
Le sujet pourrait faire grand bruit. Car, au-delà des faits, il soulève une nouvelle fois la question du surdiagnostic et de ses conséquences, déjà maintes fois évoquée pour le cancer du sein et celui de la prostate. Une équipe du Centre International pour la Recherche sur le Cancer (CIRC-IARC) vient en effet de publier un rapport remettant en cause l’idée "d’épidémie" de cancers thyroïdiens décrite dans certains pays depuis plusieurs décennies. Ces cancers sont principalement de petits carcinomes papillaires et l’augmentation du nombre de cas diagnostiqués n’a pas eu d’impact notable sur la mortalité par cancer thyroïdien qui, selon les pays, est restée stable ou a légèrement diminué.
L’augmentation la plus importante est observée en Corée du Sud, où l’incidence parmi les individus de 15 à 79 ans est passée de 12 à 60 cas pour 100 000 personnes entre 1993-97 et 2003-07, faisant du cancer thyroïdien le plus fréquent chez les femmes de ce pays.
Une modification radicale de la courbe « historique »
L’équipe du CIRC a analysé les bases de données d’une douzaine
de pays à hauts revenus et disposant de registres de données tenus
depuis suffisamment longtemps. Cela a permis de comparer les
courbes d’incidence selon l’âge à une courbe de référence, celle
des années 1960, avant l’apparition de l’échographie. Cette courbe
« historique », remarquablement identique pour tous les pays,
montre une augmentation exponentielle des diagnostics avec l’âge,
cohérente avec le modèle de carcinogenèse décrit par Armitage et
Doll et avec ce qui est constaté avec la plupart des cancers
épithéliaux. Cette courbe historique des âges est utilisée pour
estimer le nombre de cas attendus si la détection du cancer
thyroïdien avait continué à se faire en premier lieu par la
palpation.
Et cette comparaison est éloquente, puisque depuis 1980,
l’incidence augmente nettement chez les femmes d’âge moyen. Elle
augmente aussi, mais dans une faible mesure, chez les plus âgées.
La courbe des âges s’est transformée au fil du temps, passant d’une
courbe exponentielle à une courbe en U inversé. Ces changements
sont très nets chez les femmes, mais présents aussi chez les hommes
et sont retrouvés dans les 12 pays considérés, bien qu’à des degrés
divers selon les pays.
L’implication de l’accès à l’imagerie
Selon les auteurs, aucun nouveau facteur de risque ou augmentation des niveaux d’exposition aux facteurs de risque ne peut être rendu responsable de telles modifications, touchant principalement une classe d’âge, et présentes dans tous les pays considérés. Ces cas détectés en excédent par rapport à la courbe « historique » seraient à attribuer à des diagnostics de tumeurs asymptomatiques, liés à l’amélioration des techniques de diagnostic et à une surveillance accrue des personnes plus jeunes et d’âge moyen, facilitant le dépistage opportuniste.
Les changements les plus spectaculaires des courbes d’incidence selon l’âge sont observés dans les pays les plus affectés par la présumée « épidémie » de cancers thyroïdiens, parmi lesquels la Corée, les Etats-Unis, l’Italie et la France. Les auteurs font le lien entre un accroissement de l’incidence en Corée dans les années 2000 et la mise en place de programmes de dépistage systématique en 1999, alors qu’aux Etats-Unis, Australie et Italie, l’augmentation est plus ancienne, dès le début des années 80 et correspond à une facilitation de l’accès aux soins, notamment aux échographies, favorisant les examens échographiques opportunistes de la thyroïde dans cette tranche d’âge.
Plus de 500 mille personnes dans le monde concernées par le surdiagnostic
Ainsi, dans le communiqué du CIRC-IARC, les auteurs estiment que l’augmentation des suivis médicaux et l’introduction de nouvelles techniques d’imagerie (échographie dès les années 80, puis scanner et IRM), ont favorisé la détection d’un nombre important de lésions indolentes, non létales, qui existent en abondance et à tout âge dans la glande thyroïde de sujets en bonne santé. La majorité de ces lésions ne seront à l’origine d’aucun symptôme ni de décès. A l’appui de cette hypothèse, le fait que le type histologique prédominant à changé au fil des ans, avec une augmentation de la proportion des carcinomes papillaires après l’introduction de l’échographie.
Toujours est-il que les auteurs estiment à 46 000 le nombre de Françaises qui auraient été victimes d’un surdiagnostic de cancer thyroïdien en une vingtaine d’années (les données disponibles ne vont pas au delà de 2007), soit 70 à 80 % des diagnostics. Dans le monde, les surdiagnostics affecteraient plus de 470 000 femmes et 90 000 hommes.
Mais ces personnes ont subi une thyroïdectomie totale et parfois des traitements plus agressifs tels radiothérapie ou curage ganglionnaire, avec leurs possibles complications et effets secondaires.
Une étude menée au Japon sur plus de 1 200 patients présentant un microcarcinome papillaire, montre que seule une minorité de ces lésions (3,5 %) progresse au cours d’un suivi moyen de 75 mois, et aucun patient ne décède. C’est pourquoi les auteurs de l’étude préconisent d’instaurer, pour les nodules de moins de 1 cm, des protocoles de surveillance active, que de futurs travaux devraient permettre de définir.
Dr Roseline Péluchon