
Nouvelle-Orléans, le vendredi 14 avril 2023 – Une cour d’appel fédéral a de nouveau autorisé la vente de mifépristone aux Etats-Unis, mais sous de strictes conditions.
Depuis plus de 50 ans aux Etats-Unis, « pro-vie » et « pro-choix » s’écharpent sur la question du droit à l’avortement. Et comme souvent de ce côté de l’Atlantique, ces débats éthiques se règlent devant les tribunaux, selon des procédures judiciaires hautement complexes. Dernier objet de cette bataille culturelle et juridique : la mifépristone, aussi connu sous le nom de RU 486, qui est utilisé en association avec le misoprostol pour réaliser plus de la moitié des avortements aux Etats-Unis.
Vendredi dernier, Matthew Kacsmaryk, un juge fédéral basé à Amarillo dans le nord-ouest du Texas et connu pour ses opinions résolument conservatrices, a rendu une décision sans précédent en retirant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de la mifépristone, accordée par la Food and Drug Administration (FDA, l’agence du médicament américaine) en 2000. Malgré le consensus scientifique selon lequel la mifépristone est un médicament efficace et sûr, le juge Kacsmaryk a retenu qu’en autorisant ce produit, la FDA avait cédé à « d’intenses pressions politiques pour renoncer aux précautions de sécurité afin de promouvoir l’objectif politique d’élargir l’accès à l’avortement ».
La mifépristone de nouveau autorisée…mais sous conditions
La FDA a immédiatement fait appel de cette décision, avec le soutien de l’administration Biden, de plusieurs Etats démocrates mais également de l’industrie pharmaceutique. Dans un communiqué commun, plusieurs grandes firmes du secteur, dont le géant Pfizer, se sont en effet émues du fait qu’un juge puisse substituer sa propre appréciation à celle des scientifiques, ce qui « crée de l’incertitude pour l’industrie pharmaceutique dans son ensemble en ignorant des décennies de preuves scientifiques ».
Réunie en urgence, la cour d’appel fédérale de Nouvelle-Orléans, dont les trois juges sont conservateurs, a en partie annulé mercredi soir la décision du juge Kacsmaryk, estimant que les lois sur la prescription lui interdisaient de revenir sur une décision de la FDA datant de 2000. S’ils ont donc de nouveau autorisé la vente de mifépristone aux Etats-Unis, les trois juges de Louisiane ont en revanche durci les conditions de prescription. Désormais, ce médicament ne pourra être utilisé que durant les sept premières semaines de grossesse (contre dix auparavant) et devra être obligatoirement délivré en main propre par un professionnel de santé (et non plus par la poste). De plus, la femme devra consulter son médecin à trois reprises avant de se voir prescrire de la mifépristone.
La Floride interdit l’avortement au-delà de six semaines
Une décision en demi-teinte qui ne satisfait pas le président Joe Biden, qui se dit résolu à défendre le droit à l’IVG dans tout le pays. « Nous pensons que la loi est de notre côté et nous obtiendrons gain de cause » a déclaré la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre, qui a déclaré que la FDA allait désormais faire appel de cette décision. Pour complexifier encore un peu plus l’affaire, un juge progressiste de l’Etat de Washington, Thomas Rice, a interdit vendredi dernier à la FDA de retirer la mifépristone du marché dans 16 Etats et à Washington. Le ministère de la Justice a donc demandé à la Cour Suprême de préciser laquelle de ces deux décisions (celle du juge Kacsmaryk ou celle du juge Rice) devait s’appliquer.
Les partisans du droit à l’avortement ne cachent cependant pas leur inquiétude sur la suite de cette procédure judiciaire. La Cour Suprême, qui aura le dernier mot, est en effet dominée par des juges conservateurs. C’est cette même Cour Suprême des Etats-Unis qui, le 24 juin dernier, a mis fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, revenant ainsi sur cinquante ans de jurisprudence. Depuis, 14 Etats ont fortement restreint voire totalement interdit l’avortement sur le territoire. Ce jeudi, la Floride, troisième Etat le plus peuplé du pays, s’est jointe à la liste. Par 70 voix contre 40, le Parlement local a voté une loi interdisant l’avortement au-delà de six semaines, sauf en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la mère. Pressenti pour être le candidat républicain à l’élection présidentielle l’an prochain, le gouverneur Ron De Santis a immédiatement promulgué la loi.
Nicolas Barbet