
Paris le samedi 28 janvier 2017 - Les près de 3 mois de transition qui se sont écoulés entre l’élection de Donald Trump et son investiture ont permis aux électeurs démocrates (qui manifestement furent les plus nombreux) de passer par toutes les étapes du deuil. Le choc, le déni, la colère, le chantage, la dépression, et puis, au 20 janvier 2017, par l’acceptation.
Dans la foulée de l’élection du milliardaire, l’une des inquiétudes majeures des libéraux concernait le maintien du droit à l’avortement. Sur cette question s’opposent optimistes et pessimistes. Les optimistes se retranchent derrière la Constitution, arguant du fait « qu’après tout, un Président des Etats-Unis n’a pas tant de pouvoirs que ça » ce qui est difficilement contestable sur le papier.
A cet argument, les pessimistes répondent qu’avec une majorité au
Congrès, de nombreux gouverneurs conservateurs et un pouvoir de
nomination à la Cour Suprême, l’administration Trump pourrait être
à l'origine d'un changement majeur sur cette question.
En réalité, pour comprendre ce que Trump pourrait concrètement faire ou ne pas faire, il est nécessaire de se plonger dans un droit complexe.
A partir des années 1970, une dépénalisation très progressive dans les Etats
De son indépendance jusqu’à la première partie du vingtième
siècle, l’avortement aux Etats-Unis était un non-débat. L’ensemble
des Etats américains appliquaient des législations visant à
pénaliser l’avortement avec plus ou moins de sévérité. Il fallut
attendre 1967 pour que le Colorado devienne le premier état à
décriminaliser l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de risque
pour la santé de la mère. En 1970, Hawaï est devenu le premier état
à autoriser l’avortement sans restrictions. En 1973, quatre Etats
avaient autorisé l’avortement sans restrictions, treize en cas de
viol, d’inceste, ou de danger pour la mère, deux en cas de danger
pour la mère seulement, et un en cas de viol seulement.
L’avortement restait illégal dans trente états, y compris dans ceux
très peuplés tel que le Texas, le Michigan, l’Ohio ou la
Pennsylvanie.
L’arrêt Roe v. Wade (1973), la révolution fédérale
En 1970, une jeune femme se présentant sous le pseudonyme de Jane Roe contesta devant la justice la législation texane interdisant l’avortement dans tous les cas. Son avocate contesta la législation pour sa contrariété avec la Constitution des Etats-Unis. Roe perdit son procès contre le Procureur de Dallas, Henry Wade.
La Cour Suprême étudia alors le cas opposant Roe à Wade. Par sept voix contre deux, la Cour a estimé que le droit à la vie privée (découlant du quatorzième amendement de la Constitution) interdisait aux Etats d’opposer une restriction à l’avortement dans les douze premières semaines de grossesse.
Cet arrêt rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis le 22 janvier 1973 est sans doute le plus célèbre rendu par la Juridiction. Toutefois, sa portée fut par la suite considérablement limitée.
L’arrêt Planned Parenthood v. Casey, le “oui, mais” de la Cour Suprême
Dans un nouvel arrêt rendu en 1992, la Cour Suprême a autorisé implicitement les Etats à fixer une série de dispositions permettant à la femme d’être « mieux informée » en cas d’avortement. Si en théorie, cette décision avait pour but de protéger le droit des femmes à être régulièrement informée, cette décision a permis en pratique aux Etats de multiplier les législations visant à décourager (parfois à l’aide de désinformation) les femmes à avorter.
Les Etats les plus conservateurs ont ainsi voté de nombreuses lois permettant de limiter l’effectivité du droit à l’avortement.
Certains ont eu recours à des réglementations pernicieuses obligeant les cliniques à réaliser des travaux couteux, menant souvent à la fermeture pure et simple. Certains Etats ne disposent que d’un nombre très limité de cliniques. Dès lors, il n’est pas rare qu’une femme soit dans l’obligation de faire des centaines de kilomètres pour prendre rendez-vous avec une clinique et se voir opposer un délai de réflexion (l’obligeant à faire de nouveau le trajet pour subir l’intervention).
2016, une évolution libérale… puis conservatrice
Le 27 juin 2016, la Cour Suprême a rendu une décision majeure,
déclarant illégal l’obligation faites aux médecins pratiquant des
avortements à disposer d’un droit d’admission de leurs patientes
dans un hôpital local. De ce fait la Cour Suprême rend
illégal une grande partie des mesures qui, d’une manière détournée,
permettent aux Etats de rendre ineffectif le droit à
l’avortement.
Mais avec l’élection de Donald Trump, on peut s’interroger sur le
futur du droit à l’IVG. La menace qui plane sur ce droit ne
provient pas tant du milliardaire new-yorkais que du vice-président
Mike Pence, ancien gouverneur du très conservateur Indiana.
Quels sont les leviers d’action de Trump ?
Le principal "risque" est lié à l’âge de certains juges de la Cour suprême. A l’heure actuelle, deux des juges nommés par Bill Clinton risquent de quitter leurs fonctions dans les prochaines années… (le juge Ginsburg est âgé de 83 ans et le juge Breyer de 78 ans). En outre, à la suite du décès d’Antonin Scalia, le 13 février 2016, il appartient au Président de choisir à son tour premier juge.
Ainsi, dans un futur proche, cinq juges sur neuf auront été nommés par des conservateurs et potentiellement sept en cas de décès ou de départ des juges Ginsburg et Breyer.
L’autre levier qui pourrait être utilisé par Trump et le Congrès concerne le financement de l’avortement par l’Etat fédéral. Ainsi, le nouveau president a d’ores et déjà signé un décret interdisant le financement par des fonds fédéraux d’ONG internationales qui soutiennent l’IVG.
Il reste toutefois difficile de saisir les réelles intentions de Trump en la matière. D’une part, les réelles convictions politiques du nouveau Président, autrefois enregistré comme démocrate, sont parfois insaisissables.
D'autre part, bien que le sujet soit au cœur de crispations dans la société américaine, l’arrêt Roe vs. Wade semble profondément ancré dans le droit américain. Depuis cet arrêt, trois présidents républicains affichant une hostilité de principe à l’avortement ont été élus (Reagan, Bush père et fils). Et les majorités conservatrices au Congrès et à la Cour Suprême n’ont en définitive pas eu pour conséquence une remise en cause du droit des femmes à disposer de leur corps.
Charles Haroche - Avocat – charlesharoche@gmail.com