Fin de vie : les tergiversations de l’exécutif

Paris, le lundi 11 décembre 2023 – La présentation du projet de loi légalisant l’aide active à mourir a été repoussée à février. L’exécutif hésite encore sur l’opportunité de légaliser l’euthanasie.

Le 9 décembre 2022, la Première Ministre Elisabeth Borne ouvrait solennellement la convention citoyenne sur la fin de vie. Un an plus tard presque jour pour jour, cet évènement que le gouvernement voulait historique n’a toujours abouti à rien d’un point de vue législatif. Lorsque la convention avait remis son rapport le 2 avril dernier au Président de la République Emmanuel Macron, ce dernier avait pourtant promis de traduire les propositions des conventionnels dans un projet de loi « avant la fin de l’été ».

Mais la présentation de ce projet de loi historique, censé constituer la grande réforme sociétale du second quinquennat d’Emmanuel Macron, a par la suite été repoussé au mois de décembre.Cependant, dans un entretien avec le journal Le Figaro publié ce vendredi, la ministre des Professionnels de Santé Agnès Firmin Le Bodo, en charge de ce dossier, a annoncé que le texte ne serait finalement présenté qu’en février. Au sein de la majorité, où l’on sait que la question divise les députés, certains plaident même pour que le futur débat parlementaire ne commence pas avant les élections européennes du 9 juin prochain.

Une « exception d’euthanasie » qui passe mal chez les médecins

Les ministres l’assurent : si l’élaboration du texte prend autant de temps, c’est parce que sur une question aussi épineuse, il faut peser chaque mot. « Sur ce sujet, il faut qu’on y aille quand on est absolument sûrs de tout ce qu’on a écrit » expliquait ainsi le ministre de la Santé Aurélien Rousseau le 14 novembre dernier. Mais il semble également qu’Emmanuel Macron, qui vantait lors de sa campagne de réélection le « modèle belge » de la fin de vie (notre voisin autorisant très largement l’euthanasie), ait le plus grand mal à trancher ce débat hautement philosophique et éthique.

Deux options s’ouvrent en effet à lui : autoriser uniquement le suicide assisté, ce qui empêcherait les patients ne pouvant se donner la mort seuls de « bénéficier » d’une aide active à mourir, ou créer également une « exception d’euthanasie » et prendre ainsi le risque de se mettre à dos des médecins très divisés sur la question. L’Ordre des Médecins et l’Académie de Médecine l’ont en effet bien précisé : si le suicide assisté peut être envisageable pour des patients en fin de vie en situation de grande souffrance, il n’est pas question d’autoriser des médecins à donner la mort.

« A partir de notre expérience, nous répondons que le recours à une euthanasie d’exception n’est pas nécessaire car la loi actuelle permet de répondre aux demandes de malades n’étant plus capables de déglutir ou de respirer seuls » ont ainsi écrits dans une lettre ouverte au chef de l’Etat le Pr Pierre-François Perrigault (CHU de Montpellier), le Dr Pierre-François Pradat (Pitié Salpêtrière) et Sara Piazza (psychologue à Saint-Denis). Selon ces trois spécialistes, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielle avec sédation profonde, tel que prévu par la loi Claeys-Leonetti de 2016, permet de répondre aux attentes de ces patients qui ne peuvent pas se suicider. « Cette proposition d’exception d’euthanasie n’est rien d’autre qu’un cheval de Troie pour diffuser une culture médicale de l’euthanasie » abonde dans le même sens le Pr Louis Puybasset, chef du service d’anesthésie-réanimation à la Pitié-Salpêtrière.

Un plan pour renforcer les soins palliatifs

Incapable pour le moment de trancher cette question épineuse, le gouvernement préfère se concentrer sur un sujet plus consensuel : l’amélioration des services de soins palliatifs. Mandaté par l’exécutif, le Pr Franck Chauvin, ancien président du conseil de la Santé Publique (HCSP), a remis ce vendredi son rapport sur une stratégie décennale de renforcement des soins palliatifs, renommés « soins d’accompagnement ». Parmi différentes mesures, le Pr Chauvin propose de créer des « maisons d’accompagnement », sorte de « chainon manquant entre l’hôpital et le domicile » explique Agnès Firmin-Le Bodo. La ministre promet que le gouvernement présentera dès janvier son plan pour les soins palliatifs, qui reprendra un certain nombre des propositions du Pr Chauvin. « C’est une petite révolution dans la manière de considérer les soins palliatifs que nous allons proposer » assure la ministre.

La présentation de cette stratégie décennale sera également un moyen de faire patienter les partisans de l’aide active à mourir. Réunis au sein de l’association « les 184 » (comme les 184 membres originels), 80 anciens participants à la convention citoyenne sur la fin de vie demandent à Emmanuel Macron de respecter ses engagements et de traduire leurs propositions en loi. « Monsieur le Président, votre avis sur les soins palliatifs et l’aide active à mourir est important mais ne saurait être l’unique boussole en la matière » écrivent-ils dans une lettre ouverte publiée ce samedi.

« Il serait opportun de la part de l’exécutif de respecter cette fois sa promesse aux citoyens » ajoutent-ils. Rien n’est moins sûr…

Quentin Haroche

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Vos réactions (2)

  • Hypocrisie

    Le 11 décembre 2023

    On connait tous des situations dramatiques de fin de vie qui ont été "accélérées".
    Difficiles pour tout le monde, famille, patient, corps medical.......
    Donc aujourd'hui seuls ceux qui ont les moyens de passer la frontière auront le droit de choisir leur fin de vie
    Quelle misère

    Pr A. Muller

  • Le poison des mots

    Le 13 décembre 2023

    L'envahissement du débat public par l'expression "fin de vie" y interdit toute raison. Toute vie est condamnée à finir, et cette fin peut survenir à tout âge. Si l'on veut parler d'une période particulière, celle qui précède le décès, il faut la définir explicitement. Autrement dit, il s'agit d'un diagnostic ; plus précisément, d'un pronostic médical qui repose sur des critères précis.
    Tant qu'on n'aura pas confié à la HAS de donner une définition médicale préalable de la "fin de vie", il restera totalement oiseux d'en parler et de demander son avis à tout un chacun. Répétons sans relâche que "ce qui n'est pas scientifique n'est pas éthique".
    La mort n'est pas un événement, mais un processus irrémédiable. L'événement auquel elle conduit est le décès, qui n'en est pas un synonyme. La "fin de vie" doit être simplement considérée comme l'entrée dans la mort. La question scientifique est de savoir quels sont les marqueurs de ce processus permettant de dire qu'un sujet est mourant.

    Etre vieux ou souffrant, ce n'est pas être mourant. Etre fatigué de vivre, ce n'est pas être mourant. Etre demandeur d'un suicide, ce n'est pas être mourant. Toutes ces conditions doivent être exclues d'un débat raisonnable sur la "fin de vie"; elles doivent être traitées dans un cadre particulier : accorder ou non aux individus en pleine conscience le droit de mettre fin à leurs jours (et d'avoir d'un accès à ce droit dans les meilleurs conditions).

    A contrario, être mourant est une situation médicale dont la prise en charge doit être exclusivement réservée aux professionnels concernés. Cette vraie fin de vie est aujourd'hui du ressort d'unités de soin spécialisés, et les seules questions qui vaillent sont celle des bonnes pratiques en la matière. Les politiciens sont assurément les plus mal placés pour en juger.

    Les recommandations de bonnes pratiques en fin de vie sont malheureusement aujourd'hui indigentes. Il faut absolument commencer par là : bonnes pratiques diagnostiques : comment juge-t-on que la mort est engagée à court terme ? bonnes pratiques de soin : qu'est-ce qui est admis ou non pour limiter l'intensité et la durée des souffrances avant le décès ? Bien entendu il faut aussi déployer massivement des unités dédiées, avec des moyens importants et des personnels réellement spécialisés. On en finira alors avec ces affrontements scholastiques et la justice n'aura à juger d'éventuels litiges entourant la fin de vie des mourants, comme tout litige sanitaire, qu'au regard de ces règles professionnelles claires. D'ici là, cessons de parler à tort et à travers de "fin de vie" et surtout de vouloir faire dire à la loi ce qu'est la bonne médecine.

    Dr P. Rimbaud

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