
Paris, le mercredi 30 mai 2017 – « Citons par exemple le cas du député Richard Ferrand, qui la semaine dernière affirmait aux médecins généralistes qu’ils n’avaient rien à redouter des réseaux mutualistes… ce même Monsieur Ferrand faisant partie de la Mutualité de Bretagne ! ». Nous étions en décembre 2012 et à l’époque le docteur Frédéric Scheiber, représentant de l’Union française pour une médecine libre (UFML) était une des rares voix à dénoncer (dans les colonnes du JIM) les liens d’intérêts entre Richard Ferrand et les Mutuelles de Bretagne. Quelques mois plus tard, en avril 2013, alors que Richard Ferrand se faisait un des plus ardents défenseurs de la proposition de loi de Bruno Le Roux destinée à faciliter les réseaux de soins, le site Acuité (portail d’information dédié à l’optique) n’omettait pas de souligner que le député était un ancien directeur des Mutuelles de Bretagne. Cependant, à l’époque, à l’exception de ces quelques piqûres de rappel, cette proximité entre le député et les mutuelles bretonnes n’avait guère fait jaser. Les choses sont très différentes aujourd’hui.
Chargé de mission pour les Mutuelles de Bretagne et défenseur d'une proposition de loi sur les réseaux de soins
Le député Bernard Accoyer a été le premier à monter au créneau. Le médecin, secrétaire général du groupe Les Républicains (LR) a considéré dimanche que le fait que le ministre de la cohésion territoriale continuait à être rémunéré par les Mutuelles de Bretagne tandis qu’il défendait une loi favorable aux mutuelles constituait un véritable « scandale ». Hier, ce fut au tour de Catherine Lemorton, ancienne présidente de la Commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale et collègue socialiste de Richard Ferrand (on n’est jamais mieux critiqué que par ses vieux amis) de monter au créneau dans Le Monde. « Richard Ferrand m'avait dit qu'il avait travaillé pour les Mutuelles de Bretagne, mais pour moi c'était du passé. Si j'avais su qu'il était encore chargé de mission, la question, je l'aurais posée clairement. Il était en lien d'intérêts ». Comme ne le cache pas sa déclaration d’intérêts remplie en janvier 2014 et transmise à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), après avoir quitté la direction des Mutuelles de Bretagne, Richard Ferrand a conservé auprès de son successeur, Joëlle Salaün, un poste de "chargé de mission", rémunéré à hauteur de 1 250 euros par mois comme le révèle Le Monde. Au-delà de cette collaboration, Richard Ferrand a employé au poste d’assistant parlementaire le compagnon de Joëlle Salaün, Hervé Clabon, militant socialiste de longue date.
Faut-il s'abstenir de voter les lois dont on connaît le sujet ?
Si pour Bernard Accoyer et Catherine Lemorton, l’existence d’un conflit d’intérêt ne fait aucun doute, Richard Ferrand l’entend très différemment (ainsi que ceux qui le défendent véhémentement au sein d’En Marche !). Richard Ferrand insiste d’abord sur le fait que la loi a été déposée par le groupe socialiste « conformément aux engagements de campagne de François Hollande » et qu’il n’a pas présenté d’amendement. Surtout, il défend « J’ai toujours tenu à conserver une activité professionnelle quels qu’aient été mes mandats (…). J’observe que des centaines de députés ou sénateurs conservent également et parfois pleinement leur activité professionnelle, ce qui me paraît totalement bénéfique, par opposition à celles et ceux qui ne vivent que de la politique » a-t-il fait valoir auprès du Monde et dans un communiqué de presse diffusé hier avant de compléter concernant la loi sur les réseaux de soins : « Devais-je m’abstenir de défendre un principe au prétexte que je connais bien le sujet ? Demande-t-on par exemple à M. Christian Jacob de ne pas intervenir sur les sujets agricoles en raison de son ancienne présidence du CNJA (…) ? Interdit-on aux députés qui sont médecins de voter le budget de la Sécurité sociale ? Faut-il expressément empêcher les magistrats et les avocats de siéger à la commission des lois ? » s’interroge-t-il, même si le fait d’être directement rémunéré par une structure privée n’est pas parfaitement comparable avec celui d’exercer la profession d’avocat ou de médecin. Jérome Marty président de l’Union française pour une médecine libre (UFML) interrogé par le JIM considère d’ailleurs : « La ligne de défense de Richard Ferrand (…) est pathétique et manipulatrice! (…). Comparer les qualités professionnelles des députés lors de vote de lois pouvant être en rapport avec leurs professions est tout à fait diffèrent de concevoir une loi, en être co signataire et rapporteur! (tout en continuant d'ailleurs à faire des missions pour la mutuelle précédemment dirigée). C’est en outre faire peu de cas des conséquences économiques de cette loi (positives pour les mutuelles, destructrices pour nombres de professions de santé), et morales alors même que l'on demande aux médecins et aux soignants en général intégrité, moralité, respect de l'éthique et de la déontologie, transparence (ce qui est normal), sous l’égide notamment du décret loi régissant les conflits d’intérêts qui leur impose de déclarer les avantages perçus à partir de 10 euros ! ».
Tentative de défense habile (ou pathétique) de la part d’un
ministre déjà dans la tourmente en raison de révélations concernant
des tractations immobilières qui ne seraient pas illégales selon
lui et le parquet mais pas nécessairement parfaitement éthiques
pour les uns, ces déclarations illustreront pour les autres les
limites de la traque contre les liens d’intérêt.
Ces propos pourraient par exemple faire écho à ceux également
reprochés à Agnès Buzyn, ministre de la santé, signalant il y a
quelques années la difficulté de pouvoir compter sur des experts
qualifiés et compétents si l’on choisit d’exclure systématiquement
toutes les personnes ayant travaillé pour l’industrie
pharmaceutique. Ici se lit en filigrane une conception pragmatique
du rapport entre secteur privé et secteur public, une lecture
cependant qui pourrait être peu compatible avec les exigences de
l’époque (dont certaines sont fortement mis en avant par Emmnauel
Macron et son équipe).
Les incurables collusions entre monde mutualiste et monde politique
Au-delà cependant d’une réflexion probablement utile sur ce que cette affaire révèle de la complexité des questions concernant les conflits d’intérêt, le cas de Richard Ferrand est une nouvelle illustration des rapports très étroits entre le monde politique (notamment dans les rangs socialistes) et le monde mutualiste. Ces collusions qui ont même pu avoir des répercussions judiciaires ont été régulièrement dénoncées par les médecins (par exemple par le praticien blogueur Christian Lehmann). Les praticiens ne peuvent en effet que s’inquiéter de la proximité entre le monde mutualiste et les décideurs, à l’heure où l'influence des mutuelles pourrait entraîner une restriction de la liberté de choix de son praticien par les patients. Cette dimension pourrait être difficilement perçue par des responsables politiques proches des mutuelles. D'ailleurs pendant l'examen du texte de loi, Richard Ferrand rassurait : "Ce n'est pas parce qu'on dit « si vous allez là on vous rembourse un peu plus » qu'on cesse de vous rembourser si vous allez ailleurs. Donc la liberté de choix reste totale. Simplement si le consommateur suit le conseil de son organisme complémentaire il s'en tirera mieux sur le plan financier ». CQFD.
Aurélie Haroche