
De ce fait, il devient en théorie possible de procéder à son ablation de manière totalement non invasive, dès lors que l’on dispose d’une technique d’ablation qui va dans le même sens. A cet égard, il faut mentionner la radiothérapie en conditions stéréotaxiques, la SBRT (stereotactic body radiation therapy) des Anglo-Saxons, qui permet de délivrer des doses de radiations élevées avec une grande précision sur une cible bien délimitée, en minimisant l’irradiation des tissus sains (ou non ciblés) adjacents. Cette technique, qui repose sur les photons X ou plus rarement gamma, est plus connue en oncologie qu’en cardiologie et il est vrai qu’elle permet de contrôler efficacement certaines tumeurs malignes avec une radiotoxicité minimale, dans des indications bien définies et assez restrictives.
Des études précliniques ont évalué le rôle potentiel de la SBRT dans l’ablation d’arythmies cardiaques expérimentale. Il a été ainsi suggéré qu’une dose absorbée comprise entre 25 et 35 Gy et administrée en une seule fraction avait un effet digne de l’ablation par radiofréquence réalisée par cathétérisme gauche. Cette irradiation tissulaire sélective élevée aboutit à la formation d’une fibrose myocardique tardive, constituée d’une zone électriquement inerte, sans que les tissus adjacents présentent le moindre signe de toxicité aiguë ou subaiguë, avec un recul de près de 6 mois. Quelques cas cliniques ont suivi cette phase préclinique pour démontrer la faisabilité de la SBRT dans cette indication cardiologique.
Par ailleurs, si l’ablation par cathéter représente l’état de l’art dans le traitement des arythmies ventriculaires réfractaires en cas de cardiopathie structurelle avérée, elle n’en a pas moins ses limites. Ainsi, ses échecs sont loin d’être rares, car il est des foyers arythmogènes qui lui sont inaccessibles de par leur localisation. Par ailleurs, il n’est pas toujours aisé de délivrer l’énergie « ablative » adéquate au sein de la paroi myocardique ventriculaire. De surcroît, la procédure est associée à un risque élevé de complications parfois létales.
Une nouvelle stratégie non invasive prometteuse
La SBRT représente une solution alternative potentielle, comme le suggère une étude publiée dans le New England Journal of Medicine, sous la forme d’une petite série de cas.La technique a en effet été utilisée, entre avril et novembre 2015, chez 5 patients atteints d’une TV réfractaire récidivante à haut risque qui avait d’ailleurs débouché sur l’indication d’un défibrillateur automatique implantable (DAI) sans pour autant régler le problème.
Dans ces conditions, la décision de recourir à une SBRT a été prise. Sa réalisation a reposé sur une stratégie totalement non invasive, puisque le foyer arythmogène a été localisé grâce à l’imagerie électrocardiographique de surface précédemment évoquée. Les épisodes de TV ont été déclenchés lors de la procédure au moyen du DAI. La simulation, la planification et le traitement par SBRT ont été réalisés selon des protocoles techniques standard en vigueur dans d’autres indications. In fine, c’est une dose de 25 Gy en une seule fraction qui a été délivrée au niveau du foyer chez un patient conscient, sans qu’il soit besoin de recourir au cathétérisme cardiaque. La durée moyenne de l’ablation a été de 14 minutes (extrêmes : 11 à 18 mn), un plus chez les malades fragiles.
L’efficacité de la SBRT a été très facilement appréciée en comptant le nombre d’épisodes de TV grâce au DAI. Son acceptabilité a été évaluée au moyen de l’imagerie cardiaque et thoracique. Avant le traitement, 6 577 épisodes de TV ont été dénombrés chez l’ensemble des participants. Dans les 6 semaines qui ont suivi, période qui correspond à la persistance d’une inflammation tissulaire dans la région traitée, ce nombre est passé à 680. Par la suite, au terme d’un suivi de 46 patients-mois, seuls 4 épisodes de TV ont été dénombrés, soit une réduction de 99,9 % par rapport à l’état basal et tous les patients ont bénéficié de cette amélioration pour le moins significative. Sur le plan de l’acceptabilité, aucune diminution de la fraction d’éjection du ventricule gauche n’a été observée. Au 3e mois de l’évolution, la TDM thoracique a révélé quelques opacités pulmonaires au voisinage de la zone irradiée, probablement d’origine inflammatoire qui ont d’ailleurs disparu en moins de 12 mois. Un accident vasculaire thrombo-embolique est survenu 3 semaines après l’intervention, sans lien évident avec elle.
En bref, ces résultats apparaissent prometteurs, même s’il convient de les confirmer sur une plus grande échelle. Chez 5 patients porteurs d’une TV réfractaire à tout traitement, la SBRT couplée à l’imagerie électrocardiographique de surface et guidée par des manœuvres électrophysiologiques a permis de réduire considérablement la fréquence des troubles du rythme. De plus, la procédure allant de l’identification du foyer arythmogène à sa destruction par irradiation sélective a été totalement non (ou très peu) invasive, à la différence de l’ablation par radiofréquence.
Il reste à savoir si elle est applicable dans son intégralité à d’autres patients, tout comme il reste à préciser son rapport efficacité/acceptabilité sur le long terme, car 25 Gy, ce n’est pas une petite dose. L’impact sur la qualité de vie a toutes les chances d’être favorable, ce qui n’est pas assuré pour la durée de la survie, car cette dernière dépend en grande partie de la sévérité et de la cause de la cardiopathie sous-jacente. D’autres études s’imposent donc pour permettre l’essor de cette technique qui vient de toute manière enrichir à bon escient les stratégies thérapeutiques actuelles.
Dr Philippe Tellier