
Paris, le samedi 22 juin 2019 – Depuis plusieurs semaines, les
colonnes du JIM font l’écho de la longue lutte des urgentistes
engagés dans un bras de fer avec le gouvernement.
Il est intéressant de noter que ce mouvement, bien que durable, est
sans doute moins visible dans les médias que celui engagé l’an
dernier par les salariés de la SNCF. Il est vrai qu’à la différence
du cheminot, le professionnel de santé n’est pas tout à fait un
gréviste comme les autres.
Comme souvent, le gouvernement tente de désamorcer le conflit en
cours en jouant sur deux tableaux : d’une part, sur le plan de la
négociation (en « lâchant » de nouveaux crédits pour les
urgences) et d’autre part en jouant la carte de la fermeté, par la
multiplication des réquisitions opérées par des préfets.
Ces réquisitions, qui sont rarement des moments agréables à
vivre, ont suscité l’émoi dans l’opposition (ce qui n’étonnera pas
grand monde) mais aussi sur les réseaux sociaux (où de nombreux
professionnels de santé ont eu l’occasion de décrire de l’intérieur
le déroulé de la mesure).
La séquence permet toutefois de trier le vrai du faux sur la
question épineuse du droit de grève des professionnels de santé, de
la légalité des réquisitions et des voies de recours ouvertes dans
ce cadre.
Un exercice du droit de grève limité par le code de déontologie médicale
Le droit de grève du médecin est un droit garanti par la constitution. Toutefois, celui-ci se retrouve encadré.
L’article R.4127-47 du Code de la Santé Publique impose au médecin « quelles que soient les circonstances » de maintenir « la continuité des soins aux malades ». Si le médecin peut, pour raison personnelles ou professionnelles, refuser d’assurer des soins, celui-ci ne peut le faire que « hors le cas d’urgence ».
Bien que ce texte ne vise pas expressément l’encadrement de la grève des médecins, la jurisprudence a vu dans cette disposition un moyen d’encadrer cette liberté fondamentale. Ainsi, pour le Conseil d’Etat, un médecin commet un manquement à ses obligations déontologiques lorsqu’il appelle ses confrères à ne dispenser aucun soin, y compris en cas d’urgence (Conseil d’Etat, 4 mai 2001, n°205248). Ceci limite considérablement l’efficacité du droit de grève des personnels urgentistes qui ne peuvent refuser les soins à des patients… se présentant aux urgences !
Le médecin peut donc faire grève s’il s’assure d’une part, de la continuité des soins pour ses patients et d’autre part, s’il ne fait face à une urgence vitale.
Quelles obligations pour le directeur d’établissement ?
Comment la continuité du service peut être assurée dans le cadre hospitalier ? Si le médecin gréviste doit, à titre individuel, respecter ses obligations déontologiques, l’établissement hospitalier doit de son côté assurer la continuité du service public même en cas de grève.
Le directeur de l’établissement peut prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement du service public. La jurisprudence administrative l’autorise à assigner le personnel en grève en cas d’atteinte grave au service public. Il lui appartient d’élaborer (notamment en collaboration avec les chefs de services) les besoins de l’hôpital en termes de personnel.
Les médecins travaillant pour un hôpital public ne peuvent donc exercer leur droit de grève… que dans la limite de la continuité du service public.
Le médecin gréviste peut être facilement réquisitionné
Vient alors l’épineuse question posée par l’actualité. Le médecin peut-il être forcé à interrompre sa grève ?
Bien entendu, en milieu hospitalier, le directeur de
l’établissement peut en cas de nécessité mettre en demeure le
médecin de reprendre son poste pour assurer la continuité du
service public. Mais surtout, le Préfet dispose d’une arme
redoutable pour forcer le médecin à réintégrer son poste : la
réquisition.
En application de l’article L.2215-1 du Code général des
collectivités territoriales, le Préfet peut prendre par arrêté «
toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la
sûreté et de la tranquillité publiques ». Pour la
jurisprudence, le Préfet peut en application de ce texte « en
cas d'urgence, requérir tout médecin dans le but d'assurer ou de
rétablir la continuité des soins ambulatoires » y compris
lorsqu’ils ont été interrompus « par des mouvements de refus
concertés et répétés des médecins libéraux d'assurer les gardes de
nuit et de fins de semaine » (Tribunal des Conflits, 26 juin
2006).
En cas de refus de se soumettre à la réquisition, la sanction est
particulièrement lourde : le professionnel de santé récalcitrant
s’expose à amende de 3 750 euros.
Des recours qui existent
Mais une simple réquisition suffit-elle pour exiger la présence
du professionnel de santé ?
Encore faut-il que cette injonction administrative soit
justifiée.
Ainsi, pour que la réquisition soit valable, le préfet doit respecter un certain nombre de conditions de forme : le texte doit préciser l’identité de la personne réquisitionnée, l’objet de la réquisition et sa durée.
Mais surtout, il est nécessaire pour le préfet de motiver sa
décision en exposant précisément les raisons pour lesquels la
réquisition est envisagée. Plus particulièrement, il s’agit pour
l’autorité administrative de prouver qu’elle est dans
l’impossibilité d’assurer la continuité des soins dans un contexte
d’urgence.
Enfin, les taches qui devront être exécutées par les professionnels
de santé doivent être précisées.
Alors que faire lorsque l’on reçoit une réquisition, mais que l’on
estime que celle-ci comporte une illégalité manifeste ?
Dans une tel hypothèse, il est nécessaire pour le professionnel de santé d’engager un recours devant le juge administratif en référé pour faire constater l’illégalité de la décision de réquisition (en clair, obtempérez d’abord, contestez dans le même temps). Mais ce contrôle est a posteriori. Dans l’attente de la décision judiciaire, il est nécessaire de déférer à la décision.
Dans un arrêt en date du 9 décembre 2003, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler qu’il appartenait aux juridictions d’exercer un contrôle de proportionnalité, en observant si l’atteinte porté au droit de grève par la réquisition était justifié par l’urgence de la situation.
Enfin, reste un cas particulier loin d’être anecdotique : celui-de la réquisition du médecin en arrêt de maladie. En droit administratif, le cas fortuit ou la force majeur constituent des cas d’exonération de la responsabilité de la personne qui refuse de se soumettre à la décision de l’autorité administrative. Partant, il est difficile d’imaginer des sanctions contre le médecin "arrêté" qui n’est pas en mesure de déférer à la réquisition.
Charles Haroche (avocat à la cour)