Sodium et risque cardiovasculaire : un débat qui ne manque pas de sel

La relation positive entre consommation de sodium et pression artérielle est connue de très longue date.  L'existence de ce lien épidémiologique a conduit les sociétés savantes concernées à conseiller une diminution des apports en sodium à l'ensemble de la population afin de réduire le risque cardiovasculaire (RCV). Ainsi les recommandations actuelles préconisent des apports quotidiens en sodium ne dépassant pas 1,5 à 2,4 g (soit 3,75 à 6 g de sel par jour).

Or, certains ont émis des doutes sur la valeur de cet objectif à l'échelle de la population générale et ce pour trois types de raisons. D'une part car la consommation de la majorité de la population mondiale se situe nettement au dessus de ces seuils (entre 7,5 et 15 g de sel par jour) ce qui rendrait une telle diminution difficile à atteindre sans un bouleversement des habitudes alimentaires et culinaires qui reste improbable et peut-être dangereux. D'autre part car nous ne disposons pas d'études randomisées de grande ampleur démontrant l'effet positif à long terme sur le RCV (et non seulement sur la fréquence de l'HTA) d'un régime très pauvre en sel comme celui qui serait nécessaire pour atteindre ces objectifs ambitieux. Enfin parce que certains essais laissent penser qu'un régime très pauvre en sel pourrait même avoir des effets négatifs sur le RCV indépendamment de son action hypotensensive (peut-être par le biais de l'activation du système rénine angiotensine aldostérone).

C'est notamment pour tenter de clarifier la situation qu'une équipe internationale a entrepris l'étude PURE (pour Prospective Urban Rural Epidemiology) qui vient de donner lieu à la publication de deux articles dans le New England Journal of Medicine.

Schématiquement PURE a inclus un peu plus de 100 000 personnes de 35 à 70 ans dans le monde chez qui la consommation de sodium a été estimée par la mesure de son excrétion sur un échantillon urinaire matinal. 

Sel et PA une relation non confirmée pour les faibles consommations

La première publication qui porte sur 102 216 sujets de 18 pays différents apporte quelques éléments nouveaux sur les relations entre consommation de sodium et HTA (1). Elle montre en premier lieu que la consommation de sodium est élevée selon les critères des sociétés savantes avec pour 90 % de la population une excrétion urinaire de sodium supérieure à 3 g/j et pour seulement 4 % des valeurs dans les limites de ce qui est recommandé aux Etats-Unis (entre 1,5 et 2,3 g/j).  En second lieu si la relation positive entre consommation de sodium et PA est confirmée, celle-ci est loin d'être uniforme puisqu'elle est de plus en plus significative à mesure que la consommation s'élève et devient non significative en dessous de 3 g/j. Enfin ce travail confirme la relation inverse entre consommation de potassium et PA. 

Encore une courbe en J qui interpelle

Le deuxième travail a porté sur 101 945 sujets provenant de 17 pays (2). Il a permis d'étudier les relations entre consommation de sodium et un indice composite regroupant les décès et les événements cardiovasculaires majeurs après un suivi moyen de 3,7 ans.  Ses résultats, beaucoup plus surprenants, pourraient avoir des conséquences pratiques.

Il est apparu, comme attendu, que par comparaison à une excrétion de sodium quotidienne de 4 à 5,99 g (prise comme référence), un niveau élevé (supérieur à 7g/j) était associé à une augmentation de 15 % du risque de décès ou d'événements CV majeurs (avec un intervalle de confiance à 95 % entre +2 et + 30 %). Cette association était plus forte chez les sujets hypertendus.

De façon moins prévisible, une faible excrétion quotidienne de sodium (moins de 3 g/j) était également associée à une augmentation du risque de décès ou d'événements CV majeurs de 27 % (avec un intervalle de confiance à 95 % entre +12 et + 44 %). Par diverses analyses complémentaires O'Donnell et coll. ont naturellement écarté plusieurs facteurs de confusion possibles et une causalité inverse (en excluant de l'étude statistique les sujets ayant à l'inclusion une pathologie cardiovasculaire avérée, un cancer ou prenant un antihypertenseur ou en ne tenant compte que des événements négatifs survenus après plus de 2 ans de suivi).

Les objectifs de consommation de sel sont-ils à réévaluer ?

Il faut probablement souligner deux limites de ces travaux inhérentes à la méthodologie choisie : l'absence de mesure directe de l'excrétion de sodium quotidienne mais son évaluation par un dosage sur échantillon et le caractère observationnel de ce travail rendant impossible l'établissement d'une relation causale entre consommation élevée ou basse de sodium et augmentation du risque de décès et d'événements cardiovasculaire majeurs.

Pour l'éditorialiste du New England Journal of Medicine (3), malgré ces limites, la confirmation sur une large échelle (et après exclusion de nombreux biais), d'une majoration du risque associée à une excrétion urinaire  faible de sodium (inférieure à 3g/jour) remettrait en cause la validité des objectifs de consommation généralement recommandés. Pour lui, seule une étude interventionnelle randomisée et contrôlée de très grande ampleur permettrait en théorie de trancher le débat sur l'intérêt d'un régime peu salé à l'échelle de la population toute entière. Mais un tel essai est-il possible ?

Gageons que ces résultats et cette conclusion aux implications majeures seront largement contestés notamment pour des raisons méthodologiques et que le débat est loin d'être clos.

Dr Anastasia Roublev

Références
1) Mente A et coll. : Association of urinary sodium and potassium excretion with blood pressure. N Engl J Med 2014; 371:601-611
2) O'Donnell M et coll.: Urinary sodium and potassium excretion, mortality, and cardiovascular events. N Engl J Med 2014; 371:612-623
3) Oparil S. : Low sodium intake — Cardiovascular health benefit or risk ? N Engl J Med 2014; 371:677-679

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