
Des modèles de décision très différents selon les pays
Les soins de fin de vie sont une source de détresse morale, car
parmi les patients admis dans les unités de soins critiques (USC),
environ 13 à 20 % décèdent à la suite de décisions de ne pas
intensifier et/ou de retirer une thérapeutique vitale (LATA en
France). Les directives anticipées des patients sont rarement
connues et il incombe alors à d'autres personnes de prendre des
décisions dans l'intérêt du patient. Les modèles de prise de
décision en fin de vie diffèrent selon les pays. Aux États-Unis,
les proches du patient sont légalement désignés comme mandataires
pour la prise de décision. Au Royaume-Uni, les décisions juridiques
relatives au traitement des patients incapables de discernement
relèvent d’un médecin-conseil, même si l'avis des proches sur les
souhaits du patient est pris en considération, mais les proches
n'agissent pas en tant que représentants légaux. En France, il
s’agit de la personne de confiance. Les décisions de fin de vie
sont prises dans des conditions émotionnellement intenses et sont
compliquées par l'administration de thérapies de maintien en vie et
les difficultés à prédire le décès. Les perceptions varient entre
les médecins des unités de soins intensifs, les autres cliniciens
et les proches, de sorte que le moment où le traitement doit être
interrompu n'est pas toujours clair ou convenu, ce qui crée des
demandes de thérapie futile ou d'arrêt de la thérapie qui sont
moralement pénibles. Peu de choses sont connues sur la détresse
morale des médecins des soins intensifs lors de la prise de
décisions concernant l'abstention et l'arrêt des traitements de
maintien en vie et l'approche du don d'organes en fin de
vie.
Explorer les déclencheurs de la détresse morale
Cette étude qualitative a été entreprise dans une USC de référence en Irlande du Nord (Royaume-Uni), en s'appuyant sur des études de cas de patients au sujet desquels ont été prises des LATA, sur la base d’entretiens approfondis avec des médecins seniors et juniors. L'objectif était d'explorer les déclencheurs de la détresse morale et les contraintes qui empêchent les médecins de faire « ce qu'il faut » et les conséquences qui en découlent lorsqu'ils prennent des décisions pour les patients en fin de vie. Dix-huit médecins seniors et juniors impliqués dans 21 études de cas de patients ont eu un entretien. L'analyse a permis de déterminer deux thèmes prédominants : les principaux déclencheurs de détresse morale et les stratégies et conséquences.Les médecins juniors plus affectés que les seniors
Les étapes critiques où la rupture de la continuité de la prise
en charge médicale déclenche une détresse morale ont été
identifiées. Le niveau d'autonomie dont jouissent les seniors sur
leur pratique en vertu de leur position et de leur statut
professionnel dans l'organisation leur permet d'éviter la détresse
morale en reportant, en prenant et en annulant des décisions et en
retardant les soins palliatifs. Toutefois, les déclencheurs des
médecins seniors incluent la contrainte de l'autonomie clinique. Le
modèle du " consultant de la semaine " (le même consultant pendant
toute la semaine) offre une cohérence dans les soins, les relations
et la prise de décision. Cependant, l'implication prolongée dans le
cas d'un patient peut constituer un fardeau moral pour les juniors,
ce qui risque de provoquer une détresse morale et un épuisement
professionnel. L'étude a également révélé que les seniors qui
s'identifiaient comme faisant partie d'une équipe et qui
équilibraient la recherche du consensus et le contrôle personnel
des décisions évitaient la détresse morale. Par contre, les juniors
ont rapporté la plupart des cas de détresse morale, déclenchés par
la l’inutilité perçue, le manque de continuité, les décisions
prolongées et l'incapacité à assurer une "bonne mort". Les juniors
les plus âgés, dotés d'une plus grande expérience, s'en sont mieux
sortis que les débutants, qui ont eu du mal à concilier leurs
convictions en matière de soins palliatifs et leur participation à
un traitement perçu comme prolongé et futile. Les juniors étaient
plus susceptibles de signaler des symptômes liés à l'épuisement
professionnel et le rejet des carrières en soins intensifs comme
conséquences de la détresse morale.
Donner leur juste place aux soins palliatifs et les enseigner
Dr Bernard-Alex Gaüzère