
Paris, le samedi 6 octobre 2018 – Le 3 avril 2015, l’Assemblée Nationale adoptait dans le cadre de la Loi Santé un amendement disposant que « nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle ».
Après ce vote, de nombreuses associations de défense de droit des homosexuels saluaient la suppression d’une disposition qui était perçue comme discriminatoire : l’existence d’une contre-indication permanente au don de sang à l’encontre des hommes ayant eu des relations sexuelles avec des hommes (« HSH »).
On se souviendra qu’à l’époque, le député Arnaud Richard à l’initiative de l’amendement avait pu fièrement déclarer que la France venait de « tourner la page de 1983 », date où cette contre-indication était entrée en vigueur.
Et pourtant.
Trois ans plus tard, les mêmes communiqués de satisfaction ont été émis à l’annonce de l’adoption d’un nouvel amendement déposé à l’initiative du député de l’Ardèche Hervé Saugnilac (PS) sur cette même question. Fallait-il comprendre que le débat était plus compliqué qu’il n’y paraissait en 2015 ? Sans doute…
Sur quoi repose une contre-indication au don : sur l’orientation ou sur les pratiques ?
Quel était l’état du droit avant 2015 ? Les critères
fixant les conditions de sélection des donneurs étaient fixés par
un arrêté du 12 janvier 2009. Cet arrêté prévoyait notamment une «
contre-indication permanente » du don de sang à l’encontre
des « hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme »
eu égard au « risque ciblé de transmission d’une infection
virale » (VIH, VHC, VHB et HTLV).
En 2012, le candidat François Hollande promettait la suppression de
cette contre-indication. Pourtant, ce n’est qu’en 2015 et dans le
cadre du vote de la Loi Santé que le débat a été de nouveau ouvert
grâce… à un amendement de l’opposition. Désormais, « nul ne
peut être exclu du don de sang en raison de son orientation
sexuelle ».
Depuis 2015 : un « oui…mais »
Mettre fin aux distinctions fondées sur l’orientation suffisait-il à ouvrir le don du sang ?
A vrai dire, l’arrêté de 2009 ne portait pas de référence aux
notions d’homosexualité, l’hétérosexualité ou la bisexualité du
candidat au don. Seuls les comportements sexuels étaient
ciblés.
Dès lors, le vote de la loi de 2015 ne changeait pas grand-chose à
la situation du droit.
Toutefois, le Ministère de la Santé a fait preuve d’une certaine
ouverture. Depuis 2016, les hommes ayant eu des relations HSH
peuvent donner leur sang… douze mois après le dernier rapport
sexuel. Dans le même temps, la contre-indication pour les relations
HSF sont restées à quatre mois.
Après avoir crié victoire à la suite du vote de la loi, les
associations de défense des droits des homosexuels ont perçu dans
cet arrêté une discrimination illégale.
Dans ce contexte, un recours a été formé contre l’arrêté devant le Conseil d’Etat posant en filigrane la question suivante : toute distinction est-elle nécessairement une discrimination ?
Le Conseil d’Etat a répondu négativement à la question posée. Pour la plus haute juridiction administrative, l’arrêté de 2016 est fondé « non sur l’orientation sexuelle mais sur le comportement sexuel ». La mesure de santé publique avait été estimée comme proportionnée compte tenu des dernières données épidémiologiques sur l’épidémie de VIH.
Un virus connait-il la notion d’orientation sexuelle ?
Où en sommes-nous désormais ? Si l’amendement venait à être adopté dans sa forme actuelle, la loi continuera d’appliquer le principe selon lequel « nul ne peut être exclu du don du sang en dehors de contre-indications médicales ».
Dans le même temps, la loi précisera qu’« aucune
distinction » ne pourra être faite « en fonction du genre
et sexe du ou des partenaires avec qui il ou elle aurait entretenu
des relations sexuelles ».
En clair, le Ministère de la Santé aura toujours le droit de fixer
des contre-indications médicales au don du sang… à condition
qu’elle n’aille pas à l’encontre d’un principe d’égalité. Les
marges de manœuvre étant limitées, les contre-indications pour les
HSH et HSF devront (en principe) être alignées.
Alors, à quoi pourrait ressembler un prochain arrêté sur le don du sang ? On imagine bien la situation complexe d’un Ministre de la Santé qui doit se conformer à la loi et en même temps garantir aux citoyens un haut niveau de sécurité. Comment faire pour résoudre la situation ? La solution risque de déplaire : elle pourrait consister à un renforcement des contre-indications pour les HSF (par exemple, de six mois à compter du dernier rapport)… ce qui aurait pour conséquence de diminuer le nombre de dons potentiels.
On peut également imaginer l’embarras du Ministère de la Santé si, en cas d’apparition d’une nouvelle maladie sexuellement transmissible ou en cas de changement soudain dans les données épidémiologiques, une modification rapide de l’arrêté devenait nécessaire…
La question mérite d’être posée : les contre-indications au don du sang ne doivent-elles pas reposer uniquement sur des données scientifiques ? Après tout, un virus n’a que faire des notions d’orientations ou d’identité sexuelle.
Charles Haroche - Avocat (Paris) - charlesharoche@gmail.com