
L’incidence du mélanome malin et la mortalité associée ont augmenté régulièrement au cours des dernières décennies. A côté des campagnes de prévention, l’accent est mis sur la nécessité d’un dépistage des tumeurs à un stade plus précoce, potentiellement curable. Ce dernier suppose une surveillance à long terme par dermatoscopie, réclamant des ressources financières et en professionnels qualifiés élevées. Pour améliorer le rapport coût efficacité de ces programmes de surveillance, il a été suggéré de les réserver à des patients à haut risque. Cependant, sur cette population sélectionnée, la question demeure de savoir quelles lésions doivent être plus particulièrement suivies. La présence de nombreux nævus banals ou atypiques est en effet en lui-même un facteur de risque de mélanome : les examiner régulièrement en dermatoscopie numérisée est à nouveau très coûteux et très chronophage. Or combien de lésions mélanocytaires bénignes sont elles réellement des précurseurs de mélanome ? Aussi étonnant que cela puisse paraître la proportion n’est pas connue : si l’on se réfère à l’interrogatoire des patients, elle varie de 18 à 85 % selon les études et si l’on en croit les travaux en anatomopathologie elle va de 4 à 70 %...l’ensemble de ces analyses étant par ailleurs rétrospectives.
Face à cette situation, une équipe de dermatologues a entrepris une étude prospective dans le but de préciser la fréquence des mélanomes développés sur un nævus préexistant et les liens éventuels avec les autres facteurs de risque dans une cohorte de patients à haut risque suivis au long cours par dermoscopies numérisées et photographies corps entier répétées. Les caractéristiques suivantes ont été enregistrées à l’inclusion : âge, sexe, couleur des yeux, des cheveux, phototype, antécédents de mélanome, personnels et familiaux, nombre de naevus atypiques ou non.
Un nævus préexistant dans plus de la moitié des cas
La population étudiée compte 832 sujets qui ont été examinés à intervalle réguliers entre le 1er avril 1997 et le 31 mai 2012. Ils se répartissent en trois groupes selon le niveau de leur "haut risque" : ceux qui ont plus de 50 nævus mais pas plus de 3 nævus atypiques (groupe avec le plus "faible" risque), ceux qui ont au moins 50 nævus banals et plus de trois nævus atypiques et enfin ceux porteurs de plusieurs nævus atypiques et dont des parents au premier ou second degré ont été atteints de mélanome malin.
Au cours de la surveillance 190 mélanomes (81 in situ et 109 invasifs [Breslow médian : 0,42 mm]) ont été diagnostiqués chez 113 patients (42 femmes et 71 hommes). L’examen anatomopathologique a révélé la présence de reliquats de nævus mélanocytaire pour 103 tumeurs (54,2 %). La plupart de ces mélanomes "issus" de nævus siégeaient sur le tronc (65,1 % ; non statistiquement significatif).
En analyse univariée, des mélanomes développés à partir de nævus ont été retrouvés significativement plus fréquemment parmi les patients qui avaient plus de 50 nævus banals et/ou pas plus de 3 nævus atypiques, considérés comme ayant le niveau de risque le moins élevé (odds ratio [OR] : 2,75 ; intervalle de confiance à 95 % [IC] 1,14-6,64), ceux ayant plus de 100 nævus (OR : 1,63 ; IC : 1,02-3,60) et ceux ayant un mélanome in situ (OR 14,01 ; IC : 6,14-31,96) ; p < 0,001). En revanche, des mélanomes associés à un nævus ont été moins souvent mis en évidence chez les patients ayant déjà des antécédents de mélanomes (OR : 0,28 ; IC : 0,21-0,83 p = 0,005). Aucun des autres facteurs de risque tels que l’âge, le phototype…n’est apparu avoir d’influence sur la survenue des mélanomes à partir de nævus.
Ces constatations ont été confirmées par l’analyse séparée des 109 mélanomes invasifs. L’analyse multivariée a identifié quatre facteurs de risque indépendants de mélanome sur nævus: nombre élevé de naevus, "faible" niveau de risque et sexe féminin, mélanome in situ.
Au total, cette étude semble suggérer que chez des sujets à haut risque présentant plus de 50 nævus mais peu de nævus atypiques et n’ayant pas d’antécédent familiaux de mélanome, plus de la moitié des mélanomes se forment à partir de nævus préexistants, en particulier sur le tronc. Cet élément est à considérer dans la surveillance de ces patients.
Dr Marie-Line Barbet