
L’affaire Orpea et les révélations du livre-enquête « Les
Fossoyeurs » paru en janvier dernier ont mis en lumière le
phénomène des mauvais traitements dans les Ehpad. Soins
insuffisants, isolement, malnutrition, voire violences physiques :
les résidents des établissements pour personnes âgées sont victimes
de nombreux maux et certains observateurs dénoncent même
l’existence d’un système institutionnalisé de maltraitance au sein
de certains Ehpad.
Si le gouvernement a affiché sa volonté de faire évoluer les
choses et d’accentuer les contrôles, notamment sur les
établissements privés, son incapacité à quantifier le phénomène des
maltraitances risque de limiter sa marge de manœuvre.
Des bilans très lacunaires
Ainsi, en février dernier, l’exécutif indiquait ne disposer
d’aucune statistique fiable sur la question des maltraitances dans
les Ehpad.
Pourtant, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS)
établit chaque année depuis 2010 un « bilan statistique national
annuel » recensant les « évènements exceptionnels et/ou à
caractère dramatique menaçant ou compromettant la santé ou la
sécurité des usagers des établissements médico-sociaux », ce
qui inclut, outre les résidents d’Ehpad, les adultes handicapés
admis dans des centres spécialisés et les enfants pris en charge
par les services de la protection de l’enfance.
Via une requête à la Commission d’accès aux documents
administratifs (CADA), le journal Le Monde a pu finalement accéder
aux bilans des années 2018 à 2021.
A leur lecture, on comprend mieux pourquoi le gouvernement n’a
pas voulu s’étendre sur ces études statistiques de la DGCS. Ces
rapports sont en effet extrêmement lacunaires, puisque seulement
une dizaine de cas de maltraitance sont remontés chaque année à la
DGCS par les agences régionales de santé (ARS).
En 2019, sept agences sur 18 n’ont signalé aucun fait de
maltraitance dans leur région.
A titre de comparaison, le 3977, numéro national d’écoute
destinés aux personnes âgées et aux personnes handicapées victimes
de maltraitance, traite près de 1 400 dossiers par an, alors même
que « la part des alertes que nous connaissons via le 3977 est
dérisoire » estime Pierre Czernichow, président du bureau
fédéral du 3977.
Pas d’évolution du système en vue
Les agents de la DGCS ont bien conscience que les quelques cas
de maltraitance qu’on leur signale représentent qu’un faible
pourcentage des mauvais traitements infligés aux résidents d’Ehpad.
« Le très faible nombre de signalements interroge sur la
représentativité et la portée générale que peut avoir le bilan
» notent, dans un style très administratif, les auteurs du
rapport de 2019.
Année après année, les agents de la DGCS demandent dans leur
rapport que le processus de signalement des faits de maltraitance
soit « optimisé » et jugent « nécessaire de revoir le
fonctionnement et les objectifs de la mission d’alerte ».
En décembre dernier, la Défenseure des droits s’était
également émue de cette situation, déplorant l’absence de
statistiques fiables qui permettrait « d’évaluer, objectiver et
comparer les différentes situations de maltraitance
».
Les motifs de signalement sont peu clairs et mal connus par
les établissements pour personnes âgées et les ARS, chacun
appliquant en définitive sa propre politique, ce qui explique que
peu de cas remontent au niveau national.
La DGCS rappelle pourtant que tout cas de maltraitance
non-signalée ou auquel aucune réponse n’est apportée « permet la
réitération des faits, parfois sur plusieurs années pour un même
individu ».
Le gouvernement espère que la nouvelle définition très large
de la maltraitance, inscrite dans la loi du 7 février dernier
relative à la protection de l’enfance, permettra d’améliorer la
remontée des signalements. Mais aucune refonte du système de mesure
de la maltraitance n’est pour le moment évoquée. Il reste donc bien
difficile de savoir quelle part des quelques 700 000 pensionnaires
d’Ehpad sont réellement victimes de mauvais traitements.
Nicolas Barbeta