
Paris, le lundi 13 avril 2015 – Comme le rappellent les députés Alain Clayes (PS) et Jean Leonetti (UMP) dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », l’accompagnement des derniers jours a été à l’origine ces dernières années de nombreux textes de lois et rapports. « Reconnaissance de droits accrus aux malades dans le sillage de la loi du 4 mars 2002, développement des soins palliatifs, condamnation de l’obstination déraisonnable, mise en place par la loi d’une procédure collégiale d’arrêt des traitements (…) ont modifié très sensiblement les données médicales de la fin de vie de nos concitoyens » rappellent les deux députés. Cette évolution législative s’est accompagnée d’une large réflexion déployée par de plusieurs instances, et notamment à plusieurs reprises par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). La multiplication de ces textes réglementaires et législatifs et de ces rapports et avis témoigne d’une part du souci constant des responsables publics pour ces questions mais tout en même temps, aux yeux de beaucoup, du refus d’affronter les véritables questions en jeu : faut-il autoriser ou non l’euthanasie et/ou le suicide assisté ? Beaucoup ont vu dans la dernière proposition de loi en date, adoptée en premier lecture le 17 mars dernier par 436 voix (et 83 voix contre), une nouvelle forme d’atermoiements. Les partisans d’une légalisation de l’euthanasie estiment en effet que le texte ne répondra pas à toutes les situations, tandis que les opposants jugent que c’est une nouvelle étape vers des pratiques qu’ils réprouvent.
Un cas de conscience ancestral
Pourtant, ce que certains observent comme des "hésitations délétères" voire des "hypocrisies" pourrait n’être que le reflet du cas de conscience qui depuis toujours hante les médecins et les professionnels de santé sur ces questions. Ces derniers en effet sont les premiers conscients que les conditions offertes aux patients dans les dernières semaines et jours de leur vie ne contribuent pas à amoindrir parfaitement leurs souffrances physiques et morales. Ils ont tous été les témoins de situations difficilement acceptables, où les agonies douloureuses et prolongées de leurs malades leurs laissaient un déchirant sentiment d’impuissance. Pourtant, dans leur grande majorité, les médecins et infirmières considèrent que leur rôle et leur mission sont incompatibles avec la réalisation d’un geste destiné à provoquer la mort, même s’il ne s’agit que de la hâter. Ce dilemme explique que les positions des professionnels de santé sur l’euthanasie et/ou le suicide assisté n’ont jamais été tranchées. Si ces dernières années, a pu, à travers certaines enquêtes, se dessiner une majorité inédite de professionnels en faveur de l’euthanasie, très récemment interrogés par le JIM, ils se sont déclarés assez largement hostiles au suicide assisté.
Sondage réalisé sur notre site du 26 mars au 8 avril 2015
Une loi bien adaptée
Ces dilemmes et indécisions pourraient avoir trouvé une réponse dans la solution, pourtant jugée par beaucoup comme imparfaite, présentée par Alain Claeys et Jean Leonetti. Leur texte « reconnaît un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l’arrêt de traitement dans deux hypothèses où le patient en ferait la demande : lorsqu’un malade conscient est atteint d’une maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et souffre de symptômes réfractaires au traitement ; lorsque la décision prise par le malade conscient atteint d’une affection grave et incurable, d’arrêter un traitement de maintien en vie et que cet arrêt engage son pronostic vital ». Aujourd’hui, une majorité de professionnels de santé, 62 % selon un sondage réalisé du 26 mars au 7 avril sur notre site, se déclarent parfaitement favorable à l’instauration d’un tel droit. C’est une proportion bien plus large que le nombre de nos lecteurs qui ces dernières années ont pu se déclarer favorables à l’euthanasie (53 % en octobre 2012) ou au suicide assisté (43 % en décembre 2014). Surtout notre enquête met en évidence qu’ils ne sont qu’une minorité (19 %) à défendre, à l’encontre de ce dispositif, une légalisation de l’euthanasie. Ainsi, apparaît-il que rares sont les médecins jugeant que cette loi n’offrira pas une réponse suffisante aux situations rencontrées. Il semble également qu’ils estiment ce système apte à les protéger judiciairement. De même, ils ne sont qu’une minorité (18 %) à considérer que la sédation profonde et continue doit être assimilée à une "euthanasie déguisée". Il apparaît donc que la plupart des professionnels de santé ne considèrent pas que ce geste puisse être incompatible avec leur rôle et leur conviction. Enfin, se sentant peut-être insuffisamment informés sur ce que recouvre la "sédation profonde et continue" et surtout sur les circonstances dans lesquelles elle pourra être employée, 2 % de nos lecteurs ne se sont pas prononcés.
Une adhésion inédite
La défense de la sédation profonde et continue était déjà lisible dans un avis du Conseil de l’Ordre des médecins en février 2013. On observera que cet alignement de la position des praticiens avec celle de leur Ordre n’est pas si fréquente. Bien plus rare encore est l’adhésion des professionnels de santé à une proposition de loi soutenue par le gouvernement actuel.
Mais il faut rappeler que ce texte a une origine parlementaire…
Aurélie Haroche