Mère porteuse : quelle gestation sur les blogs ?

Paris, le samedi 23 mai 2015 – La gestation pour autrui (GPA) a fait son retour à la une des médias ces derniers jours à la faveur d’un incroyable imbroglio judiciaire, dont on veut croire (peut-être à tort) que seule la France a le secret (et à propos duquel nous vous proposons dans notre rubrique « Côté Cour » quelques éclaircissements). La blogosphère ne pouvait être étrangère à cette actualité, d’autant plus qu’elle s’est accompagnée de la publication par plusieurs intellectuels (marqués à gauche) d’une tribune contre la GPA dans le sillage d’une initiative internationale.

Eusocialité symbiotique

Comme parfois, sur les blogs, cette agitation invite à prendre de la distance ; souvent avec ironie. Sur son site hébergé par le Monde, le docteur Luc Perrino fait ainsi de la sémantique. « La biologie a classé et nommé les comportements sociaux caractéristiques des espèces » commence-t-il avant de distinguer : les solitaires, les grégaires, la subsocialité, la colonialité, la communalité et l’eusocialité. Qu’on se le dise, la communalité décrit en partie le mode d’organisation d’Homo sapiens. « Dans la subsocialité, comportement de loin le plus courant, les animaux s’occupent de leurs petits, et l’on parle de colonialité lorsqu’ils se regroupent pour cette tâche sans pour autant s’occuper des enfants des autres. La communalité est une colonialité où certaines tâches sont mises en commun, c’est le cas des otaries et des Homo sapiens » précise Luc Perrino. Comment intégrer dans cette catégorisation la question de la gestation pour autrui ? Le médecin nous précise qu’elle existe dans la nature : « Ce comportement (…) empreinte aux modèles du coucou qui fait couver ses œufs par d’autres, des parasites qui se reproduisent aux dépens d’un autre, voire des parasitoïdes qui finissent par tuer l’hôte qui les a portés. Mais dans tous ces cas, les hôtes gestants ne sont pas consentants » résume-t-il, permettant en filigrane de révéler sa position. A partir de ces exemples et après avoir rappelé que « l’eusocialité est une forme de vie commune où la reproduction n’est confiée qu’à quelques individus », Luc Perrino tâtonne : « Nous pourrions nommer cette nouvelle socialité "eusocialité parasite" puisque les gestantes ne font pas partie du groupe social des géniteurs, mais cette appellation serait malséante pour les deux parties. Nommons-là donc "eusocialité symbiotique", cela fera plaisir aux sociologues, aux progressistes, aux démagogues, aux conservateurs, aux paroissiens, au transhumanistes, aux constitutionnalistes, aux médiateurs et à tous ceux qui n’ont pas d’avis précis sur les étiquettes » ironise-t-il  avant de conclure : « Toute cette machinerie sociale ne me dit rien qui vaille pour l’espèce ». Une façon assez originale de manifester ses réticences dans un débat où tous ne s’embarrassent pas des mêmes élégances.

Quand grossir le trait pour servir son argumentation facilite la tâche des détracteurs

En témoignent les passes d’arme qui ont succédé à la publication de la tribune résolument hostile à la GPA signée entre autres par Michel Onfray, Sylviane Agacinski ou l’anthropologue Martine Segalen dans Libération. Jean-Yves Nau qui ne cache pas sa sympathie pour les propos des signataires s’est attelé toutes ces semaines à suivre les ricochets nés de la diffusion de ce texte. Concernant ce dernier, tout d’abord, il le qualifie (positivement) de « redoutable » et veut croire qu’il « laissera des traces chez les partisans » de la GPA. Il constate par ailleurs que sa conclusion est « sans appel » avant de conclure : « Dans une époque où le marché règne, et les médias ne mènent plus guère de combats, voilà un projet qui vaudra d’être médiatiquement observé et politiquement suivi ». Et c’est ce à quoi s’est employé Jean-Yves Nau, sans que son adhésion à la position exprimée par les signataires l’empêche parfois de remarquer leur égarement. Tout à leur empressement de dénoncer les maux qui pèsent sur les femmes enrôlées dans la GPA, dont ils rappellent qu’elles sont le plus souvent fort démunies et en incapacité de formuler un consentement éclairé, les signataires n’ont en effet pas hésité à dresser un portrait très sombre des techniques de procréation médicalement assistée (PMA) en particulier et de la grossesse en général. « Le processus médical de la GPA entraîne des risques pour la mère de substitution, pour les jeunes femmes qui vendent leurs ovocytes et pour les enfants nés grâce aux techniques d’assistance médicale à la procréation. Parmi les risques encourus par les femmes : le syndrome d’hyperstimulation ovarienne (SHSO), la torsion ovarienne, le kyste ovarien, une douleur pelvienne chronique, une ménopause précoce, une perte de fertilité, une tumeur cancéreuse du système reproductif, des caillots sanguins, une insuffisance rénale, un arrêt cardiaque et, dans un certain nombre de cas, la mort. Les femmes faisant une grossesse à partir d’ovocytes provenant d’autres femmes présentent un risque plus élevé de pré-éclampsie et d’hypertension » s’inquiétaient ainsi les auteurs. Quelques jours plus tard, Libération observe « avec raison » souligne Jean-Yves Nau « que la dernière tribune des anti-GPA s’égare quelque peu quand elle grossit le trait sur les risques médicaux liés à la pratique. La fin justifie-t-elle les moyens ? Où est ici la vérité ? » interroge Jean-Yves Nau sur son blog. Pour le docteur François Olivennes, interrogé par Libération, interview sur laquelle revient Jean-Yves Nau l’analyse et simple : « On met en avant un catalogue de risques, mais qui sont liés à la grossesse, aux antécédents de la femme ou à son âge. Je ne dis pas qu’il n’y a aucun risque, mais les présenter de cette manière est une arnaque » conteste le docteur Olivennes qui finit par s’insurger contre le caractère « réactionnaire » des auteurs de la tribune.  Outrance contre outrance, Jean-Yves Nau départage : « Il reste à comprendre pourquoi le Dr Olivennes qualifie de "réacs" la "frange d’intellectuels français"  qui "inlassablement" dénonce cette nouvelle forme d’esclavage. Un esclavage qui voit des femmes pauvres louer leur corps pour donner la vie à des enfants vendus avant de naître » finit-il.

Ici tout n’est que bonheur et générosité

Ainsi, on le voit, sur les blogs des médecins et éditorialistes français, les points de vue idéologique et philosophique tiennent la part belle. De l’autre côté de l’Atlantique, de telles analyses sont fortement concurrencées par des blogs tenus pour leur part par… des mères porteuses ! Le site Rue 89 avait effectué il y a quelques mois une plongée dans la blogosphère des mères porteuses pour constater qu’elle était très éloignée de l’image proposée par les penseurs français. Pas d’esclavagisme ou de contrainte ici, mais le bonheur d’aider un couple, avec lequel on a tissé de forts liens d’amitié, à devenir parents. Sur ces sites, les femmes partagent en majorité le même plaisir d’être enceinte (les inconvénients de la grossesse sont généralement passés sous silence, même si certaines ne sont pas épargnées par de véritables complications, tel un diabète gestationnel) et le bonheur d’être essentiel pour les autres, quand quelques unes affichent des positions militantes (pour le droit des homosexuels à devenir parents). Elles jurent en outre faire parfaitement la différence entre une grossesse pour autrui et une grossesse pour soi (la très grande majorité sont mères de plusieurs enfants). Après la naissance, outre l’expression d’une grande fierté, certaines admettent souffrir d’une forme de "blues" (mais plus certainement en raison de la fin du "projet" qu’à cause de la perte de l’enfant), d’autres se taisent, quand quelques unes s’étonnent de ne rien ressentir pour les enfants. On parle très peu d’argent et on assure dans la plupart des cas qu’il ne peut être le premier moteur. Une vision de la GPA idyllique.

A quand un blog de mère porteuse indienne ou ukrainienne ?

Pour retrouver ses débats et ses témoignages, vous pouvez vous rendre sur :
http://expertiseclinique.blog.lemonde.fr/2015/05/17/coucou-la-socialite-de-la-gpa/
http://jeanyvesnau.com/2015/05/11/attaque-internationale-au-bazooka-contre-la-gpa-bove-vlady-onfray-roudy-agacinski-abecassis-etc/
http://jeanyvesnau.com/2015/05/15/pourquoi-le-dr-francois-olivennes-qualifie-t-il-de-reacs-michel-onfray-jose-bove-sylviane-agacinski-ou-yvette-roudy/
http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/17/blog-americaines-racontent-monde-merveilleux-gpa-255515

et sur le blog tenu il y a quelques années par une mère porteuse Canadienne qui a également écrit un livre sur le sujet
http://aupaysdescigognes.blogspot.fr/

Aurélie Haroche

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