
L'essor de la transplantation est contrarié par la pénurie d'organes à greffer. Cette pénurie est particulièrement marquée pour le cœur notamment car ce n'est pas un organe pair et que des donneurs vivants ne sont bien sûr pas envisageables comme pour les reins ou même le foie. Pour pallier ce manque structurel depuis 2006, la possibilité de prélever des organes, qui était jusqu'ici limitée aux sujets en état de mort cérébrale a été étendue (avec des précautions éthiques et juridiques drastiques) à des sujets à cœur arrêté. Ces prélèvements pratiqués après un arrêt circulatoire irréversible (défini selon les législations comme une asystolie durant de 2 à 5 minutes) sont utilisés en particulier pour des transplantations rénales, pulmonaires ou hépatiques et auraient permis d'accroître considérablement le nombre de greffons disponibles dans de nombreux pays du monde (jusqu'à 50 % des donneurs dans certains pays).
Cependant à quelques exceptions près*, lors de toutes les transplantations cardiaques pratiquées dans le monde le donneur est en état de mort cérébrale et son cœur est battant lorsque débute le prélèvement au bloc opératoire.
Une intervention débutée 2 à 5 minutes après l'arrêt circulatoire
Une équipe australienne a voulu expérimenter la possibilité de réaliser des greffes cardiaques avec des greffons prélevés après arrêt circulatoire. Trois patients ont bénéficié de cette nouvelle technique. Les donneurs étaient des sujets de moins de 40 ans en réanimation à la suite d'un traumatisme ou d'une hypoxie et pour lesquels la cessation des soins avait été décidée en raison d'un pronostic très défavorable (critère de Maastricht III)**. Après arrêt du respirateur, un arrêt circulatoire est survenu en 11 à 16 minutes. Celui-ci a été suivi d'une période d'observation légale de 2 à 5 minutes qui a précédé le prélèvement proprement dit. Après 22 à 28 minutes d'ischémie "chaude", une perfusion ex vivo a été mise en place à l'aide du dispositif Organ Care System (OCS) qui permet, après reprise spontanée ou provoquée des contractions cardiaques, de transporter le greffon cardiaque perfusé et battant. Ce raccordement à un OCS autorise également d'évaluer la viabilité du greffon. Ces 3 cœurs ont été transplantés chez 3 receveurs hospitalisés à distance. Les durées totales d'ischémie (ischémie chaude avant raccordement à l'OCS plus durée allant de l'arrêt cardioplégique dans l'OCS à la reprise des contractions cardiaques après anastomose au système vasculaire du receveur) ont été de 90, 96 et 107 mn.
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Redéfinir la "mort" circulatoire
Les suites opératoires ont été marquées chez l'un des sujets par une insuffisance ventriculaire gauche de type Takotsubo ayant nécessité une oxygénation membranaire par circulation extracorporelle (ECMO) durant 3 jours et la pose d'un ballon de contre-pulsion aortique. Les trois receveurs ont pu retrouver une fonction cardiaque normale dans la semaine qui a suivi la transplantation et étaient en vie 176, 91 et 77 jours après l'intervention (à la date de soumission de la publication).
Cette étude pilote confirme la faisabilité de prélèvements cardiaques fonctionnels après arrêt circulatoire et l'intérêt de l'OCS pour l'étude de la viabilité, le transport et la "réanimation" du greffon. Si ces bons résultats étaient confirmés sur une plus large échelle, cette technique pourrait contribuer à accroître le nombre de greffons disponibles d'environ 17 % selon certaines estimations.
Pour permettre le développement de cette méthode de prélèvement cardiaque les auteurs et l'éditorialiste du Lancet, le célèbre professeur Magdi Yacoub, en appellent à une redéfinition internationale de la "mort" circulatoire afin de limiter la durée de l'ischémie chaude et donc les altérations myocardiques qu'elle entraîne. M Yacoub souhaite également que les essais de perfusion ex vivo des greffons cardiaques soient développés ce qui pourrait permettre de "réanimer" des cœurs de qualité marginale et d'accroître encore le nombre de transplantations réalisables.
* Il s'agit notamment de quelques greffes pratiquées lors des
tous premiers pas de la transplantation cardiaque à la fin des
années 60 et de 3 transplantations réalisées chez des nouveau-nés
en 2008 avec des donneurs anencéphales.
** En France les prélèvements après arrêt circulatoire survenant
après interruption des soins (catégorie Maastricht III) ne sont pas
autorisés actuellement.
Dr Céline Dupin