
Paris, le lundi 10 octobre 2016 – L’ouverture à Paris cette semaine d’une première salle de consommation à moindre risque (parfois plus rapidement appelée "salle de shoot") a été précédée de plusieurs années de débats et de discussions souvent passionnées. Evoqués alors depuis plus d’une décennie dans de nombreux pays, c’est à partir de 2010 que les centres d’injection supervisés deviennent en France un sujet de confrontation récurent parmi les spécialistes de la lutte contre la toxicomanie et dans le monde politique. A cette époque, un rapport de l’INSERM émet un avis favorable à ces dispositifs, s’appuyant sur les expériences internationales, apportant des résultats positifs quant à la diminution de la criminalité associée à la consommation de drogues et à celle de la transmission de différentes maladies infectieuses (VHC, VIH, VHB). Pourtant, en dépit du soutien du ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, le gouvernement lui ferme brutalement la porte, considérant qu’elle représenterait un message totalement contre-productif sur la dangerosité des produits stupéfiants.
Débats houleux brouillant tous les clivages
Deux ans plus tard, Marisol Touraine alors nouvelle ministre de la Santé affiche son ambition de voir autorisées ces salles d’injection à moindre risque. Les invectives reprennent de plus belle, avec des débats virulents à l’Assemblée où l’on voit les clivages traditionnels droite/gauche se brouiller. Certains au sein de la première n’hésitent en effet pas à défendre le principe des salles d’injection à moindre risque (le Sénat à majorité à droite ira même jusqu’à adopter l’article permettant leur expérimentation dans le cadre de la loi de santé), tandis qu’au cœur de la gauche quelques voix singulières s’élèvent pour émettre des bémols sur la pertinence du dispositif. Le texte sera finalement adopté. Si le choix de la capitale s’est rapidement imposé pour accueillir la première salle "expérimentale", son emplacement a été de nouveau l’objet de discussions houleuses. Les riverains d’un ancien dépôt SNCF du boulevard de la Chapelle exprimèrent ainsi avec force leur réticence, conduisant au déplacement du projet au sein de l’hôpital Lariboisière.
La place ambiguë des professionnels de santé
C’est donc dans un bâtiment de l’établissement (mais disposant d’une entrée totalement indépendante de l’hôpital) que la première salle d’injection à moindre risque française sera inaugurée demain en présence du ministre de la Santé et du maire de Paris. Elles pourront découvrir en pénétrant dans les locaux les banderoles encore présentes des habitants du quartier qui demeurent hostiles à cette installation.
Le centre d’injection s’étend sur 400 mètres carrés. Il se compose de deux salles de consommation, l’une dédiée à l’injection (avec six box particuliers et six places supplémentaires) et la seconde à l’inhalation.
Une salle de repos et un cabinet infirmier complètent le dispositif. Si les toxicomanes, qui doivent s’enregistrer anonymement avant d’entrer, s’injectent leur propre produit (dont la provenance et la constitution ne peuvent pas être parfaitement contrôlées ce qui représente un dilemme éthique pour certains professionnels), le matériel est fourni. La quantité injectée est par ailleurs surveillée. C’est cependant, le patient qui procède lui-même à l’injection. La place des professionnels de santé est néanmoins centrale : la composition de l’équipe suppose ainsi la présence constante de « deux intervenants, dont au moins un infirmier compétent pour la prise en charge des urgences liées à l’usage de drogue » précisait le décret d’application publié il y a quelques mois. Des vacations médicales doivent également être organisées, tandis que les médecins auront la « responsabilité » de la mise en place d’un « chariot d’urgence » qui devra notamment comprendre de la naloxone. Soulignons enfin que si ces centres n’ont pas la vocation de remplacer les centres de sevrage, des conseils sur la prise en charge de l’addiction ne manqueront pas d’être prodigués. La salle ne sera initialement ouverte que sept heures par jour (de 13h30 à 20h30), sept jours sur sept, ce qui représentera peut-être un frein à son utilisation.
Encore quelques mois pour convaincre
Selon les expériences internationales, on peut attendre d’un tel système une diminution du nombre de morts par overdose, de la transmission des agents infectieux et de la criminalité. L’incidence sur la consommation est par contre plus discutable, ce qui est notamment mis en avant par les opposants. Ces derniers remarquent par ailleurs qu’il existe d’autres moyens de limiter la transmission des maladies infectieuses, dont beaucoup sont d’ailleurs déployés en France avec succès (distribution de seringues à usage unique notamment). L’expérimentation qui débutera permettra de lever les incertitudes sur différents aspects, notamment celui de la sécurité : il est en effet prévu que dans un périmètre établi autour de la salle, l’application de la loi de 1970 sur la possession et la consommation de stupéfiants soit levée, ce qui inquiète certains représentants des policiers. Si les premiers mois s’avéraient concluants, ils constitueraient un feu vert pour l’ouverture d’autres salles : Strasbourg et Bordeaux sont déjà candidats pour les accueillir.
Aurélie Haroche