
Première
Jusqu’à aujourd’hui, les transplantations de cœurs de cochons chez des babouins n’avaient pas permis d’obtenir une survie au-delà de 57 jours. Si des singes ayant reçu des cœurs de porcins en 2016 avaient affiché une longévité exceptionnelle de deux ans et demi, la greffe ne revêtait aucun caractère vital puisque les cœurs natifs des babouins avaient été conservés. Aussi, les résultats publiés dans Nature revêtent-ils un caractère exceptionnel. La réussite des chercheurs allemands réside dans une combinaison efficace de traitements génétiques et médicamenteux et du recours à une technique optimale de conservation du cœur.Gommer les différences entre les cochons et les babouins
Les principaux obstacles aux xénotransplantations sont liés aux différences entre les espèces. Pour les dépasser, les chercheurs ont procédé à des modifications génétiques qui ont conduit à inhiber l’expression de certains marqueurs spécifiques à l’espèce porcine. Parallèlement d’autres modifications ont permis aux cœurs d’exprimer des marqueurs comparables à ceux des primates. L’équipe s’est également attelée à corriger les différences de croissance du cœur entre les cochons et les primates ; les premiers connaissant une croissance plus rapide que les seconds. Afin, de ralentir le développement des cœurs porcins, les chercheurs ont eu recours au temsirolimus, inhibiteur sélectif de la protéine mTOR utilisé notamment dans le traitement du cancer du rein à un stade avancé.Cœur sous perfusion
Outre ces interventions destinées à minorer les différences entre les espèces, les chercheurs ont eu recours à un procédé particulier pour la conservation du cœur au moment du prélèvement et avant l’implantation. Plutôt qu’une cryopréservation classique, ils ont opté pour une perfusion « avec des solutions qui transportent des nutriments et de l’oxygène. La perfusion n’a pas seulement été menée pendant le temps de stockage, mais également au cours de l’implantation », expliquent les chercheurs. Enfin, un traitement immunosuppresseur a été administré aux singes, qui à la différence des expériences de xénotransplantation précédentes présente un profil de toxicité qui permettrait d’envisager son adaptation à l’homme.Une survie inégalée
Quatorze babouins ont été inclus dans l’étude, mais cinq
seulement ont été l’objet du protocole le plus efficace
(modification génétique, temsirolimus, perfusion de l’organe et
traitement immunosuppresseur). Un des singes est mort au bout de 51
jours en raison d’une thrombose. Les quatre autres ont survécu
au-delà de trois mois.
Deux ont été immédiatement sacrifiés, car il n’était
originellement pas prévu que l’expérience soit prolongée au-delà.
Deux autres cependant ont été gardés en vie et ont survécu 182 et
195 jours après l’intervention. Un exploit.
Prudence et enthousiasme mêlés
Ces résultats, notamment parce qu’ils s’approchent des critères établis par la Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire, suscitent un vif intérêt chez les spécialistes. « Les progrès réalisés par Längin et ses collègues font que la xénotransplantation cardiaque est en voie de devenir une réalité » estime ainsi dans un éditorial publié dans Nature le chercheur allemand Christophe Knosalla. Cependant la prudence reste nécessaire. « Il ne s’agit que de deux animaux dans une seule équipe, attendons de voir si d’autres parviennent à reproduite ces résultats » observe dans le quotidien suisse Le Temps, Christophe Huber, médecin chef du Service de chirurgie cardiovasculaire des Hôpitaux universitaires de Genève.De fait, différentes questions demeurent, concernant notamment le risque de transmission de virus porcins à l’homme ou encore les risques associés aux modifications génétiques mises en œuvre et à l’utilisation du temsirolimus. Christophe Knosalla concède lui-même que de nombreuses années seront encore nécessaires avant qu’un protocole humain proche de celui décrit par les praticiens allemands soit approuvé par les autorités sanitaires. Il remarque également que le perfectionnement des appareils d'assistance circulatoire pourrait conduite à réduire le besoin de greffons. Néanmoins, la technique de perfusion utilisée pour la conservation du cœur est d’ores et déjà prometteuse, ne serait-ce que pour les transplantations classiques, d’homme à homme.
Aurélie Haroche