Violences aux urgences de Tourcoing : des sanctions sévères attendues

Paris, le mercredi 19 octobre 2016 – Le service des urgences du Centre hospitalier de Tourcoing connaît les mêmes déboires que la majorité des unités du pays. Manque d’effectifs, en raison notamment d’une désaffection d’un nombre croissant de professionnels pour l’exercice au sein de ces services et fréquentation en augmentation font le lit d’un climat électrique. « Trois médecins nous ont quitté cette année » explique ainsi le chef de l'unité, le docteur Hacène Moussouni, cité par le Quotidien du médecin. Insultes et menaces sont légions. « Il n’y a pas une garde de nuit où il ne se passe pas quelque chose » confirme encore dans la Voix du Nord le praticien. Mais dans la nuit de samedi à dimanche, la situation a dérapé.

Tabassé par cinq ou six personnes

La soirée est déjà avancée quand une personne âgée, victime d’un malaise, est conduite par sa famille et ses proches aux urgences. Une quinzaine de personnes accompagnent le patient. Dès leur arrivée, le ton est vif. Les infirmières et aides-soignantes essuient les invectives et sont malmenées. « Nous ne sommes même pas dans un problème de délai de prise en charge du patient. C’est de la violence immédiate » raconte Hacène Moussouni. Rien cependant jusqu’alors qui diffère fondamentalement d’un climat malheureusement fréquent. Le patient ne nécessite pas une prise en charge urgente et est donc prié d’attendre d’autant plus que la soirée est chargée. Deux malades sont en urgence absolue, un arrêt cardio-respiratoire est par ailleurs prononcé, nécessitant un accompagnement des familles et le lancement de la procédure pour le prélèvement éventuel des organes. Quand finalement le sujet est pris en charge (après une heure d’attente) les tensions sont loin de s’être apaisées. Priés de sortir au moment de l’interrogatoire et de l’examen, les proches s’emportent avec violence. Un médecin va être tabassé par cinq ou six personnes, tandis qu’une femme médecin est tirée par la chevelure de façon très brutale. Tous ceux qui essayent de s’interposer, dont les infirmières, sont également menacés : une jeune interne est jetée au sol. Arrivée sur les lieux, la police procède à l’arrestation de trois personnes, deux hommes et une femme. Jugés en comparution immédiate ce lundi, leur procès a été reporté au 7 novembre. Laissés libre, ils ont cependant interdiction de s’approcher du centre hospitalier. 

La fermeté de la justice attendue

Après le départ des forces de l’ordre, la stupeur se lit sur tous les visages : patients et praticiens sont effondrés par la violence des affrontements. Lentement, le travail reprend dans une sorte d’hébétude. Trois jours plus tard, l’émotion et l’inquiétude demeurent, teintées de colère chez beaucoup. « Une telle violence dans un lieu de soins est intolérable » martèle Hacène Massouni qui parle encore d’un acte « sauvage ». Aujourd’hui, les personnels du CH de Tourcoing attendent avec vigilance la réponse de la justice. Ce mardi, le ministre de la Santé a souhaité « que des sanctions exemplaires soient appliquées ». Cependant la décision de laisser les agresseurs en liberté a choqué certains et beaucoup espèrent plus de sévérité début novembre. Plusieurs considèrent que de la prison ferme doit être prononcée face à de tels faits. « Quand on entend la justice, on a la sensation que deux ou trois personnes ont simplement poussé un médecin parce qu'elles n'étaient pas contentes du délai de prise en charge de leur père. Mais c'est faux (...). Ce sont des actes d'une violence extrême qui marquent le service » s'emporte aujourd'hui Hacène Moussouni dans La Voix du Nord avant de regretter que seules trois personnes soient inquiétées alors que dix autres ont participé à l'"incident"

Une journée Urgences Mortes

Au delà des conséquences judiciaires, les urgentistes de Tourcoing s'inquiètent des répercussions prévisibles sur le fonctionnement du service : le grave incident risque en effet de fragiliser la détermination de certains soignants, déjà mise à rude épreuve. Pour manifester leur désarroi sur ce point, une journée Urgences Mortes devrait être organisée prochainement. Le service ne recevra alors que les cas nécessitant une prise en charge immédiate et/ou hospitalière. « Il s'agit de démontrer au public qu'il ne faut pas banaliser les urgences » insiste Hacène Moussouni. Cette journée devrait être organisée avant l'audience du 7 novembre, mais un mouvement de protestation plus important pourrait être envisagé si la justice ne se montrait pas assez ferme. 

Une connaissance du phénomène trop imprécise

La nuit vécue à l'hôpital de Tourcoing rappelle la violente agression subie par un médecin urgentiste de Saint-Denis il y a une quinzaine de jours, qui a vu ses deux mains brisées. Elle fait écho dans tous les services d’urgence du pays à ces nuits où tout aurait pu basculer et où parfois les insultes et menaces se sont également transformées en coups. Les statistiques de l’Ordre des médecins (publiés par exemple hier et qui concernent plus certainement les libéraux) ou de l’Observatoire des établissements de soins ne permettent que très imparfaitement de mesurer l’ampleur et la nature du phénomène, parce qu’elles reposent uniquement sur des déclarations volontaires. Ces chiffres et les très récentes attaques graves en banlieue parisienne dont ont été victimes des policiers et des professeurs confirment l’installation d’une violence sourde que les mesures annoncées ponctuellement par les pouvoirs publics paraissent impuissantes à endiguer.

Bien qu'une nouvelle réunion sur la sécurité aux urgences devrait se tenir à la demande de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), il est probable qu'un vertigineux sentiment de solitude étreint aujourd’hui un grand nombre de soignants. 

Aurélie Haroche

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Vos réactions (10)

  • Le tiers payant...

    Le 19 octobre 2016

    ...va peut-être déplacer ces problèmes.

    Dr Bernard Hoche

  • Il y en a marre

    Le 19 octobre 2016

    L'hôpital doit limiter l'accès à un seul accompagnant, la personne de confiance, et ne pas autoriser l'entrée de toute la smala venue de toute évidence pour casser du toubib.

    Dr Isabelle Gautier

  • Agression d'urgentistes à l'hôpital de Tourcoing

    Le 19 octobre 2016

    Le ministère de la Santé va probablement encourager les soignants victimes. Et encore plus probablement s'assurer que les agresseurs ont pu bénéficier du tiers-payant.

    Dr E. Robin, néphrologue

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