et l’homme.

Lors d’une piqûre, le moustique inocule des parasites qui envahissent les cellules hépatiques puis les érythrocytes. On lui connaît ensuite deux cycles de développement. Injecté dans la circulation par le moustique infecté, il est en effet séquestré durant une semaine environ dans le foie avant de se loger dans les globules rouges. Une fois dans ce GR, il peut emprunter deux voies de développement distinctes : soit une multiplication asexuée cyclique responsable des symptômes de la maladie, soit une différenciation sexuelle sous forme de gamétocytes, seule forme capable de se développer dans le moustique lorsqu’il aura été ingurgité. La transmission du parasite au moustique, et sa dissémination dans la population, est donc strictement dépendante de l’émergence de ces gamétocytes matures dans la circulation où ils sont disponibles pour les moustiques.

La plupart des traitements actuels du paludisme ciblent les voies métaboliques des stades asexués mais sont inefficaces contre les gamétocytes qui ont un métabolisme très ralenti, de telle sorte que la contamination continue à être possible via le parasite.

Séquestration des gamétocytes : 3 hypothèses

Au cours de leur développement qui dure une dizaine de jours, les gamétocytes passent par 5 stades, leur détection étant impossible dans la circulation sanguine au cours des 4 premiers stades car ils se trouvent principalement dans la moelle osseuse et dans la rate. Il s’agit donc d’un mécanisme inverse des stades asexués au cours duquel la présence dans la circulation n’est détectable qu’au début de l’infestation avant leur séquestration, notamment dans le cerveau. On sait depuis peu que les gamétocytes séquestrent dans l’espace extravasculaire de la moelle osseuse. Ces gamétocytes sont par ailleurs fixés sur des îlots érythroblastiques (qui sont un amas d’érythroblastes en cours de développement autour d’un macrophage central). On ne sait cependant pas encore si les gamétocytes sont à l’intérieur des érythroblastes, adhèrent à cet érythroblaste, ou adhèrent à un érythrocyte qui serait adjacent à cet îlot érythroblastique.

Trois hypothèses sont susceptibles d’expliquer le mécanisme de séquestration :

- La première hypothèse est celle d’une rétention mécanique. Cette hypothèse repose sur l’observation que le relargage des gamétocytes matures dans la circulation sanguine est accompagné d’une augmentation de déformabilité du globule rouge infecté qui lui permet de circuler librement à travers la rate. En d’autres termes, les globules rouges infectés par le gamétocyte sont beaucoup plus rigides que les globules rouges infectés par le gamétocyte mature, ce qui explique sa séquestration aux premiers stades de développement et son passage à travers l’endothélium dans la circulation au stade V.

- L’autre hypothèse évoque l’adhésion du gamétocyte à l’îlot érythroblastique. On sait en effet que les globules rouges infectés sont capables d’adhérer à des globules rouges non infectés pour former des rosettes dont la présence exprime une gravité plus marquée du paludisme. Cette adhésion se réalise à travers la protéine STEVOR, une protéine transmembranaire exprimée par le parasite à la surface des globules rouges parasités au stade immature (et plus au stade mature), et qui adhère à la glycophorine C des globules rouges non parasités et des érythroblastes. Actuellement cependant, seul le rôle de l’adhésion des gamétocytes aux cellules du mésenchyme a pu être démontré, mais pas leur adhésion aux érythroblastes.

- Enfin, la troisième hypothèse est celle d’une infection des érythroblastes par un parasite qui aurait traversé l’endothélium de la moelle osseuse sous une forme asexuée.

Aucun de ces 3 mécanismes n’a été validé in vivo. Il n’est par ailleurs pas impossible qu’ils puissent coexister et être complémentaires.

La piste du sildenafil

C’est sur le mécanisme de la déformabilité des globules rouges que l’équipe de Catherine Lavazec (Paris) a travaillé parce que la déformabilité du globule rouge par le parasite au stade mature va lui permettre de circuler durant plusieurs jours et être ainsi disponible pour le moustique via la circulation générale. Dans ce contexte, après avoir démontré que la déformabilité dépend de l’expression de la protéine STEVOR, et que STEVOR impacte cette déformabilité après phosphorylation par Plasmodium par la voie de l’AMP cyclique, ils ont constaté que l’inhibition de cet AMP cyclique par un inhibiteur de phosphodiestérase (le sildenafil en l’occurrence), augmente la rigidité des gamétocytes matures, ce qui pourrait favoriser leur élimination de la circulation sanguine par la rate.

« Avec la richesse des données disponibles sur le sildenafil, ces résultats devraient permettre la mise en place d’un essai clinique chez des porteurs de gamétocytes de P. falciparum, afin de démontrer la preuve de concept chez l’Homme de l’efficacité des inhibiteurs de PDE pour bloquer la transmission de P. falciparum grâce à des analogues structuraux de cette molécule, spécifiques du parasite », conclut Catherine Lavazec.

Dr Dominique-Jean Bouilliez

Référence
Lavazec C. Session GC03.Mécanismes cellulaires de séquestration et de circulation des globules rouges parasités: une voie vers de nouvelles thérapeutiques. SFH 2018. 38e congrès de la Société Française d’Hématologie.

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