Projet de loi de santé au Sénat : défense de la santé publique à géométrie variable

Paris, le jeudi 17 septembre 2015 – Si les modifications apportées au projet de loi de santé par le Sénat devraient, pour beaucoup, ne pas être confirmées dans le texte définitif, ces discussions permettent néanmoins d’observer comment les lignes politiques habituelles peuvent bouger mais aussi combien la santé publique peut se révéler à géométrie variable en fonction des inspirations partisanes.

Les Républicains (soutenus par une partie de la gauche) dorlotent les viticulteurs

Un grand nombre de sénateurs Républicains (majoritaires au Palais du Luxembourg) n’avaient pas caché leur volonté de faire évoluer en profondeur le projet de loi de santé. Ces ambitions concernent les mesures visant l’organisation des soins (et notamment la généralisation du tiers payant), mais aussi celles ayant trait à la santé publique, comme en ont témoigné les premiers jours du débat. D’abord, le 15 septembre, les sénateurs ont affiché des intentions contradictoires en ce qui concerne la lutte contre la consommation excessive d’alcool. Bien qu’ils avaient été priés la veille par une vingtaine d’associations et de société savantes de ne pas inscrire dans la loi de « décision contraire à la santé publique », les sénateurs ont repris à leur compte un amendement qui avait été finalement rejeté de haute lutte à l’Assemblée nationale, destiné à permettre la distinction entre « information » journalistique sur certaines boissons alcoolisées et publicité. Il s’agit selon les défenseurs de cette disposition d’éviter que les journalistes s’intéressant par exemple à l’oenotourisme  puissent être sanctionnés au nom de la loi Evin (ce qui n’a été que très rarement le cas). Beaucoup, cependant, jugent une telle distinction dangereuse, car elle permettra sans doute la promotion de certaines boissons alcoolisées au nom de la glorification du "terroir". Marisol Touraine, ministre de la Santé, n’a d’ailleurs pas caché son inquiétude et sa déception au moment de l’adoption de l’amendement, estimant qu’il s’agissait d’un « coup dur porté à la santé publique ». Difficile de savoir si elle parviendra à obtenir gain de cause : en cas d’échec de la commission mixte paritaire, le retour final du texte devant l’Assemblée nationale pourrait ne pas aboutir nécessairement à la suppression de cet amendement, également soutenu par des socialistes.

Droite et gauche à fronts renversés !

Si soucieuse de défendre la santé publique, (« Que dirait-on d’une ministre qui ne se préoccuperait pas des 50 000 morts que fait l’alcool chaque année » a-t-elle lancé), le ministre a cependant refusé de soutenir un amendement qui marquait une inspiration très différente des sénateurs : il vise à limiter la pratique des "happy hours" en fixant un prix de vente plancher, afin d’éviter les consommations excessives (et le binge drinking). Tout en prenant « acte » de cet « engagement en faveur de la santé publique », le ministre a affirmé qu’elle ne pouvait soutenir un texte allant à l’encontre des « principes de libre concurrence », une appréciation qui se discutera, quand on sait que par le passé de nombreuses mesures ont été prises pour éviter la distribution quasiment gratuite d’alcool dans les soirées étudiantes, tandis que les lois européennes se montrent souvent adaptables en cas d’enjeux de santé publique. Faut-il croire que le ministre s’est refusé à défendre un amendement avancé par la droite ?

La santé publique au soleil

De même, son attachement à la santé publique a vacillé hier quand s’est posée la question de l’interdiction des cabines de bronzage. Un amendement dans ce sens a été adopté, soutenu par plusieurs élus socialistes, mais sans l’accord du gouvernement. Le ministre a en effet indiqué qu’elle préférait l’encadrement à une telle mesure. Certains pourraient sans doute s’étonner ici de l’absence de fermeté du gouvernement, qui veut croire une fois encore qu’il aura le dernier mot sur ce sujet, même si, là aussi, certains élus de gauche pourraient se rallier à une préconisation soutenue par de très nombreux spécialistes (syndicats de dermatologues et Académie de médecine en tête).

Les buralistes entendus par la droite (et un peu aussi par la gauche !)

Il n’est pas improbable que les appréciations différentes de la solution à adopter s’expliquent par la confrontation entre enjeux sanitaires et économiques. D’une manière plus éclatante encore, une telle confrontation s’impose en ce qui concerne la lutte contre le tabac. Mais en la matière (l’importance de l’enjeu aidant), le ministre a choisi son camp : elle affirme sa détermination. C’est ainsi qu’elle défend depuis des mois l’instauration d’un paquet de cigarette neutre. Cependant, sensibles probablement aux protestations bruyantes des buralistes, les sénateurs ont rejeté la réintroduction de cette mesure (supprimée en commission des affaires sociales). Le ministre de la Santé, une fois encore, n’a pu que faire part de sa déception, ravivée par le fait que de nombreux élus socialistes ont choisi de s’abstenir ou de voter contre aux côtés de leurs collègues républicains. Il faut dire que la pression des buralistes conjuguée à l’incertitude quant à l’efficacité réelle d’une telle mesure (voire une certaine idée de la libre concurrence !) favorisent chez beaucoup d’élus une remise en cause de la mesure. Les débats se poursuivent aujourd’hui, avec d’autres enjeux de santé publique et bientôt la question de l’instauration du tiers payant (face à laquelle les logiques de parti devraient être plus attendues).

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article