
Washington, le vendredi 7 juillet 2023 – La FDA a autorité un nouveau médicament anti-béta-amyloïde contre la maladie d’Alzheimer, malgré un rapport bénéfices-risques discutable pour certains.
On loue parfois le caractère ambitieux et téméraire des Américains, face à une certaine prudence européenne. Le contraste existe également sur le plan du médicament, la Food and Drug Administration (FDA) étant généralement plus libérale dans ses autorisations de mise sur le marché sur l’agence européenne du médicament (EMA).
Ce jeudi, la FDA a encore une fois illustré ce caractère en élargissant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Leqembi (lecanemab), un médicament contre la maladie d’Alzheimer développé en partenariat par la firme japonaise Eisai et la société américaine Biogen. Si le médicament était autorisé depuis le 6 janvier dernier, il n’était jusque là pris en charge que dans le cadre d’essais cliniques. Désormais, le système de couverture santé fédéral Medicare, dont bénéficient tous les Américains de plus de 65 ans, le prendra en charge. Etats-Unis oblige, les patients devront tout de même payer de leur poche environ 20 % du coût du médicament, soit plus de 5 000 dollars par an.
Un rapport bénéfice-risque discutable
Le lecanemab s’attaque à la protéine béta-amyloide, dont l’accumulation anormale dans le cerveau semble responsable de la maladie d’Alzheimer (selon l’hypothèse amyloïde). Selon une étude réalisée par Eisai et Biogen et publiée dans le New England Journal of Medicine le 29 novembre dernier, le lecanemab permet d’obtenir une réduction des troubles cognitifs de 27 % par rapport aux patients sous placebo après 18 mois de traitement.
Si le lecanemab est donc désormais pleinement autorisé aux Etats-Unis, il est loin de faire l’unanimité de notre côté de l’Atlantique. Outre son efficacité relativement faible, ses détracteurs mettent en avant ses effets secondaires potentiellement graves : dans l’étude de novembre dernier, 12,6 % des patients ont subi un œdème cérébral, 17 % des hémorragies cérébrales et 7 % ont dû arrêter le traitement. En outre, chez les patients porteurs du gène homozygote APOE4 (qui multiplie par 10 à 15 le risque de développer la maladie d’Alzheimer), le médicament est à la fois moins efficace et plus dangereux.
« En dépit d’une diminution des plaques amyloïdes, aucun des anticorps anti-substance amyloïde n’a pu démontrer à ce jour un effet cliniquement pertinent permettant de soutenir un rapport bénéfice risque favorable à ces médicaments » indiquait la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) dans un communiqué du 10 janvier dernier. « Les effets indésirables pourraient prendre le pas sur ce léger bénéfice, d’un point de vue médical et scientifique la prudence reste de mise » explique le Pr Dominique Deplanque, président de la SFPT. D’autres médecins français se montrent plus optimistes. « Les résultats prometteurs du lecanemab signifient que les patients peuvent maintenir leurs activités plus longtemps » souligne le Pr Bruno Vellas, gériatre au CHU de Toulouse qui a participé à l’étude de novembre dernier.
L’hypothèse amyloïde remise en question
Le lecanemab est actuellement examiné par l’EMA pour une éventuelle autorisation en Europe. Récemment, un autre anti-béta-amyloïde développé par le duo Eisai/Biogen, l’Aduhelm (aducanumab) avait illustré les différences d’approche entre les Etats-Unis et l’Europe sur ce sujet. La FDA avait en effet accordé l’AMM à l’Aduhelm en 2021, bien que le médicament n’ait pas prouvé son efficacité clinique et que 35 % des patients traités avaient été victime d’un œdème cérébral. L’agence américaine avait ainsi laissé aux deux laboratoires jusqu’en 2030 pour prouver l’efficacité du médicament. L’EMA avait en revanche refusé d’accorder l’AMM à ce médicament en 2022. Depuis, il a été abandonné par les laboratoires Eisai et Biogen, qui ont reporté leur espoir sur le lecanemab.
Selon certains, la faible efficacité (pour le moment en tout cas) des anti-béta-amyloïde devrait conduire à une remise en cause de l’hypothèse amyloïde, adopté par la majorité de la communauté scientifique. En 2022, une enquête de la revue Science, qui avait démontré que certaines études à l’origine de cette hypothèse avaient été falsifiées, avait relancé le débat sur le bien-fondé de cette approche.
Quentin Haroche