
Paris, le jeudi 5 janvier 2016 – Nous l’avons régulièrement souligné, l’année 2016 a été l’occasion pour les professionnels de santé de lever le voile sur la souffrance que beaucoup ressentent aujourd’hui dans l’exercice de leur métier, notamment à l’hôpital. Les infirmières, touchées par plusieurs suicides pour lesquels la responsabilité au moins partielle des contraintes professionnelles a été mise en évidence, se sont particulièrement mobilisées.
Au-delà des revalorisations salariales, les infirmières ont été nombreuses à évoquer leur désarroi face à l’impossibilité d’accorder du temps et une prise en charge de qualité aux patients. Les restrictions d’effectif les empêchent en effet de plus en plus de donner du sens à leur métier, favorisent le sentiment de "bâcler" leur tâche, quand ne s’y ajoutent pas une gestion des plannings qui renforce l’impression de n’être qu’une variable d’ajustement. L’évocation du malaise des infirmières était le thème central de la grande grève du 8 novembre dernier, qui a donné lieu à des manifestations dans toute la France. Les réponses données par Marisol Touraine à cette mobilisation, qui se sont notamment concentrées sur une meilleure reconnaissance des compétences des infirmières, ne sont pas considérées comme suffisantes aux yeux d’un grand nombre d'associations professionnelles. Aussi quatorze organisations d’infirmières hospitalières et libérales appellent aujourd’hui à une nouvelle journée d’action le 24 janvier prochain. Une manifestation aura notamment lieu entre la Gare Montparnasse et le ministère de la Santé afin de délivrer à Marisol Touraine une piqûre de rappel sur le "malaise soignant".
Opérations coups de poings
Parallèlement à cette mobilisation nationale, plusieurs hôpitaux de France font face depuis quelques semaines à une épidémie de grèves, organisées en premier lieu par les personnels infirmiers. Partout ce sont les mêmes revendications d’une amélioration des moyens afin de pouvoir offrir aux patients une prise en charge de meilleure qualité qui s’expriment. Les opérations organisées sont parfois spectaculaires et fortement symboliques.
Ainsi, début décembre, les infirmières du CHU Gabriel-Montpied à Clermont-Ferrand avaient pendant quelques minutes bloqué l’accès à certaines salles en s’allongeant au sol, figurant un cimetière de professionnels de santé. « L’hôpital tue ses soignants » a par ailleurs dénoncé pendant plusieurs jours une banderole barrant l’entrée des urgences. Cette opération fut le point d’orgue d’une grève débutée fin octobre afin de dénoncer un sous-effectif chronique.
Une symbolique proche avait été choisie par les infirmières de Pontoise qui dans les derniers jours de décembre projetaient de réaliser un saut à l’élastique depuis un pont de Cergy. Si un arrêté préfectoral a finalement interdit cette manifestation symbolique, les infirmières se préparent aujourd’hui à une grève illimitée qui pourrait débuter lundi pour dénoncer un plan de réduction du personnel inquiétant.
Les salariés de la clinique de l’Ormeau à Tarbes ont choisi pour leur part d’exprimer leur colère par l’occupation de locaux publics, qu’il s’agisse du siège de l’Agence régionale de Santé, de l’aéroport de Tarbes ou hier de la gare de Matabiau à Toulouse. Si le conflit implique ici un employeur privé, les infirmières mobilisées depuis près de deux mois pressent les pouvoirs publics d’intervenir, alors que les propositions avancées par la direction demeurent toujours très en deçà des revendications, notamment salariales.
La qualité des soins en question
Si les opérations spectaculaires de ce type sont rares, les débrayages de quelques heures par jour, plus classiques deviennent de plus en plus fréquents. Nîmes, dont le service des urgences du CHU n’avait plus connu de grève depuis plusieurs années, voit ainsi ces dernières semaines se répéter les cessations d’activité ponctuelles. L’incompréhension persiste entre la direction qui affirme avoir pu négocier une augmentation salariale de 3 % chaque année et les représentants des personnels qui font le constat d’un manque d’effectifs dans la plupart des services. Même dialogue de sourd à Clamart, où les infirmières poursuivent leur grève depuis plus d’un mois.
L’épuisement est au cœur des discours. « J’ai une conscience professionnelle, je fais mon travail. Mais quand je rentre à la maison, je pleure » expliquait ainsi il y a quelques jour une infirmière aux urgences psychiatriques aux journalistes de BFM TV. La jeune femme qui évoque elle aussi le manque d’effectif dénonce l’absence de soutien de l’encadrement de la direction. Une de ses consœurs constate par ailleurs les répercussions sur les malades. « Les patients sont inquiets, ils ont l’impression de ne pas être pris en charge » analyse-t-elle en citant le recours plus fréquent à la contention comme symbole d’une dégradation de la qualité des soins.
On pourrait encore citer dans cet inventaire des grèves suivies ces dernières semaines, les infirmières de l’Hôpital Haut-Lévêque à Bordeaux qui à la fin de l’année ont accueilli sans conviction la proposition de la direction de réaliser une « enquête pour objectiver la charge de travail des aides soignants, afin de mettre à plat son organisation ». Enfin, à Tenon, les infirmières se sont mobilisées à la fin du mois de décembre pour dénoncer un projet qui risque selon elles de transformer la maternité en usine à bébés.
Ces différents exemples illustrent l’ampleur du malaise qui touche aujourd’hui les infirmières et qui au-delà des revendications pour elles-mêmes concernent le bien être des patients et la qualité des soins. Un message dont on espère qu’il sera enfin entendu le 24 janvier prochain.
Aurélie Haroche